réinventer son domaine après un accident de la vie

Un matin de 2017, Sylvie Plessis découvre Christian, son mari, décédé, victime d’un arrêt cardiaque. On ne va pas s’étendre sur le sujet. Disons seulement que le ciel lui est tombé sur la tête. Alors qu’ils avaient pris la décision de revendre leur domaine le Moulin de Chauvigné à Rochefort-sur-Loire. Sylvie : « Au bout de 25 ans on avait fait le tour, on était arrivé au top et à 50 ans on peut avoir envie de faire autre chose ».

Peut-on rebondir ?

Du jour au lendemain, la situation se retourne complètement. Plus de projets, plus de conjoint, plus de partenaire. Comment rebondir alors qu’elle imaginait déjà une vie ailleurs ? « je n’ai jamais eu une fatigue comme ça, quelque chose de difficile à surmonter. Après je suis d’une nature assez optimiste et combative ». Un temps, Sylvie se réfugie sur la page Facebook du domaine « Je voulais rassurer tous les gens que j’aimais et qui me disaient : tu vas réussir ! »

Tout d’abord faire face à la succession sans oublier de payer les droits sur la récolte. Et pour signifier à ceux qui pensaient qu’elle allait baisser les bras, elle dépose un permis de construire pour agrandir son exploitation. Le signal est fort : Sylvie is back !

regarder droit devant

Génération Vignerons avait rencontré le couple de vignerons en 2015. A l’époque, le partage des tâches était clair « A Christian les vignes, le matériel, les bâtiments, et quand le raisin arrive au pressoir, à Sylvie les vins jusqu’à la mise en bouteille. »

Sylvie sait qu’elle doit reprendre la maîtrise de l’ensemble du domaine « Il faut faire les choses différemment. Je ne voulais pas me retrouver dans la situation où je me serais dit : ah si Christian était là il aurait fait comme ça…J’ai donc changé les méthodes de travail dans les vignes ». D’abord avec Fabrice, un ouvrier employé à temps plein. Puis l’atelier du vigneron qui devient le local pour abriter le matériel antigel.

Le hasard ? le destin ? Un coup de pouce inattendu en la personne de Manon, la deuxième fille de Sylvie et Christian installée en Angleterre, qui vient passer quelques semaines de congés à Rochefort en 2018. Elle décide alors de renoncer à son emploi de pâtissière au Savoy Hotel à Londres pour rejoindre le Moulin.

Sylvie : »Je ne lui ai pas fait de cadeau. C’est un métier qui est dur. Alors je l’ai fait bosser. Elle a d’abord eu un contrat de saisonnier ! »

Aujourd’hui Manon Plessis a signé un CDI au Moulin avec la mission de gérer la relation clients et surtout de faire évoluer l’identité du domaine.

tout remettre à plat

Mais il fallait se réinventer. «  On s’est fait aider par une coach, Galatée Faivre et je pense que c’était la bonne personne avec ce qui nous était arrivé pour réaliser cette démarche. »

Un travail de maïeutique s’engage : « elle nous a fait bosser, sortir des choses, on est devenues les Elles du moulin ! Avant on s’appelait les Vignerons créateurs de bonheur maintenant nous sommes les Providentielles ! »

Grace à cette remise en question, un nouveau projet cohérent se dessine avec un duo mère fille, un domaine qui affichera sa féminité tout en rose et affirmera haut et fort sa gamme des vins.

Le plus dur aura sans doute été d’effacer le nom de son mari des étiquettes. « J’avais considéré que toute l’année 2017 devait comporter le prénom de Christian sur les bouteilles. Après on a fait beaucoup mieux, il est beaucoup plus présent qu’avec un prénom, il est représenté dans notre identité par une étoile, il veille sur nous ».

casser les codes…

Manon, avec sa vision décomplexée d’une millennial, bouscule la segmentation des produits et organise la douzaine de vins en trois familles pour une meilleure cohérence avec la nouvelle identité du Moulin : ce sera les Cuvées des Elles. Avec la cuvée Originelles qui rassemble le Chardonnay en IGP et le Gamay en VdF, la cuvée Intemporelles qui regroupe les AOP : avec entre autres, Savennières, Cabernet d’Anjou, Anjou Fines Bulles et enfin une Cuvée Spirituelles pour les AOC haut de gamme en Savennières et Coteaux du Layon. Au début la segmentation qu’elle a mise en place m’a un peu inquiétée mais finalement ça se passe très bien !

Diversifier l’activité

Sylvie Plessis a aussi eu envie de mettre en place un parcours oenotouristique autour du Moulin : ampélographique au départ il est devenu parcours sensoristique (marque déposée). Avec des ardoises pour la reconnaissance des cépages et de la fleur de la vigne, avec une tour de fragrance, un obélisque aromatique et une table d’orientation pour se repérer au milieu des vignes : « sur 300 mètres on peut voir neuf cépages différents, déguster les paysages un verre à la main…

Une clientèle de passage ? « oui et ça sert aussi de balade pour les gens de Rochefort, ça nous ramène des clients. Quand les gens achètent une bouteille ils peuvent dire : tu verrais là haut, elles ont fait un truc, les filles ! On crée des produits à Haute Valeur Emotionnelle : le HVE niveau 100%, on est heureux de présenter un produit qui rend les gens heureux… »

Pour Sylvie, il faut mettre en place des activités oenotouristiques qui vont bien au domaine mais avec des prestations.

Après il y a la question posée par les voyagistes et les visiteurs : « après est-ce qu’on peut manger ? pour l’instant on n’est pas prêtes. » Sylvie enrage face au discours schizophrénique des Pouvoirs Publics : « Les politiques nous disent : vas y c’est dans ce sens là qu’il faut aller. Mais comment ? On nous a mis dans un musée, on ne peut pas faire évoluer les domaines pour faire une salle, ça abime le paysage ! il faut nous donner les moyens, pas des subventions, on n’a pas besoin de ça, mais des validations de projet. On a les enfants qui sont prêts à le faire, mais on ne peut pas : on est coincées… »

les quatre vies d'une vigneronne

Sylvie Plessis va s'associer avec sa fille Manon. En prenant du recul, elle constate que peu de vignerons auront comme elle connu toutes les étapes de la vie d'un domaine : "En l’espace de 30 ans j’aurai vécu l’installation, la succession, l'arrivée d'une jeune et la transmission. Alors que ça se passe au moins sur deux générations !"

Car Sylvie ne veut pas voir ses enfants se retrouver dans la situation qu'elle aura vécue avec une pression fiscale incontrôlée : "Dans la déclaration de succession j'ai dû aussi payer une taxe sur la récolte pour moi et mes filles. Le notaire m’a confié : heureusement que vous avez gelé cette année ! D'accord l’affaire était saine, sans dettes."

"Il peut y avoir des entreprises très saines mais les droits de succession sont tellement élevés. Comment veux tu payer des trucs comme ça ? J’ai dû faire un emprunt auprès de la banque." Voila pourquoi elle organise dès maintenant la transmission de son patrimoine.

Sylvie estime que  "Notre histoire peut être utile à un jeune qui hésite à s'installer car Manon n'avait pas de formation viticole, je sais que s'il m'arrivait quelque chose de grave, Manon serait capable de gérer le domaine." 

…et faire de grands vins

Pour relancer aussi son intérêt pour la vinif, Sylvie se met en tête de planter un neuvième cépage sur le domaine. Pourquoi ne pas tenter les cépages résistants ? Mais elle ne succombe pas aux charmes du floreal, le cépage phare de l’Inrae. « J’ai gouté, j’ai trouvé ça sans âme. »

Elle se tourne plutôt vers le viognier, un cépage pas vraiment dans la catégorie des cépages résistants mais qui a croisé sa vie à plusieurs reprises. « C’est un grand vin de gastronomie, il a beaucoup de similitudes avec le chenin, on peut le faire en sec en demi-sec, on peut champagniser avec, il a ce volume en fin de bouche. »

Alors en 2019 elle en plante quelques rangs à la Croix Blanche, l’une des meilleures parcelles de Savennières. 2021 c’est sa première vendange. « On le voit comme un produit d’export. » Et peut-être un jour un assemblage viognier et chenin ? Sylvie ne dit rien mais son regard pétille, la passion du vin l’emporte !

François

Ecrit par Francois SAIAS
--------------------------------------------------------------- Scénariste, réalisateur, documentariste pendant de nombreuses années, François a gardé la curiosité de son premier métier et s'est investi depuis dans le monde du vin, ses rouages, son organisation, ses modes de fonctionnement.

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