un conservatoire (de vignes). Pour quoi faire ?

Yesss, j’ai été sélectionné pour rentrer au conservatoire, je vais y retrouver mes parents et y faire plein de petits !

L’enthousiasme qu’aurait pu manifester ce pied de merlot résume à lui tout seul le quotidien du Conservatoire du Vignoble Charentais (CVC) : rassembler les différentes variétés de cépages dans une collection à ciel ouvert, établir leur filiation et aussi retrouver, à travers des campagnes de prospection menées dans toute la région, de vieilles souches, de vieilles parcelles, de vieilles treilles porteuses de cépages anciens ou inconnus…

une histoire de famille

Il faut dire que le patrimoine viticole charentais remonte à la nuit des temps. Il était particulièrement imposant avec 280 000 ha de vignes cultivées avant l’arrivée du phylloxéra (80 000 ha aujourd’hui…). De nombreuses anciennes zones viticoles se sont ensauvagées mais ont conservé les cépages de l’époque. Particulièrement sur les trois iles, Ré, Oléron, Aix.

Au bout de plusieurs campagnes de prospection menées par le Conservatoire avec le concours des équipes de l’Inrae de Bordeaux, de Montpellier et de l’IFV ce sont 72 cépages distincts des cépages classiques de l’appellation Pineau Vin de Pays Cognac qui ont été retrouvés.

né sous X ?

Mais parfois, impossible de mettre un nom dessus. Dans ce cas on prélève une feuille et on extraie l’ADN qu’on compare avec la base de données du domaine de Vassal. Celui qui parle c’est Sébastien Julliard, directeur du Conservatoire depuis sa création. Et si on ne le retrouve pas, on est en présence d’une variété inconnue…

Ca arrive souvent ? On en a retrouvé cinq comme ça qui auraient sans doute été exploitées parce qu’on ne les retrouve pas qu’à un seul endroit : par exemple le pleau qu’on retrouve à l’Ile de Ré mélangé à des parcelles de négrette, de folle blanche a été aussi retrouvé par nos collègues dans le Gers. C’était donc un cépage qui était probablement diffusé mais qui est aujourd’hui totalement oublié. Quand on tombe sur des choses comme ça c’est là que c’est vraiment intéressant.

Ici vous voyez, c’est la magdeleine noire des Charentes, la maman du merlot et du côt. Le merlot c’est un croisement de cabernet franc avec la magdeleine noire des Charentes. Croisement naturel, voilà.

Alors qu’est-ce que c’est une collection de cépages ? C’est avant tout une grande parcelle située dans le cas de celle du CVC à deux pas de la ville de Cognac. Elle rassemble sur une multitude de rangs -appelés des blocs- des cépages autochtones ainsi que des cépages nationaux qui servent de témoins.

objectif : maintenir la diversité du patrimoine viticole

Le conservatoire a été créé en 1998 à l'initiative de l'IREO, Institut de formation Richemont pour sauvegarder la collection des cépages autochtones mais aussi pour offrir un lieu de formation à l'ampélographie ainsi qu'un musée de plein air. Les premières années de Sébastien Julliard ont été consacrées à l'inventaire des différentes variétés et à trouver le matériel végétal correspondant. Pas simple : vous avez le signalement de variétés cultivées dans les bouquins et en face il faut arriver à trouver le matériel végétal. Et en plus pour un conservatoire comme ici il faut que ce soit du matériel végétal indemne de virose !

Puis en 2003 ont démarré les premières campagnes de prospection sur le terrain à partir de signalements et d'appels à la population. Elles devaient durer 3 ans. En réalité aujourd'hui la prospection n'est toujours pas terminée : C'est comme une pelote de laine : vous tirez sur le fil mais vous ne voyez jamais la fin !  72 cépages ont bien été identifiés mais aussi des porte-greffes. Il y a ici maintenant 250 cépages et porte- greffes différents. 

Des conservatoires comme celui-ci, il en existe 38 en France. Mais celui-ci  bénéficie d'un atout supplémentaire : le soutien de la filière Cognac.

mamie fait de la résistance

Face aux maladies, les réactions des cépages ne sont pas les mêmes. Quand vous regardez le comportement du merlot par rapport à la flavescence dorée, la maladie reste circonscrite à quelques parties de rameaux alors que le cabernet franc -lui- y est très sensible. La tolérance viendrait plutôt de la magdeleine…

N’y aurait-il t’il pas un gène de résistance à aller récupérer sur cette magdeleine ? Des travaux sont en cours : on a recréé des frères du merlot. Les enfants conservent parfois les critères des parents, pas toujours ça dépend. On va faire ce qu’on appelle une ségrégation. on va semer les pépins de la population d’enfants, on va les laisser se développer et on va voir ceux qui sont atteints par la maladie et ceux qui ne le sont pas. On fait la carte génétique des deux populations de plants et on cherche la zone différente. C’est là où se trouve le facteur de résistance. Ce sont nos collègues de l’Inrae qui la font.

Hybridation ? Création variétale ?

On parle de transgénèse, de manipulation génétique ? Sébastien Julliard : Pas  du tout c’est de l’hybridation naturelle telle qu'elle était faite à la fin du 19ème siècle !

Petit rappel du cours de SVT :  la fleur de vigne est hermaphrodite. Elle possède à la fois les organes mâle et femelle, les organes mâle ce sont les étamines. L'organe femelle c’est l’ovaire. Les étamines sont porteuses du pollen qui se dépose sur l’ovaire, féconde les ovules et l’ovaire en grossissant donne les baies, les ovules donnent les pépins.

Quand on fait de l’hybridation, on castre la fleur hermaphrodite, on va enlever des étamines et on va lui dire c’est pas ton pollen qui va te féconder mais on va te choisir ton papa. On prélève du pollen sur une plante à coté et on vient le poser dessus.

Ensuite la baie va porter des pépins qui seront les enfants. Ces pépins, on les cultive, on les greffe et ça devient une nouvelle variété.

Ca veut dire que ce n’est pas de la manipulation, c’est orienter la nature à un moment donné. C'est ça la création variétale.

Sébastien Julliard pointe ici l’autre vocation du Conservatoire : agir sur la création variétale. A la façon d’un centre de recherche.

On s’inspire des propriétés des anciennes variétés pour en faire profiter de nouvelles. Est-ce à dire que les vieilles variétés sont plus résistantes ? C’est vrai et c’est faux à la fois. Il y en a certaines, on sait très bien pourquoi elles ont été abandonnées ! 

lire aussi : l'article de Florence Monferran le retour précieux de la vigne sauvage paru dans Le Point

ça va, ça vient

Un abandon définitif ? Quand on regarde les cépages dans une région, on s’aperçoit qu’il y a des cycles. Le merlot à Bordeaux ? ça fait un siècle. Avant on était plutôt sur du côt. Peut-être que, le changement climatique aidant, le côt va revenir sur Bordeaux…Il y a des besoins par rapport à des époques.

L’ugni blanc, le cépage du cognac ? en Charente sa culture ne remonte qu’à un siècle. Pour quelle raison ? Une fois greffé, il se comportait mieux que la folle blanche. Maintenant, changement climatique aidant encore, peut-être que l’ugni blanc petit à petit va céder sa place.

Des pistes ? Oui on est en train d’expérimenter des variétés qui étaient anciennement cultivées, on en a une, le monbadon, qui correspondrait probablement bien.

les pépins du futur

A proximité de la collection, le conservatoire a créé une autre parcelle de 50 ares pour étudier les cépages issus de création variétale. 280 cépages résistants et porte greffes dans le cadre du programme Martell. Là on a des variétés résistantes au mildiou et à l’oïdium. Les premières donnent des raisins qu’on commence à vinifier. On découvre leur comportement : celle-ci est sensible à l’échaudage . Celle-là est plutôt jeune et elle est très fournie très fertile et celles-là ce sont des vignes qui pourront se conduire avec 2 traitements par an. Avec un objectif : le Cognac.

Bio ou pas : le débat dépassé ?

Des traitements au cuivre ? Sébastien Julliard est nuancé : On sait que le cuivre est un gros désodorisant des composés souffrés et les composants aromatiques du sauvignon blanc, du colombard sont des composés souffrés. On s’aperçoit que ça les désodorise quand vous appliquez des cuivres tardifs ; dans la bouteille, on le ressent.

Les variétés résistantes représentent-elles une alternative au bio ? Avec les variétés résistantes on pense pouvoir faire mieux. Si on arrivait à tenir le mildiou avec 2, 3 traitements de cuivre et 2 traitements de souffre pour l’oïdium par an, ça serait gérable. Et la discussion bio/ conventionnel passerait au second plan. Voila qui permettrait de mettre tout le monde d’accord !

La lumière est au bout du tunnel.

un outil de sélection

Pour mener à bien l’étude de ces variétés encore faut-il aller au bout de leur vinification et de leur distillation.

Voilà pourquoi le Conservatoire dispose d’une distillerie équipée d’une batterie de micro alambics réalisés sur mesure. Sous la houlette de Marina Frouin, ils permettent à partir d’une petite récolte effectuée dans les rangs du Conservatoire de distiller un échantillon d’eau-de-vie.

Marina : Les vins sont d’abord dégustés par le maitre de chai de la maison Martell pour voir ce qu’ont les individus dans le ventre. D’ores et déjà il y a des choses qu’on pourra écarter et d’autres pour lesquelles on pourra se dire : ça c’est intéressant, il faut poursuivre.  Ce sont ces derniers échantillons qui auront l’honneur d’être distillés. On aura un échantillon d’eau de vie assez représentatif pour pouvoir être dégusté.

Le début d’une longue histoire ?

Comment inscrire un cépage au Catalogue

Pour y arriver, il existe un protocole officiel avec un certain nombre d'étapes à franchir : Sébastien Julliard : cette variété, elle est jolie, elle pousse bien, elle a des gros rendements mais est-ce qu’elle est gustativement bonne ? Les analyses ne font pas tout, il faut aller jusque’à l’eau de vie et ça nous permet de passer à une échelle supérieure où là on va planter plus de souches, c’est un premier tri en fait. Premier tri représentatif de la région Cognac.

S'ensuit une nouvelle étape intermédiaire qu’on appelle la validation VATE (Valeur Agronomique Technologique et Environnementale) sur des petites parcelles de 90 souches. Il y a 3 fois 30 souches où il faut étudier la variété sur des surfaces de petites tailles avec des témoins, un cahier des charges précis, on voit le comportement et on voit si on passe à l’étape supérieure après.

L’étape supérieure c’est la parcelle. Pour la VATE il faut au minimum 3 récoltes représentatives. Ca veut dire au moins 4 récoltes, il y a toujours une gelée… Quand l’étape de VATE est terminée, le dossier est déposé au CTPS (Comité Technique Permanent de la Sélection des Plantes Cultivées) qui est l’organe officiel qui inscrit les variétés au Catalogue officiel des variétés de vignes . C’est l’examen pour pouvoir être inscrit. Dès lors la variété peut être cultivée.

C’est à la fois trop long et pas assez long, à la fois trop lourd et pas assez lourd mais c’est une garantie de sécurité. Si on plante trop vite, les arracher c’est pas mieux…

François

Photo à la Une : ©Laurent Mabille – Conservatoire du Vignoble Charentais

Ecrit par Francois SAIAS
--------------------------------------------------------------- Scénariste, réalisateur, documentariste pendant de nombreuses années, François a gardé la curiosité de son premier métier et s'est investi depuis dans le monde du vin, ses rouages, son organisation, ses modes de fonctionnement.
Catégories : le métier

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