A deux pas de Royan, c’est l’histoire somme toute assez banale d’un grand parent qui recherche des occupations pour ses petits enfants et entend parler d’un golf miniature à quelques kilomètres de chez lui.
Là où l’enquête commence

Sa curiosité piquée au vif, il s’aventure plus loin à la lisière de la forêt, là où la lumière du soleil est plus intense et découvre de nouveaux pieds de vigne ensauvagée qui monte autour des arbres…
Bon soyons honnête : le promeneur en question s’appelle Michel Guillard et il est l’un des associés du domaine les Hauts de Talmont dont nous avons déjà parlé. C’est dire s’il a l’œil ampélographique : la connaissance des cépages. Il n’empêche, n’importe quel promeneur aurait pu s’interroger sur la présence de telles plantes. Michel en est convaincu : cette forêt a sans doute recouvert un ou plusieurs anciens vignobles. A quelle époque ?
Il part à la rencontre du propriétaire du mini-golf qui lui confirme avoir arraché il y a fort longtemps une parcelle de vigne pour y implanter son attraction.
De fil en aiguille, Michel Guillard découvre qu’un érudit local -Erik Mouton- a déjà étudié le sujet et révélé l’existence d’un important vignoble de sable planté opportunément en 1865 lors de l’épidémie du phylloxéra dans la dune de la forêt de Suzac. Car le sable empêchait l’insecte ravageur de prospérer… L’exploitation de ce vignoble constitué de sémillon, de folle blanche et d’ugni blanc a perduré jusqu’en 1960. Les premières cartes postales sont là pour en témoigner. Fin de l’histoire ?
La vigne sous bénéfice d’inventaire
C’est là qu’entre en scène Sébastien Julliard, directeur du Conservatoire du Vignoble Charentais, invité à venir sur place. Sébastien : Dans les Charentes, il existait d’autres productions antérieures au Cognac. A l’époque médiévale on avait plutôt une production de vins de bouche…
Alors venir inventorier les cépages sur un site historique, c’est pour lui son quotidien : A la veille de la crise phylloxérique, le vignoble charentais représentait plus de 285 000 ha. Aujourd’hui il n’en reste qu’à peine 90 000 ha. Et du vignoble de sable très peu. Il est fort probable qu’on ait ici des vignes franc de pied, des vignes qui n’ont pas été greffées parce qu’on était avant cette époque phylloxérique. Mais alors de quels cépages parle-t-on ?
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Avec Michel Guillard ils entreprennent un repérage pour circonscrire une zone d’inventaire. Ils passent au peigne fin la pointe de Suzac et sa forêt, y retrouvent des bribes anciennes de vignobles puis élargissent leurs recherches aux communes voisines, Meschers-sur Gironde, Mortagne, Médis. Ils identifient ainsi une dizaine de vignes ensauvagées dont certaines se sont reproduites par marcotage sur près d’un kilomètre ! La vigne serait-elle immortelle ? se demande Michel…
Une fois les repérages effectués, Sébastien Julliard passe à l’étape supérieure et convoque une équipe de prospection, ingénieurs agronomes pour la plupart, les cadors de la profession d’après Michel Guillard : Thierry Lacombe, Olivier Yobregat, Léa Garcin, Jean-Michel Boursiquot, Ronan Jehanno, Laurent Audeguin, Jean Luc Roy, Marina Frouin. Certains ont la réputation d’être les meilleurs ampélographes au monde. Ils viennent de Montpellier-Supagro, de différentes antennes de l’IFV, de la Chambre d’agriculture de la Gironde. Leur mission : identifier ces variétés et s’ils n’y arrivent pas ou que les avis divergent, faire appel à l’analyse génétique par ADN.
Au total, ce sont 22 pieds de vigne qui sont ainsi étudiés. Certains sont connus : colombard, folle blanche, alicante bouschet, d’autres comme othello et plusieurs hybrides exotiques témoignent des tentatives de lutte contre le phylloxéra au 19ème siècle, le montils est retrouvé ici en nombre : un cépage blanc des Charentes destiné à la production d’eaux de vie et de mout pour mistelles (pineau des Charentes). Pourtant il ne perdure aujourd’hui en France que 200 ha. Mais 7 variétés échappent à l’identification et passent par les laboratoires de l’IFV à Montpellier.
L’analyse ADN permet d’identifier ainsi des plants de jurançon blanc, (rien à voir avec l’appellation) qui était un cépage courant dans le vieux vignoble charentais ; à ce jour, il représente à peine 5 ha en France. Du seibel 5457 : un hybride « teinturier » (qui donne sa couleur au vin), du roi des noirs, également un hybride producteur, cultivé dans le sud-ouest. Et enfin une lambrusque, une surprise sur ce secteur : en effet, les lambrusques sont les parents éloignés des cépages actuels et peuvent être considérés comme une plante « originelle ». La lambrusque donne peu ou pas de raisin, c’est une plante sauvage (protégée d’ailleurs). Sebastien Julliard : pour ma part, je pense que cela traduit que ce secteur forestier est probablement bien plus ancien que les plantations du 19ème de la forêt de la Pointe de Suzac proprement dite.
Quel avenir pour ces vignes ?
Mais au fond toute cette enquête pour quoi faire ? Quel est l’intérêt de mobiliser autant de moyens pour quelques pieds de vignes sauvages ? Ces variétés qui ont traversé le temps ont peut-être un patrimoine génétique particulier. Sébastien Julliard confirme : c’est une chance unique de repérer des variétés anciennes et de rechercher la diversité intravariétale car un cépage n’est pas que Un. C’est un ensemble d’individus qui sont suffisamment proches pour qu’on les mette sous le même nom. Il y a de la diversité dans la même variété ! Et si cette diversité a su résister ? c’est un atout qu’il est possible de valoriser.
Ces variétés entreront peut-être un jour dans le catalogue du conservatoire et seront commercialisées auprès du réseau de pépiniéristes agréés ENTAV by IFV et INRAE, la marque label de la pépinière viticole française. La diversité serait-elle l’avenir de la vigne ?
François
Toutes les photos sont de Michel Guillard










