Les rosés du Rhône s’invitent à Nantes

Nantes, vous connaissez bien sûr, mais les rosés du Rhône, pas forcément. S’agit-il du Rhône nord, du Rhône sud ? D’une rive ou des deux rives du fleuve ? On mesure tout de suite l’immensité du problème quand une interprofession essaie de fédérer un ensemble d’appellations qui individuellement racontent chacune une belle histoire.

Masterclass, dégustation professionnelle, séminaire œnologique comment nommer cette rencontre ? Elle était bien là, au cœur de Nantes, la trentaine de professionnels du commerce du vin : cavistes, agents, restaurateurs, managers de bar.

Certains avaient fait le déplacement du fond de la Loire-Atlantique ou de la Vendée. On connaît la conscience professionnelle des marchands de vins, mais on peut penser que le prestige de l’hôte, le restaurant étoilé Roza joua un rôle important.

Jean-François Pantaleon, le chef, a fait un retour remarqué à Nantes il y a quelques années en ouvrant son propre restaurant Roza, en clin d’œil aux prénoms de ses filles. Les Tables de Nantes le décrivent ainsi : « face au jardin du Muséum, dans sa très chic et cosy adresse place la Monnaie Jean-François Pantaleon (au parcours éblouissant et désormais étoilé) décroche avec style des assiettes gastronomiques jubilatoires… avec en prime un service attentionné et une excellente cave».

LE VIN JUSTEMENT

Qui nous invite aussi fastueusement ? Ce sont les Vignobles de la Vallée du Rhône, qui ont voulu nous démontrer – dégustation à l’appui- que leurs rosés, valaient bien et peut-être mieux que ceux du « géant » bien gênant d’à côté. Il n’y a pas que Nantes à bénéficier des faveurs des rosés rhodaniens. Clermont-Ferrand, Grenoble, Lille, Nancy, Nice, Toulouse et j’en passe,  toujours chez les étoilés, semble-t-il. Nous voulons entrer à la carte des restaurants, déclare à Vitisphère le représentant d’InterRhône.

La tâche sera rude pour les sommeliers car les rosés rhodaniens, aussi bons soient-ils, souffrent collectivement d’un manque d’identité.  Où sont-ils, qui sont-ils ? En France, la cartographie viticole ne correspond pas aux délimitations régionales ou historiques ce qui en avantage certains et en pénalise d’autres. En basse vallée du Rhône, vous êtes en Provence, sauf que vous n’êtes pas en Provence au sens administratif viticole. Un petit exemple pour éclairer le propos. Le Lubéron qui se veut le “trait d’union” entre la Vallée du Rhône et la Provence s’était attribué l’identité oenotouristique : Lubéron, cœur de Provence. L’INAO et le syndicat des vins de Provence ne l’ont pas entendu de cette oreille et sont allés en justice. Ambiance….

ON DIRAIT LE SUD

Une trentaine de vins rosés nous fut présentée en terrasse par le frenchie_sommelier wine doctor  Aurélien Massé. Merci, je ne souhaite goûter que les vins bio précise Hélène Fortanier, fondatrice de la Cave Nature à Pornic, il y a une vingtaine d’années. Ça tombe bien, dans la sélection des vins proposés, seulement six domaines n’étaient pas certifiés. Est-ce la proportion des vignobles de la basse vallée du Rhône ?

Passage en revue des appellations : AOC Côtes du Rhône, Duché d’Uzès, Luberon, Vacqueyras, Gigondas, Costières de Nîmes, Tavel, Lirac, Grignan-les-Adhémar, Côtes du Vivarais et d’autres encore. Au niveau visuel, les nuances de rose allaient du rubis clair au quasi-incolore, avec une tache plus sombre, limite fuchsia, qui contrastait : le tavel. Et là je me frotte les yeux. Comment le « roi des rosés » n’est-il pas mis en majesté à la hauteur de sa réputation ?

Le Festival de Cannes attribue bien des palmes d’honneur à des gloires éternelles. Attention, quand le marketing oublie l’histoire, le naufrage n’est pas loin. J’ai beau tourner les pages du petit livret « la vie en Rhône », aucun hommage rendu à la première AOC historique du vin rosé. Réparons l’outrage en vidéo et par un zoom sur l’appellation.

Tavel, le père de tous les rosés

Tavel fait partie de l’histoire viticole française, avec ses heures de gloire et ses passages à vide. C’est l’œnologue Jacques Puisais qui au siècle dernier a distingué les trois rosés de prestige français. Le rosé des Riceys en Champagne, le rosé de Marsannay, en Bourgogne, tous deux produits exclusivement à partir du pinot noir.

Et le rosé de Tavel, issu d’un assemblage complexe de cépages. Les deux premiers perpétuent la tradition avec une production confidentielle recherchée par les amateurs éclairés, le dernier connait une histoire plus singulière en misant sur les volumes produits, à contre-courant de la couleur diaphane à la mode.

Empruntons à Bruno Menard du Figaro Vins, l’essentiel de cette présentation de l’AOC Tavel. « Elle couvre une superficie de 930 ha de vignobles, implantés en rive droite du Rhône sur la commune de Tavel et quelques hectares de la commune de Roquemaure (Gard). Située entre Avignon et Châteauneuf-du-Pape, cette appellation ne produit que du rosé, mais quel rosé ! Élaboré depuis des siècles, le tavel était le vin privilégié du roi Philippe le Bel et des papes d’Avignon. Il était qualifié à l’époque de « roi des rosés » tant ses vins étonnaient par leur richesse et leur complexité. Une appellation très proche de celle de Châteauneuf-du-Pape qui furent toutes deux créées officiellement en 1936, avec un partage pour le moins curieux : à Tavel exclusivement le rosé, et à Châteauneuf du Pape, le rouge et le blanc.

UN VIN MAGNIFIQUE

Le climat du secteur est typiquement méditerranéen. Les pluies sont minimes et l’ensoleillement exceptionnel, avec une présence très marquée du mistral, qui balaye fréquemment les pentes douces des coteaux et les plateaux qui accueillent le vignoble de Tavel. Le sol, composé principalement de sables, d’alluvions argileuses et de galets roulés, a une importante capacité filtrante, très bénéfique à la vigne. Une vigne qui porte une grande variété de cépages où le grenache noir domine.

Il est accompagné du cinsault, du mourvèdre, de la syrah, du calitor et du carignan auxquels peuvent s’ajouter des cépages blancs (clairette blanche et rose, picpoul, bourboulenc). Le Tavel est un vin magnifique, puissant et généreux, d’un rose profond, révélé par la typicité de son terroir et la variété des cépages dont il tire ses arômes floraux puis fruités en bouche.

Avec l’âge, il développe des nuances de fruits rouges, d’amande grillée et d’épices, bien loin de la simplicité habituelle des rosés d’apéritif. Leurs prix sont très attractifs, ceux des domaines renommés : Guigal, Jaume, château d’Aqueria, château de Manissy ou prieuré de Montezargues ne dépassent pas 15-18€ la bouteille.

QUE BOIRE AVEC LE THON SASHIMI ?

Le chef nous servit en plat un thon sashimi façon Roza (riz vinaigré, furikake, espuma sripacha, catsuboshi) à casser tous vos repères gustatifs habituels. Et là bien sûr, le rosé gastronomique s’impose- ou alors le saké pour changer comme nous vous l’avions récemment suggéré.

Le sommelier en proposait plusieurs, pour moi l’AOC Tavel 2022 château d’Aqueria, s’imposait. Un tavel avec de la structure, du fond, du fruit, des épices enrobées d’une belle fraîcheur. Le conseiller en œnologie Christophe Bondu, mon voisin de table, défendait le domaine de la Ganse, un joli rosé AOC Vacqueyras, certifié bio, produit par Coralie Onde une jeune et talentueuse vigneronne, régulièrement primée au concours de vins ELLE à Table.

Nos avis convergèrent pour saluer le travail de la famille Rozel sur leur rosé Insouciance 2022 AOC Grignan-les-Adhémar (grenache, syrah, cinsault), gourmand et plein de fraîcheur. Mention spéciale pour la famille Monteillet  (domaine de Montine) à Grignan. Il faut leur rendre visite en hiver pour apprécier leur accueil chaleureux et l’inoubliable balade avec les chiens dans les chênes truffiers.

LA PETITE NOTE SUCRÉE

En guise de cadeau de départ, il nous a été proposé de déguster deux rosés de spécialités que j’aurais plutôt appelé « vins de tradition » par respect pour les savoir-faire vignerons qu’ils expriment. L’AOC Rasteau ambré est un vin doux naturel, c’est-à-dire muté à l’alcool ; il est produit à base de cépage grenache autour du pittoresque village éponyme. Faut-il y voir une réponse concurrentielle au banyuls (Roussillon) ou au vin de liqueur cartagène (Camargue) si appréciés de nos grands-parents?

Hélas pour ces vins, les consommateurs n’ont plus d’attirance pour la « bouche sucrée ». Enfin pas tout le monde, car je trouve que ces vins sont les compagnons indispensables d’une soupe de fruits rouges ou d’un moelleux au chocolat. Et soyez sûr qu’autour de la table, vous ne serez pas le seul à apprécier.

L’autre fleuron de la tradition viticole rhodanienne a de quoi surprendre. Je veux parler de l’AOC Muscat de Beaumes-de-Venise. Comment cette appellation au nom si évocateur a-t-elle pu laisser filer son prestige ancestral ?

Certes, il ne s’agit pas de la Sérénissime, mais du comtat Venaissin, un ancien état pontifical, là où les papes d’Avignon du XIVème siècle venaient chercher un peu de fraîcheur l’été sous les Dentelles de Montmirail. Un environnement magnifiquement préservé où les vignes s’appellent encore les muscadières et poussent avec des plans de câpriers. Il s’agit de la seule appellation plantée en muscat de la Vallée du Rhône. Qui plus est, en muscat à petits grains, le plus fin, le plus aromatique de tous les muscats, avec ses arômes francs et marqués de citronnier, de jasmin miellé, tilleulé. Il s’agit là encore d’un vin doux naturel proposé en blanc, rouge et rosé qui a perdu malheureusement ses papes et sa clientèle traditionnelle.

Il n’y a pas de fatalité, si le vin repose sur une solide tradition, s’il est produit selon les règles de l’art et si l’âme vigneronne reste ardente, l’amateur répond présent. Le muscat de Setùbal au Portugal en plein renouveau en est la preuve. Les autorités viticoles ont choisi une voie complémentaire, celle de la mixologie, comme le site Muscat 1348 le suggère avec des recettes de cocktails alléchantes.

On n’a pas dégusté mais Audrey et ses amis mixologues de Cognac vont vite nous dire si c’est du sérieux.

Jean-Philippe

Ecrit par Jean-Philippe RAFFARD
--------------------------------------------------------------- Toujours volontaire pour une virée dans le vignoble du bout de la Loire, du bout de la France, du bout de l’Europe ou du bout du monde, là où il y a des vignerons, là où il y a du bon vin. Jean Philippe n’oublie pas sa vie antérieure en marketing-communication pour lever le voile sur le commerce du vin et l’ingéniosité des marchands.

Commentaires:

  1. Eryck Ponseel dit :

    Excellent article, tout en subtilité, le savoir est là.

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