Un avion atterrit ou décolle toutes les minutes via l’aéroport de Palma de Majorque capitale des îles Baléares. Mais alors qu’est qu’on boit quand l’essentiel de la population vient d’ailleurs ?
Welcome, Wilkommen in Mallorca/ Majorca

Mais alors qu’est-ce qu’on boit quand l’essentiel de la population vient d’ailleurs ? D’abord, si on élimine les bidons de 10 litres de sangria industrielle et la bière allemande servie dans des bars teutons fort judicieusement nommés « Biergarten », il faut creuser un peu pour connaitre l’existence des vignobles de l’île éloignés des plages. Ensuite faire un réel effort pour découvrir qu’il s’y passe des choses vraiment intéressantes.
Le vin, une tradition ancrée à Majorque
Pourtant, depuis l’époque Romaine il y a des vignes sur l’île de Majorque mais à partir du 19ème siècle on voit exploser la production fort opportunément lors de la crise du phylloxera où l’on exporta beaucoup de vin de Majorque (jusqu’à 50 millions de litres !) et jusqu’en France.
Il faut dire qu’il y a 300 jours d’ensoleillement par an pour cultiver confortablement la vigne sur deux appellations d’origine, Binissalem-Majorca et Pla I Llevant, celle-ci incluant les zones de Manacor, Felanitx, Llucmajor, Porreres et d’autres villages. Il existait alors beaucoup de petits vignobles en polyculture (amandes, olives et abricots) et quelques mastodontes. Depuis les années 90, le tourisme de masse associé aux vols « low cost » a fait de Majorque une colonie germano-anglaise.
Aimeriez-vous l’ambiance Ibiza à la moindre vue d’une plage ?

Puis ils hésitent à vendre leurs vendanges à prix fort ou à vinifier et suivre le réseau de distribution de l’île. « On fait allègrement pisser la vigne, et la qualité ? …. Ils veulent avant tout gagner de l’argent, et vite ! » me préviennent certains dégustateurs. Or, parmi les grands leaders des vins majorquins il y a Macia Batle qui confirme un appétit féroce pour prendre la tête face à son concurrent le plus dangereux : la bodega José L. Ferrer.
Le vaisseau amiral, Macia Batle
Bodegues Macia Batle est une vieille enseigne marjorquine située sur l’appellation Binissalem à Santa Maria del Cami et, comme tous les vignobles, reste cachée dans les terres là où les touristes ne viennent que rarement.
Depuis 1997 Ramon Servall’s Batle, héritier de la famille, a su relancer et développer les vignobles familiaux puis moderniser les infrastructures. Avec succès ! Tournée vers l’œnotourisme par obligation pour survivre aux batailles commerciales en cours, la structure cherche à faire reconnaitre ses vins et continuer à accroitre sa production, mais jusqu’où ?

Nous regardons dehors. Les sols sont marqués par la roche mère, aux alentours de la bodega le terroir est rouge orangé, gorgé d’oxyde de fer. On y vendange dès le mois d’août des raisins au taux d’alcool qui monte vite, caressés par le vent et le sel de la mer. Le climat est méditerranéen, « C’est de plus en plus tôt, et le climat est particulièrement chaud cette année ». Les cépages sont souvent bordelais sur des portes greffes américains. Ainsi à la dégustation sommes-nous surpris par des Grand Reserva, Reserva et Crianza très ou trop proches de nos bons Bordeaux habituels. Rien à reprocher à ces vins mais où est l’originalité du terroir ?
Petites innovations exemplaires
Au milieu des cuvées se cache La collection Maceracio Carbonica 2016 Rosat et Negre (le rouge), à moins de 7 euros en 100 % mantenegro. De jolies réussites avec des vins plus friands élaborés en macération carbonique à la manière de nos Beaujolais, ces vinifications sont plutôt innovantes dans un marché très standardisé. 
Les robes des vins sont lumineuses, révélant des arômes de fraises écrasées et framboises poivrées du côté du rosé. Enfin on cherche à extraire le fruit frais et naturel ! N’est-ce pas mieux que d’essayer de prouver la capacité de faire parler les foudres de chêne ou les barriques que vous retrouverez d’ailleurs en décoration partout sur les terrasses des cafés de Cala Ratjada. Le vin n’a pas vraiment besoin d’effets spéciaux ou de maquillages outranciers.
Les raisins du succès
Notre guide nous fait déguster une suite de crus en rouge un poil haut de gamme qui assemblent un vieux cépage autochtone, le mantonegro, aux cabernet sauvignon, merlot et syrah. Les arômes de cassis et mures virevoltent dans le verre. Il faut les attendre car les tannins ne se fondent qu’au bout de 4 à 5 années. 
Nous ne pourrions que regretter que les cépages autochtones (fogoneu, callet, moll), pourtant très adaptés au terroir, ne servent qu’en infime partie dans la composition des vins issus d’une viticulture très traditionnelle et les cépages espagnols comme le monastrell, tempranillo, parellada, macabeo sont absents. Mais les autorités régulatrices de la D.O. (l’appellation locale) est stricte et bride toute volonté de changement. Elle pousse les producteurs locaux à rester sur un modèle intouchable en écartant les initiatives nouvelles. Sera-ce possible à long terme face aux variations climatiques ?
Vrai savoir-faire contre prise de risques
Cependant soulignons Le blanc Margalida Llonpart 2016 qui sort du lot avec son assemblage de prensal blanc, chardonnay et une pointe de moscatel. Cette cuvée se montre équilibrée et élégante, digeste et fraiche, exhale un fumé discret ainsi que des notes de fleurs blanches et de fruits blancs très mûrs. On sent la patte du maître de chais. 
Jean-Luc
