Connaissez-vous cette appellation au cœur des Alpes-de-Haute-Provence ? Un petit paradis à découvrir de toute urgence et avant tout le monde…
Allez donc interroger votre caviste, vos restaurateurs préférés ou vos amis amateurs de vin et demander leur : connais tu l’appellation Pierrevert ? Peu de chance qu’ils connaissent ce vignoble archi méconnu.
Il s’avère que mon médecin m’a prescrit une cure thermale – l’occasion de mettre de l’eau dans mon vin. Sans entrer dans le détails de mes pathologies, disons que le choix de Gréoux-les-Bains, s’est imposé.
Durant les trois semaines réglementaires, je disposais d’un peu de temps libre pour explorer le pays de Manon des Sources, à l’accent chantant qui sent bon la Provence, où l’eau source de bien-être, guérit, allonge le pastis ou dilue l’absinthe. Allez comprendre pourquoi le vin pourtant élément fondateur de la civilisation méditerranéenne semble curieusement jouer ici le grand timide ?
MÊME LES GUIDES SE TROMPENT
Merci docteur, car le remède était de qualité, mais quel chemin de croix pour arriver à percer les secrets de ce vignoble !
Je m’attendais à trouver de l’aide du côté des institutions locales : syndicat professionnel de l’AOC, mairies, offices du tourisme……Nada ! Entre mails « grippés », relances téléphoniques sans réponse ou écomusée du vin convalescent.
J’épluche ma riche littérature œnologique. Et là je fus servi avant d’être surpris : soit le néant total, soit des imprécisions en série plaçant ce vignoble en Vallée du Rhône dans « l’Atlas des Vins de France » de Laure Gasparotto (deMonza, 2018) ou en Vallée du Rhône méridionale pour le Guide Hachette.
Tout est sur Wikipedia ! me lança le président de l’AOC . En réalité sans vrai budget syndical, j’ai rapidement compris que je n’obtiendrai rien des contacts institutionnels. Est-ce le lot de toutes les appellations lilliputiennes ? On se demande de prime abord comment en période de crise viticole, on peut se passer d’un minimum de marketing et de communication pour exister, résister et réussir. Visiblement la quintessence de ce vignoble se niche ailleurs. Dans les entrailles de cette terre alpine et de ses hommes, forgés à la rudesse de leur histoire.
UN DEPARTEMENT HAUTEMENT IDENTITAIRE
Nous sommes dans le sublime département des Alpes-de-Haute-Provence (04), traversé d’est en ouest comme une colonne vertébrale par la rivière Durance, capricieuse et tumultueuse. Ses limites : les époustouflantes gorges du Verdon au Sud, Moustiers Sainte Marie, les Préalpes provençales et son Mont Ventoux au nord, Manosque, le Vaucluse et son plateau du Lubéron à l’Ouest, et à l’est on l’aurait presque oublié…. l’Italie !
Ici c’est le département qui fait l’identité et tout est résumé dans ses trois mots pour décrire ce territoire exceptionnel.
ALPES et ses contreforts pour la fraicheur de ses terroirs et de ses nuits ralentissant naturellement la maturité des raisins. Les vendanges sont ainsi plus tardives de plusieurs semaines que le reste de la Provence.
HAUTE pour la situation en coteaux de son vignoble entre 450 et 600 mètres d’altitude, à la fois le plus haut de Provence et le plus septentrional, propice à une culture de qualité. Balayé par un souffle rafraichissant venu du nord, le même depuis dix mille ans purifiant inlassablement l’air, chassant les nébulosités rendant son ciel le plus clair et le plus pur de France. En asséchant l’humidité de ce piémont alpin le vignoble est protégé plus qu’ailleurs des maladies cryptogamiques.
Et PROVENCE ce nom magique, pour son climat méditerranéen, ses 300 jours d’ensoleillement annuel, garantissant des maturités phénoliques optimales.
A noter que le changement du nom de ce département appelé jusqu’en 1970 Basses Alpes fut un élément déclencheur important pour la notoriété de sa viticulture.
UN CRU PEUT EN CACHER UN AUTRE
Pierrevert est un village provençal devenu « capitale » viticole de son département. L’ AOP Pierrevert créée en 2011 regroupe 360 hectares de vigne plantés sur le territoire de onze communes. Un terroir majoritairement argilo calcaire constellé de poudingues comme à Bellet. Un climat favorable et le choix d’une quinzaine de cépages nobles : syrah, grenache en rouge et rosé avec ajout possible de viognier. Grenache blanc, rolle, clairette et roussanne en blanc. Des vins d’assemblage même si le décret d’appellation autorise le mono-cépage (18 000hl/an).
Les Alpes de Haute Provence est devenue une IGP départementale en 2009 pour la reconnaissance de son identité géographique. Provence, ce mot magique qui vaut de l’or ! me confie l’un des vignerons d’ici, tant envié et jalousé par ses voisins ! 516 hectares, 120 cépages autorisés, c’est un terrain de jeu naturel élargi, plus permissif que l’AOC, laissant libre cours à une imagination sans limite mais réfléchie (8000hl/an).
Le mariage des Alpes et de la Provence, c’est aussi le mariage de ces deux appellations et une émulation saine pour son avenir. Pour avoir débattu longuement avec les viticulteurs, l’équilibre semble trouvé et la clé du succès commercial est en marche.
VIGNOBLE FAMILIAL ET VERTUS PAYSANNES
Après des années de déshérence entre agriculture, arboriculture et phylloxéra, Il a fallu beaucoup de ténacité et de travail acharné pour que ces vignerons commencent à entrevoir un avenir plus radieux. Cette histoire a forgé leur caractère et leur forte personnalité. C’est pourquoi sans doute ils ne se dévoilent qu’avec prudence et parcimonie, plus habitués à la besogne qu’aux ors et aux plateaux médiatiques de leurs riches voisins.
Ici pas de Georges Clooney ni de Brad Pitt, pas de domaines de 1000 hectares, pas non plus de crus classés, mais plutôt des crus cachés. L’anglais est banni, on parle le Provençau. Les océans de lavande entourent les bergeries familiales. Les racines des vignes côtoient les olives, amandes et truffes produites sur place et confortent le ton paysan.
Observant la transhumance agricole remplacée par la transhumance touristique, la modernisation de l’outil de travail et des techniques a évolué de pair. Et dans le silence de ses collines mais à une heure de la Côte d’Azur, on se prépare à toujours mieux accueillir l’afflux d’étrangers fasciné par ces villages provençaux. On soigne ce nectar par des vinifications audacieuses de macération pelliculaire chez les uns, en privilégiant les élevages chez les autres, et en investissant partout dans l’accueil oenotouristique.
SUR LES 10 DOIGTS DES DEUX MAINS
Qui sont-ils, ces vignerons ? Une coopérative et 10 caves privées. Ils ont presque tous en commun d’avoir appris seul sans les institutions. Travailleurs acharnés, à l’écoute de leurs intuitions, particulièrement audacieux, ils semblent s’épanouir dans la créativité. Ici pas de hiérarchie mais des complémentarités et chacun sa stratégie. Un esprit collectif fait d’entraide. Pas de vague, tout ce petit monde aime à se retrouver une fois par an, en juin, au Rosé Day sur la place de Pierrevert.
Où sont-ils ? Pour prendre la mesure de ce magnifique vignoble, j’ai pris de la hauteur à 767 m à Saint-Michel-l’Observatoire le Centre d’astronomie mondialement connu.
Puis de Pierrevert et Montfuron à Quinson, en passant par Manosque, Gréoux les Bains, Valensole et les Mées, c’est le verre à la main que je les ai écoutés me raconter le secret de leurs vignes.
En commençant par la cave coopérative Petra Veridis au cœur du village épicentre Pierrevert. S’ensuivent le domaine La Blaque, non loin, le domaine de Régusse, le vigneron des cavistes. Le Château Rousset à Gréoux, 200 ans d’histoire viticole. Le Château Saint Jean lez Durance à Manosque, le vin préféré de Jean Giono. Les caves de la Madeleine, 100% IGP à Volx. Le domaine des Bergeries à Chateauneuf-Val-Saint Donat :33 000 pieds de vigne bio en 11 cépages différents !
Imaginez-vous ces terroirs délaissés par les jeunes ? Que nenni, les jeunes vignerons plus qu’ailleurs se voient ici un avenir. Ils sont quatre à s’être installés récemment.
Domaine Lou Roucas ( Claire et Guillaume Blanc) dans le Parc régional du Lubéron, en bord de canal à Villeneuve. Ils savent aussi être glaciers (Scaramouche) en saison !
Domaine les Grandes Marges (Famille Jaubert), sur le plateau de Valensole, j’ai de la terre qui coule dans mes veines !
Domaine Demol : « l’histoire entre la lavande et la famille Demol remonte à un siècle» Thibaut et sa compagne Aurélie ont repris le flambeau à Valensole.
Domaine Nosary (Grégory et Sarah Pascal) à Villeneuve, « vente de jus de pommes, d’huile d’olive, de pommes, de farines de blé, de maïs….et de vin, depuis peu »
Quelques kilomètres plus loin impossibles de passer à côté de deux curiosités confidentielles : Myrko Tepus le jeune vigneron du Haut Var produit des vins biologiques (vieux cinsaults) appréciés dans les bars à vins des grandes métropoles.
Pour finir avec le domaine du Petit Août (Yann de Agostini) en IGP Hautes-Alpes qui m’a fait déguster sa cuvée de Mollard, vieux cépage rare, menacé de disparition. Celui-là je ne l’ai pas recraché !
DES VINS STYLÉS
En AOP comme en IGP, j’ai trouvé une vraie révélation des terroirs dans l’interprétation qu’en fait chaque vigneron. Les blancs confidentiels m’ont séduit en sec par leur expression florale et fruitée, d’une belle maturité, d’une grande fraicheur.
Les rosés, majoritaires à 60% sont très identitaires : un fruité remarquable, de belles acidités digestes, des degrés faibles comme en Corse.
Les rouges ensoleillés et réconfortants, authentiques et de caractère, sur des fruits noirs, à l’âme typiquement provençale d’épices et de garrigues.
LA TÊTE DANS LES ETOILES
Malgré sa communication hypothétique, l’énigme Pierrevert est partiellement élucidée. Dans cette région bénie des dieux truffés d’églises, de chapelles et d’abbayes, on semble moins croire aux miracles qu’aux valeurs de Saint Benoit : ora et labora. Le woofing a pris le relais collant bien à l’esprit social de ces vignerons imprégnés de sens humain.
Pour avoir longtemps été en concurrence avec les crus du Rhône et de Provence, l’authenticité et la curiosité ont gagné du terrain, et je parierais que, malgré – ou plutôt à cause- de sa taille Pierrevert s’ancrera dans quelques années durablement dans le panthéon des grands vins de Provence au même titre que Bandol, Bellet, Palette ou Cassis.
Christophe
Image à la Une : domaine Mirko Tepu crédit Anthony Lanneretonne et Clément Cescau
Cela donne envie d’aller découvrir sur place.