Le vigneron français des Cyclades

Tu connaissais Nicolas Bourget ? Achilleas me pose la question avec son accent roulant d’Europe centrale.

Cet ancien sportif grec de haut niveau a posé son sac à Nantes pour l’amour d’une belle, il y a une quinzaine d’années.

Il a créé la boutique Opson, vins & épicerie fine grecque, très courue dans le centre-ville et connaît aujourd’hui une notoriété d’auteur avec son livre « Cuisine grecque, recettes authentiques de familles helléniques » (Solar Éditions).

Revenons à Nicolas Bourget pour évoquer le souvenir d’un cuisinier talentueux aux manettes de son restaurant de la rue Fouré, la Raffinerie. Si, si je m’en souviens, il travaillait joliment les poissons du Croisic comme son carpaccio de bar aux huîtres salué par le critique Gilles Pudlowski mais c’est fermé depuis un moment, non ?  Achilleas ménagea son effet : Il fait maintenant du vin à Paros, dans les Cyclades. Devant mon visage incrédule, il me tend une bouteille bourguignonne d’un blanc nommé amos «Domaine Myrsini, Cyclades, Marie-Astrid et Nicolas Bourget ».

ON VA À PAROS ?

Je fonce sur OPODO qui m’indique la meilleur offre pour un AR Nantes-Paros (8 heures de vol avec escale à Athènes) :  477 € en juin et 1047€ à mi-juillet. Quand même ! on va réfléchir un peu.  Ma curiosité me pousse à échanger avec Nicolas pour comprendre comment l’ancien chef cuisinier a pu devenir vigneron dans les Cyclades, et vendre son vin chez ses copains à Nantes.

Pour moi la mer Égée convoque immédiatement les cohortes mythologiques de la Grèce antique. Ils se retrouvaient à Délos, l’île des dieux ou sur la tombe d’Homère à Ios, toujours poussés par le souffle puissant d’Éole. Ariane, Thésée, Dionysos, Apollon, les people de l’époque y ont séjourné. Ces habitués de la navigation à risque n’ont-ils pas dit comme Ulysse : « Douce est la terre quand elle paraît aux yeux des naufragés.»

Après les Dieux de l’Olympe, les Mycéniens, les Athéniens, les Byzantins, les Vénitiens, les Ottomans et tant d’autres furent fascinés par la  féérie des îles de la mer Égée, jusqu’aux touristes de l’Union Européenne aujourd’hui.

Paros n’est pas : la plus jetset (Mykonos), la plus fascinante (Santorin), la plus sacrée (Tinos). Le Guide de voyage du Figaro, qui connaît ses lecteurs, la décrit ainsi : située au centre des Cyclades, Paros est très prisée par les Français qui représentent plus de la majorité des visiteurs. L’île à la réputation familiale, combine tout ce que l’on peut trouver dans les principales îles des Cyclades, soit le charme traditionnel de l’archipel, la beauté de ses paysages et de ses immenses plages aux eaux cristallines, ses villages fleuris aux murs blancs, sans oublier ses nombreux hôtels et restaurants qui offrent tout le confort nécessaire.

Et si l’esprit d’aventure vous titille vous pouvez visionner cette vidéo d’ultra-trail.

UNE PROMESSE À SON ÉPOUSE

On est arrivé ici au bon moment, enfin si on peut dire, juste avant le Covid. Nicolas me raconte son histoire lors d’un bel échange sur WhatsApp. Sa saison comme cuisinier à Paros en 2004, sa rencontre sur place avec la vendéenne Marie-Astrid et la promesse d’y retourner un jour et s’y installer pour de bon. Je me voyais pas continuer éternellement dans la restauration. Ils ont tout vendu en France, le restaurant et la maison et se sont embarqués pour l’aventure avec leurs deux fillettes.

L’envie de faire mon vin, ça m’a toujours attiré. Alors, j’ai appris auprès d’amis vignerons en Loire. Améric et Mélanie (domaine Mélaric), Jérôme Brétaudeau (Domaine de Bellevue), pouvait-il trouver meilleurs maîtres ? C’est compliqué de monter un business en Grèce, ça bloque et puis tout à coup ça se débloque, il y a un côté un peu obscur. Je crois qu’ils ont apprécié mon projet d’activité agricole, et non une résidence tourisme de plus.

On imagine la montagne de difficultés à surmonter dans une langue si éloignée. Il fallait trouver des vignes, construire un chai, une maison, une école pour les filles avec des réserves forcément limitées.

LES VIGNES ÉTERNELLES

Le site Hellenica nous dit combien les sols et les conditions climatiques des Cyclades sont  adaptés à la culture de la vigne qui se perpétue depuis 3500 ans. Et de citer les variétés les plus cultivées comme la monemvasia, mandilaria, aidani, vaftra, karampraimi, assyrtiko, savatiano, malagouzia, roditis, maloukato et potamisi. Des îles où le vent omniprésent et les brumes fréquentes en altitude tempèrent la morsure desséchante du soleil.

Paros a une tradition viticole ancestrale. En 2000, l’île était encore couverte de vignes me dit Nikolaos, comme on l’appelle ici les habitants cultivaient leurs parcelles et apportaient le raisin aux caves voisines. L’urbanisation galopante a consommé des hectares de vigne et d’oliviers, hélas pour les défenseurs de la nature, une chance pour les abonnés à Airbnb. 

Là-bas, tous les terrains sont constructibles, au détriment des surfaces agricoles. On passera les détails de ses « 12 travaux d’Hercule » pour se projeter aujourd’hui. Le domaine Myrsini, à Marpissa, proche de la mer et des chapelles byzantines voit son chantier achevé. Il compte déjà deux millésimes au compteur : 12000 bouteilles en 2021, 18000 en 2022- produits sur des vignes louées et avec des raisins achetés.

L’investissement fut lourd :  nouvelles vignes en plantation, amphores, cuverie inox thermorégulée, unité d’embouteillage. La gamme, encore modeste affiche un Nees Rizes (racines profondes) 2021, un assemblage en rouge de matilaria et de vaftra. En blanc, c’est Amos (les sables) 2021, un 100% assyrtiko, comme on le produit à Santorin, l’île volcanique d’à côté, mais pas au même prix.

TOUT EST VENDU

Paros, 15000 habitants l’hiver, dépasse les 200 000 touristes à l’été, on les imagine au coucher du soleil, en méditation, un verre de vin à la main. On vend très peu sur place, sous-entendu la place est prise par les locaux solidement installés comme Moraitis Winery. L’an passé on a eu beaucoup de monde qui débarquait à l’improviste au domaine. Cet été, la famille prévoit d’organiser des dégustions bar à vins accompagnées de mezzé et de produits du jardin. Pour sûr, l’endroit sera vite répertorié dans les bons plans du Guide du Routard !

Pas d’inquiétude chez Nicolas pour la vente de ses vins. J’ai un importateur à New York qui ne demande qu’à augmenter les quantités. Pour la France, mes amis cavistes me suivent dans l’Ouest. Et en Grèce naturellement, où l’engouement pour les vins nature, les vins produits en biodynamique est apparemment le même qu’en France ou en Italie. Cet hiver on est parti en Crète, et à Athènes à la Bacchae Wine Fair de Romantso, une belle fête où on s’est retrouvé entre vignerons, avec des acheteurs et du public. La Dive Bouteille de Saumur fait des émules jusqu’en Grèce.

UN CHOC CULTUREL ET SENSORIEL

À la dégustation, le Nees Rizes 2021 est charmeur. Beaucoup de fraîcheur, de parfums épicés pour ce vin peu alcooleux (12,4°vol). Un assemblage en rouge de raisins (matilaria et vaftra) qui poussent à 500m d’altitude sur des vignes âgées souvent franches de pied plantées sur des sols granitiques, de marbre et de roches calcaires, riches en eaux souterraines.

Et là, je ressens un choc. Pas un choc gustatif, mais un choc culturel et sensoriel. Ces vignes d’altitude ont résisté à toutes les invasions, à toutes les turbulences climatiques. Elles possèdent des ressources génétiques propres qui rendent inutiles les traitements – ou très peu. Ces vignes savent repousser avec leurs propres forces les attaques des bactéries et autres cryptogames. Quelle santé ! quand on voit ces magnifiques baies à l’égrappage.

Alors que chez nous, les scientifiques, les laboratoires, les interprofessions dépensent des sommes considérables pour expérimenter de nouveaux clones, des cépages supposés résistants aux maladies. Avec quels résultats ? Les maladies s’inventent de nouvelles formes avec une longueur d’avance sur les traitements. Le Figaro Vins, qui a l’art d’angoisser ses lecteurs publie : Y-aura-t-il du vin dans 50 ans ? J’ai envie de répondre : oui, ici.

Je regoûte, après aération. Ce Nees Rizes est frais, plaisant en bouche, épicé, une petite ressemblance avec un primitivo des Pouilles, mais c’est très subjectif. Ce malvasia, comme on appelait les vins grecs autrefois est méditerranéen, authentique. Un vin convoité parce qu’il est à la fois « nature et poésie, humain et spirituel » pour reprendre la belle évocation de Laure Gasparotto. Quelle sensation étrange de se dire que des Athéniens, des Byzantins, des Vénitiens ont bu ce même vin. Peut-être plus rêche, plus végétal, plus sucré avec du miel rajouté, mais qu’importe. La vigne, elle, c’était la même. Ce vin n’a-t-il pas quelque chose à voir avec le Graal des Gouttes de Dieu ?

Jean-Philippe

Image à la Une : ©Génération Voyage