Porquerolles for ever

Le fort Saint-Agathe a toujours repoussé l’envahisseur ennemi, mais il est bien démuni devant l’envahisseur ami. Porquerolles, cette île varoise de 12,5 km2 alterne entre le paradis et…l’enfer. Il ne s’agit pas de météo mais simplement d’affluence touristique. Elle est si préoccupante que les autorités ont dû imposer en 2021 une limite à 6000 visiteurs/jour, ce qui ne manque pas de faire grimacer les 17 compagnies maritimes qui assurent la liaison entre le continent et l’île (15mn).

Génération Vignerons, adepte du Slow tourism, était très loin du plafond, ce jour béni d’octobre, dans l’île silencieuse à l’air chargé d’embruns, baignée d’une douce lumière automnale.

Surtout prendre son temps, perdre son temps et laisser ses rêves ou ses fantasmes s’exprimer.

À CHACUN SON JARDIN

Les cinéphiles voudront rejouer les scènes de Jean-Paul Belmondo et Anna Karina dans Pierrot le Fou tourné dans l’île en 1965. L’expo annuelle de la Villa Carmignac, ouverte depuis 2018 devient une étape incontournable sur le parcours des amateurs d’art contemporain. Beaucoup se pâment d’épouvante devant l’Alycastre– la créature mythologique mi-poisson, mi-dragon, symbole de l’île -revisitée par l’artiste Miquel Barceló qui orne l’entrée.
Vous ne verrez pas les passionnés de criques sauvages, de plongée sous-marine ou de vélo-nature, car ils sont déjà en action à la plage Notre-Dame ou à la plage d’Argent. Vous éviterez de déranger les artistes peintres repérables à leurs chevalets de fortune et si vous êtes chanceux vous pourrez approcher le travail in situ du talentueux Michel Metaireau.

Vous irez au-devant des arboriculteurs scientifiques, techniciens ou amateurs au pied du « moulin du Bonheur » dans le Conservatoire botanique national aux 300 variétés de figuiers pour échanger sur ce fruit exquis, emblème du bassin méditerranéen.

Les contempteurs de papiers gras, déchets, mégots, ferrailles, carcasses, résidus de constructions hideuses ou des véhicules polluants ne remercieront jamais assez les gardes assermentés du Parc National de Port-Cros et Porquerolles de faire respecter la loi.

Enfin les puristes vous parleront de ce temps suspendu quand la dernière navette quitte le port. Passer la nuit à Porquerolles, pourquoi pas à l’hôtel l’Oustaou, récemment rénové par son propriétaire Éric Champ, l’ex-champion du Rugby Racing Toulon, animateur de l’espace vigneron.

Car la vigne est bien présente ici et surtout elle fait beaucoup parler, précise-t-il. Aucune tradition viticole à Porquerolles ; on n’est pas à Lérins avec ses moines. Regardez comme c’est pentu, la roche est partout.

Les Le Ber et les frères Perzinsky avaient planté dans la plaine de Bregançonnet et les autres à la Courtade. Des vignes qui servaient surtout de pare-feu, car ça brûle souvent ici. Pas de grands vins mais un blanc se défend bien.

ET PUIS LES MILLIARDAIRES SONT ARRIVÉS

D’abord M. Édouard Carmignac ; les épargnants le connaissent, enfin pas ceux qui mettent leurs économies à la Caisse d’épargne. Ce grand financier est un aussi un collectionneur d’art réputé.

Visionnaire de la finance et mécène de la culture, il a senti le potentiel inexploité de ce joyau méditerranéen et lança son grand chantier artistique : la Villa Carmignac. Une impressionnante construction en sous-sol, appuyée sur une ferme existante, celle du domaine viticole de la Courtade (35 ha). Florent Audibert, l’œnologue et chef d’exploitation est à la manœuvre pour relever les multiples défis d’une exploitation viticole située en Parc naturel, qui plus est sur une île minuscule.

On est bien au-delà de la certification bio, acquise en 2005, tant les contraintes sont élevées notamment en matière d’empreinte carbone. Pas d’inquiétude pour les débouchés commerciaux avec les 50 000 visiteurs annuels de la Fondation. Ils trouvent sur place un caveau, un restaurant et toutes les raisons de ramener en souvenir quelques bouteilles de la Courtade (en blanc, rosé, rouge de 17 à 29€, aussi en vente dans la superette du bourg). Il devrait bientôt s’appeler le domaine Carmignac, me glisse mon interlocuteur très au fait des rumeurs insulaires.

ON A ÉCHAPPÉ À L’OLIGARQUE

Ensuite il y a eu ces Messieurs propriétaires de la Maison Chanel, juste avant la crise du Covid. On les a vu une fois ou deux les frères Wertheimer- hélicoptère, yacht et service d’ordre s’il vous plaît – mais celui qu’on a surtout vu, c’est Nicolas Audebert, un gars originaire de Toulon, ingénieur agronome et oenologue. C’est lui qui dirige les châteaux bordelais de la Maison Chanel (Canon, Berliguet, Rauzan-Ségla).

Il la connaît, l’île, je peux vous le dire, cailloux par cailloux.  Il s’est mis d’accord avec Sébastien Le Ber pour reprendre le Domaine de l’île et juste après ils ont racheté les vignes restantes des frères Perzinsky. En tout 40 ha, dont une partie appartient au Parc naturel. Il y en a eu des rumeurs comme celle de l’oligarque russe qui voulait racheter toute l’île. 

Un gros chantier de transformation est engagé au domaine dans le respect de l’écosystème et des essences endémiques, en concertation avec les autorités du Parc. Attendez -vous au nec plus ultra, du Chanel quoi ! En attendant les prix ont pris de l’avance, 30€ la bouteille, mais c’est de la faute au miracle du cépage rolle (vermentino) qui donne sur les schistes millénaires de l’île des blancs exceptionnels, à la fois gras, minéraux et salins. précise Nicolas Audebert qui a dû chambouler sa production (150 000 bouteilles) en abandonnant les vins rouges qui ne donnait pas satisfaction.

Concurrents sur le terrain, les deux domaines unissent leurs forces pour faire avancer le projet d’une appellation type cru classé ou AOP exclusive réservée au vignoble de l’île qui ne dépassera jamais la centaine d’hectares. L’exception a son prix dit mon ami porquerollais en me glissant à l’oreille les mots du poète : On ne quitte jamais la mer à Porquerolles, tant la fraîcheur des embruns se mêle aux parfums de la pinède. »

Jean Philippe

diaporama : © Michel Metaireau

Image à la Une : Par CC BY-SA 3.0, A. Delesse (Prométhée), CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=81754957

Ecrit par Jean-Philippe RAFFARD
--------------------------------------------------------------- Toujours volontaire pour une virée dans le vignoble du bout de la Loire, du bout de la France, du bout de l’Europe ou du bout du monde, là où il y a des vignerons, là où il y a du bon vin. Jean Philippe n’oublie pas sa vie antérieure en marketing-communication pour lever le voile sur le commerce du vin et l’ingéniosité des marchands.

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