Miracles en série au Portugal : dans les vignes de Colares

S’agit-il d’une affaire religieuse ? Pas vraiment, mais au Portugal, Fātima n’est jamais bien loin.

Les vignes de Colares sont auréolées de mystère, raison de plus pour aller voir sur place et s’intéresser à cette histoire méconnue chez nous.

Commençons par le contexte. Nous sommes sur la Riviera portugaise, à une demi-heure de Lisbonne, là où le Tage se fond dans l’océan. Estoril, la luxueuse Cascais, le parc naturel de Sintra-Cascais, le Palacio national da Peña. Des noms qui déclenchent une avalanche d’images et de souvenirs. Des paysages grandioses comme cette forêt de Sintra, plantée d’essences exubérantes qui témoignent de la grandeur coloniale du Portugal.

Monsieur Patrimoine

Une émotion vous étreint le cœur en visitant les appartements privés de la reine français épouse du roi Charles 1er du Portugal, lui-même assassiné avec son fils.

Son destin tragique fut magnifiquement raconté par Stéphane Bern dans « Moi, Amélie, dernière reine du Portugal’ (Denoël 2015) qui suivit la diffusion de son fameux « Secret d’histoire » sur France 2.

 

RECHERCHER LA FRAÎCHEUR

Revenons à Colares, une bourgade agricole situé au pied de la montagne de Sintra, proche de la mer et du fameux Cabo da Roca, le point le plus occidental du continent européen, aux falaises vertigineuses.

On fait du vin depuis toujours à Colares, encouragé par la demande de la Cour, des aristocrates et leurs suites qui passaient ici les mois d’été dans la fraîcheur dans leurs palais construits sur les hauteurs de Sintra.

Les vignes remplissent les petits valons et curieusement se rapprochent sans cesse de l’océan.

UNIQUES AU MONDE

Le rendez-vous était pris avec Francisco Figueiredo, l’œnologue de l’Adega regional de Colares, la cave coopérative à la vingtaine d’adhérents créée en 1931 par décret d’État, à une époque où la DOC Colares s’étendait sur un millier d’hectares et les fraudes à l’appellation, monnaie courante.

Francisco, diplômé de l’Instituto Superior d’Agronomia, Lisbõa, occupe le poste depuis les années 2000. Il m’explique l’histoire dans un français parfait :

Ces vignes sont probablement uniques au monde. Elles sont plantées dans le sable qui recouvre la couche argilo-calcaire sur une épaisseur d’un, deux parfois trois mètres. Leurs racines vont descendre très bas pour chercher l’humidité. En surface, entre des murets de pierre ou des haies de bambou, elles se développent au ras du sol pour se protéger des vent, et conserver la fraîcheur-ou la chaleur, je ne sais plus– transmise par le sable. Les brumes océaniques qui masquent le soleil une grande partie de la journée durant l’été ont aussi un effet très bénéfique, d’où ces plantations toujours plus proches de l’océan.

Miracle numéro un

Je me demande bien comment l’ancestral savoir-faire paysan a-t-il pu s’adapter avec autant d’ingéniosité ?

Leur ténacité fut miraculeusement récompensée en maintenant à l’écart de leurs vignes l’horrible parasite ravageur qui ne survit pas dans les sols sableux. Le phylloxéra a été battu à Colares.

Point de plants greffés ici, le vignoble est franc de pied, costaud, résilient malgré son âge avancé. Il est planté en ramisco, pour les rouges, un cépage robuste à souhait, tannique, apte au vieillissement.

En blanc, la malvasia, plus délicate avec sa fraîcheur saline s’est imposée.

 

DESCENTE AUX ENFERS

Francisco me raconte alors l’histoire de la dégringolade de ce vignoble. Dans les années 2010, sa surface était tombée à moins de 7 hectares ; pour tout le monde c’était plié.

Les raisons sont multiples : urbanisation galopante et prix des terres littorales à la hausse, conditions de travail trop difficiles, absence de protection patrimoniale.

Les enfants de paysans vendaient les lopins de terre et allaient s’installer à la ville.

Miracle numéro deux

Le sursaut intervient il y a peu. Francisco qui a vécu dans sa chair le désastre a lancé l’«opération sauvetage » avec des vignerons propriétaires comme l’Adega Viūva Gomes. Outre les conseils et l’assistance aux viticulteurs, la mesure-phare fut certainement la hausse du prix d’achat. Ici on achète le raisin le plus cher du Portugal. Le vignoble est passé à 20 ha aujourd’hui pour une production de 18 000 bouteilles de 50cl (vendues à la cave autour de 17€), avec l’espoir de monter à 28 ha, d’ici 2-3 ans.

Ce deuxième « miracle » soulève la question de la protection du patrimoine végétal. Le paysage culturel de Sintra est inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1995, mais les vignes de Colares ont visiblement échappé à la vigilance des autorités. Elles se sont rattrapées depuis en protégeant le paysage viticole de l’île de Pico (Açores portugaises) en 2004, garantissant sa pérennité.

QUEL GOÛT ?

J’attendais la dégustation avec fébrilité.

La question essentielle est de savoir si une vigne non greffée donne un goût disons plus « authentique » au vin.

Loïc Pasquet, pour parler de son Liber Pater bordelais trouve les mots à faire rêver l’œnophile qui sommeille en chacun de nous. Il y a une finesse qu’on avait complètement perdue. Un vin franc-de-pied est très fin, comme un nuage, d’une grande pureté, et déploie toute une palette aromatique… (interviewé dans Terre de Vins, juillet 2019).

Et l’expert en dégustation Jacky Rigaud de renchérir : Il y a des impressions de sapidité, de pureté et de minéralité plus importantes pour les vins de francs de pied [par rapport aux greffés].

Sans oublier le faible degré d’alcool comme l’indique ici la mention vinho leve pour des vins ne dépassant pas 12°.

Les vignes en francs de pied se regroupent

Alexandre Abellan, journaliste à Vitisphere a publié le 11 juin 2021, un article intitulé : Les vignes en francs de pied s’associent pour un label européen et un classement Unesco

Nous reproduisons ci-dessous des extraits de l’article : Lancée par une poignée de vignerons européens, cette association embryonnaire souhaite valoriser le savoir-faire des cépages non-greffés sur leurs lieux d'origine. S'affirmant en défense de l'origine, cette démarche portée par le vigneron bordelais Loïc Pasquet bénéficie déjà de soutiens politiques de poids….

Avec eux, la greffe ne prend pas. Réunis ce 10 juin 2021 dans la principauté de Monaco, 9 vignerons et consultants venus d’Allemagne, de France (Bordeaux, Beaujolais, Bourgogne, Champagne et Vallée du Rhône), de Géorgie, de Grèce et d’Italie actent leur vœu de créer une association européenne des vins issus de ceps francs-de-pied. Une fois les statuts bouclés courant d’été, le collectif doit être formalisé afin de porter d’ambitieux projets de labellisation communautaire et d’inscription au patrimoine immatériel de l’Unesco….

L’association des francs de pied bénéficie d’un soutien international notable, avec l’appui de S.A.S. prince Albert II de Monaco. Invitant les vignerons de l’association naissante au muséum océanographique de Monaco, le prince régnant a montré tout son intérêt pour cette promotion de la biodiversité viticole lors d’une dégustation comparative de vins francs de pied et greffés. Malgré la ferveur des membres de la future association, la question de la différence qualitative entre vins issus de vignes greffés et ceps en francs-de-pieds reste posée…. Alexandre Abellan, Vitisphere

IMPOSSIBLE DE RESTER CONCENTRÉ

Francisco me fait découvrir en premier la gamme franche-de pied Arenae.

La malvasia (blanc) 2019, s’affirme dans la finesse comme dans la tension avec beaucoup de fraîcheur, de salinité. Le 2018 était un peu plus rond avec des saveurs miellées.

J’ai surtout retenu le ramisco (rouge) 2012, qui a vieilli longuement en fût de bois exotique brésilien, très ancien. Les arômes tertiaires sont au rendez-vous : le sous-bois, l’humus, le champignon sans écarter les fleurs séchées et l’infusion de thym. Il laisse une longue empreinte en bouche. Impossible de rester concentré sur la dégustation, je n’arrêtais pas de me dire : alors c’est ça un vin franc-de-pied ? Évidemment la question est restée sans réponse.

Francisco a tenu à me faire déguster sa gamme classique intitulée Chāo Rijo, issue d’assemblages de malvasia, galego dourado, jampal, fernao pires pour le blanc. Et le castélaõ dominant, un cépage typique de la région de Lisbonne pour les rouges. Ces multiples cépages autochtones décrits par Audrey Delbarre de Génération Vignerons font toute la diversité du vignoble portugais.

OÙ SONT LES VIGNES ?

Pour être franc, j’avais l’esprit ailleurs, je voulais voir ces vignes en francs de pied, associer des images aux sensations encore présentes dans ma gorge. Francisco et sa collaboratrice m’expliquent comme m’y rendre à grand renfort de plans dessinés et de noms compliqués à retenir. Dommage, on vient de rentrer la vendanges, me dit-il, avec les mêmes gestes d’autrefois.

Direction la côte, un choc visuel faillit m’envoyer dans le décor : Azenhas do Mar. Les vignes sont un peu plus loin, accessibles par un chemin cabossé. Des petits îlots de sable, souvent coincés entre les murs de propriétés. La liane au sol se répand dans toutes les directions. Je comprends pourquoi cette vigne ne meurt jamais, il y a toujours une reprise quelque part en marcottage.

 Miracle numéro trois ?

En relevant la tête, je me dis qu’il y a un gouffre entre l’extrême rareté d’une vigne franche de pied et ce que je vois ici. Entre l’extrême rareté d’un vin issu de telles vignes et sa présentation banalisée, son prix inadapté. Je crois à un troisième miracle qui fera entrer le vin de Colares dans la galaxie des vins les plus rares au monde.

Jean-Philippe

Image à la Une: Par Olga1969 — Travail personnel, CC BY 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=64708295

Ecrit par Jean-Philippe RAFFARD
--------------------------------------------------------------- Toujours volontaire pour une virée dans le vignoble du bout de la Loire, du bout de la France, du bout de l’Europe ou du bout du monde, là où il y a des vignerons, là où il y a du bon vin. Jean Philippe n’oublie pas sa vie antérieure en marketing-communication pour lever le voile sur le commerce du vin et l’ingéniosité des marchands.

2 commentaires

  1. Ponseel dit :

    Passionnant. J’aurais aimé en savoir plus sur ce qui permettrait d’identifier le goût d’un franc de pied. Comment as tu eu connaissance de ce vignoble cher Jean-Philippe ?

  2. Clare dit :

    J’ai goûté les vins Colares lors de mon voyage au Portugal et j’ai adoré. Ils ne sont pas très faciles à trouver en ligne mais j’ai essayé celui-ci : https://www.velvetbull.fr/vins/chitas-vin-blanc-frfr870

    Pas pour tous, mais super !

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