L’art du vin en Saint Emilion

Des vignerons aux ongles propres comme on dit en Languedoc. Ceux-là sont propriétaires de leur domaine viticole mais en délèguent l’exploitation à une équipe technique. Les Vignobles Alain Château entrent dans cette catégorie qui se situe à mi-chemin entre le vigneron exploitant et le directeur de domaine, un salarié non-propriétaire.

Le propriétaire a la vision du temps long dit Alain Château qui a réussi dans les affaires et comme beaucoup de capitaines d’industrie, s’est investi dans « l’art du vin » au début des années 2000. Les circonstances l’amenèrent à acquérir trois domaines en Anjou et un à Saint-Émilion. Les anciens propriétaires ayant été défaillants, tout était à reconstruire : un défi qui n’était pas pour lui déplaire.

D’un grand cru à l’autre

Quinze ans plus tard, la page des investissements en Anjou est tournée et Dieu sait s’il n’a pas ménagé ses efforts pour redresser l’appellation prestigieuse Quarts-de-Chaume, ce liquoreux d’exception, unique grand cru du Val de Loire. J’en suis témoin pour avoir collaboré à sa promotion éditoriale et distribuer en douce ses merveilleuses bouteilles de Chaume sur la scène musicale de Miami. Les mentalités sont très différentes, les Angevins sont propriétaires exploitants, vignerons de père en fils et doivent s’adapter sans cesse à la fragilité de leur modèle économique.

Je retrouve Alain dans son fief bordelais, le Château Yon-Figeac, Saint-Émilion grand cru classé ; un domaine d’un seul tenant, 24 hectares de vignes plantées sur un sol argilo-sableux un peu en côté des célèbres calcaires et regroupées autour des locaux techniques et de réception. La bâtisse a été reconstruite au 19ème siècle avec sa petite tour typique pour bénéficier de l’appellation château.

Récemment rénové dans un style design classique, le château retrouve sa fonction première d’accueil des clients, importateurs, dégustateurs et accessoirement journalistes. La bienséance et l’esprit français sont de rigueur ici.

La vigne a juste débourré et ces petits matins d’avril particulièrement froids créent forcément de l’inquiétude.

La visite du caveau est l’occasion de découvrir la gamme : Château Yon-Figeac, le grand cru classé (26€), majoritaire, le second Les Roches de Yon-Figeac (16€) Saint-Émilion grand cru et Yon-Saint Martin (9€) en AOC Saint-Émilion.

 

 

Environ 110 000 bouteilles sont produites annuellement, l’export compte pour 50% des ventes, la grande distribution et les boutiques d’aéroport pour le reste.

C’est aussi l’occasion de rencontrer Bérangère qui développe à mi-temps l’activité oenotouristique du domaine. On accueille régulièrement des petits groupes en visites-dégustation pour faire connaître nos vins et jouer le jeu collectif de l’appellation.                                                                                                 

La cuverie cathédrale impressionne par son silence et l’effet masse de ses cuves inox. Le savoir-faire du château repose sur l’assemblage des différents cépages- merlot 80%, cabernet franc 14% et petit verdot 6% – une proportion extrême en Saint-Émilion qui apporte une typicité propre au domaine.

Le circuit du vin dure deux ans ; après fermentation en cuve et une année d’élevage en barrique, il repasse par la cuverie d’assemblage avant la mise en bouteille. Tiens, des cuves de vin kasher, reconnaissables aux scellés sur la robinetterie. On va tout casser en 2020, en installant des cuves plus petites pour permettre la vinification parcellaire et installer la gravitation naturelle au niveau des jus comme nos œnologues nous disent de le faire.

Alain l’industriel est dans son élément quand il s’agit d’investir pour plus de précision, plus de qualité et pas nécessairement pour réduire les coûts. Grands crus obligent !

Comment ce propriétaire néophyte si discret, bientôt septuagénaire, a-t-il pu trouver sa place en moins de 15 ans dans l’élite des Châteaux de la rive droite ? Était-il prédestiné par son patronyme? J’ai fait le choix de m’entourer des conseils de l’œnologue et professeur d’université Denis Dubourdieu qui a formé nos équipes et nous a suivi depuis le début. Nous avons engagé un cycle lourd de travaux au sol, à la vigne, aux chais, à la vinification. Au décès de l’œnologue en 2016, le lien a été maintenu avec son équipe. Car rappelons-nous, selon le mantra d’Alain Château, le propriétaire a la vision du temps long.

Petite précision sur la notion de Grand Cru Classé -GCC.

A la différence du Médoc-Sauternes dont le classement de 1855 est immuable, le classement du vignoble de Saint-Émilion date des années 1950, porté par le Conseil des Vins. Il est renouvelable tous les 10 ans. Le classement de 2012 qui défraie la chronique judiciaire a vu quand même rétrograder 13 domaines. A ce jour, il honore 18 premiers crus, dont les fameux Angélus, Cheval-Blanc, Pavie, Ausone et 64 grands crus. Beaucoup se préparent à « l’examen » de 2022, c’est une démarche volontaire qui crée un état d’esprit de stimulation très salutaire pour l’activité.

Les propriétaires de Grands Crus Classés forment une sorte de club, une caste diront ses détracteurs. Nous jouons collectif, c’est l’intérêt bien compris de chacun, nous nous retrouvons dans les multiples dégustations à Bordeaux ou à Paris, dans les avions, dans les allées de ProWein, à WineExpo Hong Kong ou NY. Il faut que le vin ait une tête. 

Alain excelle dans son rôle de représentation et confesse ne pas tenir en place, lui, le passionné de randonnées aux quatre coins du monde.

C’est le moment choisi pour aller dîner à Saint-Émilion, un joyau architectural qui fête cette année le 20ème anniversaire de son inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO avec son million de visiteurs annuels.

Tiens, des Chinois sont dans la ville pour y tourner une série télévisée.

 

 

Nous entrons à l’Envers du Décor, le bistrot chic du moment. Privilège de propriétaire, on arrive avec sa bouteille, un Yon-Figeac 2009, vite débouchée. Et là, nous partageons un moment de forte émotion. Le vin est superbe, raffiné, aussi élégant que puissant ; les tannins soyeux enrobent la bouche et libèrent dans la fraîcheur un fruit bien présent que prolongent des arômes plus profonds, plus longs. L’art du vin fait complètement sens par le savoir-faire et le travail collectif de précision, de patience et de méticulosité.

Et si Dame Nature vous accorde de surcroît un millésime exceptionnel, rendez-lui grâce !

Justement la nature est un peu malmenée par ici avec des quantités de cuivre dans les sols et encore trop de pulvérisation de produits phytosanitaires.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Certains GCC comme Trapaud et la Grangère ont fait récemment le choix du bio. Le Conseil de la Juridiction a réagi en annonçant la certification environnementale obligatoire d’ici 2022 ; Yon-Figeac s’y prépare activement, en jouant collectif encore une fois.

A la question sensible de la transmission patrimoniale, on sent poindre chez Alain une petite crispation. Mes deux filles et mon fils ne sont pas intéressés par l’activité.

Sait-on de quoi est fait l’avenir ?

Jean Philippe

photo à la Une : ©Maison du Vin St Emilion

Ecrit par Jean-Philippe RAFFARD
--------------------------------------------------------------- Toujours volontaire pour une virée dans le vignoble du bout de la Loire, du bout de la France, du bout de l’Europe ou du bout du monde, là où il y a des vignerons, là où il y a du bon vin. Jean Philippe n’oublie pas sa vie antérieure en marketing-communication pour lever le voile sur le commerce du vin et l’ingéniosité des marchands.

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