Les auteurs anglo-saxons sont les meilleurs pour écrire sur le vin. Qui le contestera ?
Combien de châteaux ressuscités, combien de réputations faites (ou défaites), combien de territoires sortis de l’ombre, combien de crus iconiques ont été révélés sous la plume d’une cohorte d’auteurs-journalistes-critiques-dégustateurs. Chroniqueurs au magazine Decanter pour les plus réputés, leur force c’est leur indépendance et leur amour du bon vin. Leur regard mondialisé enraciné dans les terroirs s’est superbement accordé avec la civilisation universelle de la vigne et du vin.
Comme beaucoup d’amateurs éclairés, mon livre de chevet viticole est la très écornée «Histoire mondiale du Vin » de Hugh Johnson, traduit en 28 langues, 20 millions d’exemplaires vendus. Experts, ils le sont ces wine writers à qui l’on doit cette qualification mondialement reconnue de Master of Wine, MW, qui honore 440 membres à ce jour dont une moitié de britanniques.
Qu’on se rappelle enfin l’existence de cette extraordinaire maison d’édition londonienne, l’Académie du Vin Library «dedicated to publishing the finest wine writing of the past, present, and future ».
Ces talents d’écriture académique en seraient ils restés au très conventionnel support papier ? Que nenni ! Ils ont même une longueur d’avance sur leurs confrères européens dans la relation numérique avec leur lectorat via la plate-forme Substack : a new economic engine for culture.
C’est une plate-forme de publishing, une de plus, mais laissons France-Inter parler « de ce réseau de newsletters plébiscité par les journalistes ». Newsletters, podcasts, vidéos, blogs, chroniques, bref tout ce qu’un créateur de contenus peut proposer à ses abonnés, à son public est à « portée de clic » sur Substack.
READER-SUPPORTED WINE PUBLICATION
Avec quel modèle économique, bref qui paie ? Les annonceurs ? Fausse piste. Non, ce sont les bénéficiaires du service qui sont sensés payer leur abonnement. Mais les newsletters payantes n’ont jamais marché !!
Exact, alors le bénéficiaire du service est invité, de façon un peu insistante à laisser une participation dont le montant lui est suggéré. Cela s’appelle le nudge marketing– ou marketing du « coup de pouce ». On m’incite à agir d’une certaine manière sans jamais chercher à me contraindre.
Parmi les centaines de créateurs inscrits sur la plate-forme Substack, quelque uns – les meilleurs bien sûr !- s’adonnent à leur passion de partager leurs émotions, leurs sensations et leur découvertes avec un penchant marqué pour les vins naturels. On citera Alice Feiring (THE FEIRING LINE), Aaron Ayscough (NOT DRINKING POISON) ou Simon J. Woolf (THE MORNING CLARET).
Justement Simon Woolf a publié récemment un article très pertinent intitulé : A Week in the Life of a Wine Journalist. Et Simon nous fait l’honneur d’accepter sa re-publication dans Génération Vignerons.
Alors pour les puristes nous avons gardé le texte original en anglais et pour les autres une adaptation française. Vous trouverez la bio de Simon J.Woolf à la suite de l’article.
Jean-Philippe
A Week in the Life of a Wine Journalist
Spoiler: It wasn’t wandering around vineyards sipping and spitting
I am never entirely sure what to call myself. Usually I settle on the term ‘writer’. I’m definitely not a wine critic – scores and tasting notes aren’t my favoured tools. The term ‘journalist’ always felt a bit too aspirational. Journalism makes me think of correspondents in war-torn countries or advocates who spend years investigating a scandal that could affect millions.
But journalism can take many forms. It’s not always life and death. Here’s a definition from wikipedia:
A journalist is a person who gathers information in the form of text, audio or pictures, processes it into a newsworthy form and disseminates it to the public.
Here’s a more general definition of journalism from Merriam-Webster:
- 1a : the collection and editing of news for presentation through the media
- 1b : the public press
- 1c : an academic study concerned with the collection and editing of news or the management of a news medium
- 2a : writing designed for publication in a newspaper or magazine
- 2b : writing characterized by a direct presentation og facts or description of events without an attempt at interpretation
- 2c : writing designed to appeal to current popular taste or public interest
Most of this seems like a fair description of my work. So Wine Journalist it is. (…)
Une semaine dans la vie d’un journaliste du vin
Spoiler : non je n’étais pas en balade dans les vignes à déguster et recracher
Je ne suis jamais vraiment sûr de la façon de me présenter. Habituellement, je me contente du terme « écrivain ». Je ne suis certainement pas un critique de vin – les partitions et les notes de dégustation ne sont pas mes outils préférés. Le terme « journaliste » m’a toujours semblé un peu trop ambitieux. Le journalisme me fait penser aux correspondants de guerre ou aux investigateurs qui passent des années à enquêter sur un scandale qui pourrait affecter des millions de personnes.
Mais le journalisme peut prendre de nombreuses formes. Ce n’est pas toujours une question de vie ou de mort. Voici une définition de Wikipédia : « Un journaliste est une personne qui rassemble des informations sous forme de texte, d’audio ou d’images, les traite sous une forme digne d’intérêt et les diffuse au public.«
Voici une définition plus générale du journalisme de Merriam-Webster :
- 1a : la collecte et l’édition d’actus pour la présentation dans les médias
- 1b : la presse écrite
- 1c : une étude académique concernée par la collecte et l’édition d’actualités ou la gestion d’un support d’information
- 2a : texte conçu pour une publication dans un journal ou un magazine
- 2b : texte caractérisé par une présentation directe des faits ou une description des événements sans tentative d’interprétation
- 2c : texte conçu pour plaire au goût populaire actuel ou à l’intérêt public.
Voila qui me semble être une description correcte de mon travail. Ce sera donc Wine Journalist (…)
What do you think I do all day?
When I tell people my job is writing about wine, they usually make some kind of joke that it must be great to drink for a living. There’s a popular notion that wine hacks spend their whole lives boozing while visiting bucolic wine regions.
I’m not going to say it’s a terrible life. I love wine and travel and I get to visit some beautiful parts of the world in the name of work. But this is only a small part of the day job. The remainder comprises hours hunched over a laptop, writing in solitude.
And sometimes, dealing with negative feedback from your previous work.
About that so-called ‘journalism’: a large proportion of wine writing today is little more than straight-up promotion or marketing. Here are some typical formulas:
- Wine writer is invited on a press trip organised by a generic body (usually a region) and has a jolly good time at the region’s expense. A ‘puff piece’, aka a regional profile, usually results. “Region x used to be obscure/forgotten/down on its luck/a source of only plonk but now times are changing and it has upped its game” is the standard journalistic hook.
- A ‘listicle’ along the lines of “The 25 palest rosés you must drink this summer” or “Our top ten red wines from the Douro producers with the most advertising dollars to spend”.
- Wine writer visits/is wined and dined by iconic/eccentric/iconoclastic producer x and has a jolly good time at the producer’s expense. The result: “producer x is the region’s brightest star/most promising talent/unique artisan.” You get the idea.
I’ve written all of these pieces on multiple occasions over the years. I’ll probably write them again if someone offers me enough money. But at some point it gets pretty tedious. And I’m not convinced it does the wine world much good, because none of these formulas allows for genuine criticism. (…)
Qu’est-ce que vous croyez que je fais toute la journée ?
Quand je dis aux gens que mon travail est d’écrire sur le vin, ils font généralement une sorte de blague en disant que ça doit être génial de boire pour gagner sa vie. Il y a une idée populaire selon laquelle les amateurs de vin passent toute leur vie à boire en visitant des régions viticoles bucoliques.
Je ne vais pas dire que c’est une vie insupportable. J’aime le vin et les voyages et je peux visiter de belles régions du monde au nom du boulot. Mais ce n’est qu’une petite partie du travail de la journée. Le reste comprend des heures penchées sur un portable, écrivant dans la solitude.
Et parfois, en devant affronter des retours négatifs sur mon travail précédent.
À ce sujet, revenons sur le soi-disant « journalisme » : une grande partie de l’écriture sur le vin aujourd’hui n’est guère plus qu’une promotion directe ou une opération de marketing. Voici quelques formules typiques :
- 1. Le Wine Journalist est invité à un voyage de presse organisé par un organisme (généralement une région) et passe un bon moment aux frais de ladite région. Il en résulte généralement un article complaisant, également connu sous le nom de portrait d’une région. « La région X était autrefois obscure/oubliée/sur le déclin/productrice seulement de piquette, mais voilà les temps ont changé et elle est monté en gamme » ça, c’est l’accroche journalistique standard.
- 2. Un « listicle » (mot-valise pour désigner un article sous forme de liste NDLR) dans le style de « Les 25 rosés les plus pâles que vous devez absolument boire cet été » ou « Nos dix meilleurs vins rouges des producteurs du Douro avec le plus d’argent publicitaire à dépenser ».
- 3. Le Wine Journalist visite/est invité à boire et à manger par un producteur emblématique/ excentrique/ iconoclaste X et passe un bon moment aux frais du producteur. Ce qui nous donne : « le producteur X est l’étoile la plus brillante/le talent le plus prometteur/l’artisan unique de la région. » Voilà, vous avez l’idée.
J’ai écrit tous ces textes à de nombreuses reprises au fil des ans. Je les écrirai probablement à nouveau si quelqu’un m’offre assez d’argent. Mais à un moment donné, cela devient assez ennuyeux. Et je ne suis pas convaincu que cela fasse beaucoup de bien au monde du vin, car aucune de ces formules ne permet une véritable critique. (…)
No news unless it’s good news
Why not, you ask? Why would you bite the hand that feeds? Virtually all wine critics/writers/journalists rely on trips and hospitality funded by producers. It creates a nice cosy community where few will step out of line or publish a negative review. Compare this with the world of restaurant or film reviews if you want to understand the difference.
I’ve always aspired to a more journalistic and critical style of writing. But there are weeks when I deeply regret that decision. And this is one of them. I spent the last few days knee-deep in the fallout from my previous work.
Right now I’m contesting a request to take down one article, and troubleshooting how I can best give the right to reply for another. These and other similar cases often unfold into endless email threads, uncomfortable phone calls and panic requests to colleagues to seek advice. There’s a lot of agonising over words, in an attempt to minimise offence, further issues or even potential legal actions.
Then there was my last wine guide, where I tried to be as inclusive and fair as possible, including every grower in the region who met my published standards. Apparently it was a poor decision. I have been told that I don’t understand orange wine, or natural wine, that I invited the wrong tasters and that I included the wrong producers. Maybe I’ll just start reviewing supermarket wines. It might be easier.
I don’t expect sympathy – there are no dead horse’s heads on my bed, or death threats hitting my inbox. But I’m not especially thick-skinned, so all of these situations cause considerable stress and distraction. It’s not war reporting, but words still hurt. “The pen is mightier than the sword” said author Edward Bulwer-Lytton in 1839. And those who feel injured by my pen can be quite forthright.
So this week, instead of writing that viral article that was going to make me rich and famous and have you laughing in the aisles, I’ve spent my time worrying about what other people think, and considering my ethical duty as a journalist.
My apologies to all my subscribers. Let’s hope next week is a bit less of a shit show.
Simon J.Woolf
Pas d’info sauf si c’est une bonne info
Pourquoi pas, demandez-vous ? Pourquoi je mordrais la main qui me nourrit ? Pratiquement tous les critiques de vin / écrivains / journalistes comptent sur des voyages et l’hospitalité financés par les producteurs. Cela crée une communauté agréable et chaleureuse où peu de personnes vont sortir du rang ou publier un avis négatif. Comparez cela avec le monde des critiques de restaurants ou de cinéma si vous voulez mieux comprendre la différence.
J’ai toujours aspiré à un style d’écriture plus journalistique et critique. Mais il y a des semaines où je regrette profondément cette décision. Et c’est l’une d’elles. J’ai passé les derniers jours, plongé jusqu’au cou, dans les retombées de mon travail précédent.
En ce moment, je conteste une demande de suppression d’un article, et je tente d’accorder au mieux le droit de réponse à un autre. Ces exemples et d’autres semblables se déroulent souvent dans des files de messages sans fin, des coups de fil désagréables et des appels anxieux à des collègues pour leur demander conseil. Il y a beaucoup d’angoisse face aux mots, dans une tentative de minimiser l’offense, d’autres problèmes ou même des actions juridiques potentielles.
Ensuite, il y a eu mon dernier guide du vin, où j’ai essayé d’être aussi inclusif et équitable que possible, en incluant tous les producteurs de la région qui respectaient les normes que j’avais publiées. Apparemment, c’était un mauvais choix. On m’a dit que je ne comprends pas le vin orange, ou le vin naturel, que j’avais invité les mauvais dégustateurs et que j’avais inclus les mauvais producteurs. Peut-être que je vais simplement commencer à évaluer les vins de supermarché. Ce serait peut-être plus facile.
Je ne m’attends pas à de la sympathie – il n’y a pas de têtes de cheval mortes dans mon lit (réf. au film Le Parrain NDLR), ni de menaces de mort dans ma boîte mail. Mais je n’ai pas particulièrement la peau dure, donc toutes ces situations provoquent un stress et une distraction considérables. Ce ne sont pas des reportages de guerre, mais les mots blessent quand même. « La plume est plus puissante que l’épée » dit l’auteur Edward Bulwer-Lytton en 1839. Et ceux qui se sentent blessés par mon stylo peuvent être assez directs.
Donc cette semaine, au lieu d’écrire cet article viral qui allait me rendre riche et célèbre et vous faire rire dans les couloirs, j’ai passé mon temps à m’inquiéter de ce que pensent les autres, et à considérer mon devoir éthique en tant que journaliste.
Mes excuses à tous mes abonnés. Espérons que la semaine prochaine soit un peu moins merdique.
Simon J.Woolf
A wine writer
Simon J Woolf is an award-winning English author and wine writer, currently based in The Netherlands.
An acknowledged expert on the subject of natural wine, he’s written for Decanter magazine, Meininger’s Wine Business International, World of Fine Wine and Noble Rot, and many other publications.
Simon is the editor of The Morning Claret, an online wine magazine which specialises in natural, biodynamic, organic and orange wine.
Simon’s first book “Amber Revolution – How the world learned to love orange wine”; was published in 2018, and winner of the Roederer Wine book of the year award in 2019. Simon has also won numerous awards for his magazine features and online columns.
His second book, Foot Trodden, a collaboration with photographer and wine communicator Ryan Opaz, was published in October 2021, shortlisted for a James Beard award and listed by the New York Times as wine book of the year 2021. It is described as a journey deep into the soul of Portuguese wine.
Simon is also active as a presenter, editor, wine judge and translator.
Un journaliste du vin
Simon J Woolf est un auteur anglais et écrivain sur le vin régulièrement primé, actuellement basé aux Pays-Bas. C’est un expert reconnu dans le domaine du vin naturel, il a écrit pour le magazine Decanter, Meininger’s Wine Business International, World of Fine Wine et Noble Rot, ainsi que pour de nombreuses autres publications. Simon est le rédacteur en chef de The Morning Claret, un magazine en ligne spécialisé dans les vins naturels, biodynamiques, biologiques et oranges.
Le premier livre de Simon « Amber Revolution – How the world learned to love orange wine » ; a été publié en 2018, et a été lauréat du prix Roederer Wine book of the year en 2019. Simon a également remporté de nombreux prix pour ses articles de magazine et ses chroniques en ligne.
Son deuxième livre, Foot Trodden, une collaboration avec le photographe et communicateur de vin Ryan Opaz, a été publié en octobre 2021, sélectionné pour un prix James Beard et nommé par le New York Times comme livre du vin de l’année 2021. Il est présenté comme une immersion dans l’âme du vin portugais. Simon est également actif en tant que présentateur, éditeur, juge de vin et traducteur.
Merci pour cette mise en lumière des auteurs anglo-saxon. Je suis abonnée à Substack et j’ai aussi choisi cette plateforme pour écrire sur le vin, en plus de mon site. Cette plateforme a tout pensé pour rendre l’écriture et la publication facile et pour l’auteur, et pour le lecteur.