La dame de Savennières

Deux personnes ont participé plus que d’autres à mon éducation vigneronne : Evelyne de Pontbriand et Jean-Claude Bonnaud.

J’ai souhaité les réunir ici. Je garde un souvenir ému de la grande Dame de Savennières qui nous recevait dans son salon d’apparat du château des Vaults transformé en salle de concert de musique baroque. Elle faisait servir avec grâce son AOC savennières La Jalousie, un chenin tout en vivacité qui se mariait si bien à l’ambiance électrisée des jeunes passionnés de musique. Vous vous sentiez alors relié, au plus profond de vous-même, à la civilisation du vin et de la culture.

Elle nous a quittés et rien ne sera plus pareil dans le paysage culturel de Savennières. Aujourd’hui elle revit sous la plume de mon ami journaliste et écrivain Jean-Claude Bonnaud, fondateur du Vin Ligérien, qui lui a consacré un magnifique portrait dans son ouvrage La Loire est en Elles (JCF Rives de Loire, 2017) en concluant : « Entre la Loire, la vigne et la femme, le trait d’union est ainsi tracé : c’est la vie ».

Ce portrait, le voici, agrémenté d’une petite vidéo d’Evelyne dans son chai

Jean-Philippe


Une ambassadrice, une vraie.

Aller à Savennières est un voyage au pays du bonheur. L’environnement y est superbe et apaisant. Et les coteaux sont prometteurs à ceux qui aiment le vin. Savennières, aux portes d’Angers, avec son hameau d’Épiré, est un écrin de verdure entre ses jolis murs. Comme un cocon de douceur, comme si tout, ici, était sur la retenue. Cette commune est d’une élégance suprême.

Elle est à l’image d’Évelyne de Pontbriand qui en connaît d’ailleurs tous les contours. Depuis 2001, elle dirige le Domaine du Closel, de la seigneurie des Vaults (fin du XVème siècle), dont le château n’a cependant été construit qu’au XVIIème avant d’être remanié deux cents ans plus tard.

Quelques célébrités furent les propriétaires de ce domaine : la famille Walsh, par exemple, des armateurs nantais, ou encore Emmanuel de Las Cases, au XIXème, celui qui rédigea plus de deux mille pages sur Napoléon 1er et qui l’accompagna jusque dans son exil à Sainte-Hélène, mais qui fut aussi auparavant l’un des rares survivants de la triste Expédition de Quiberon (1795), après son émigration vers l’Allemagne et l’Angleterre en raison de la Révolution française, laquelle expédition, dans sa volonté de soutenir la chouannerie et l’armée royale vendéenne avait diablement péché par manque de préparation.

Cinq hectares de parc enserrent le château et longent la voie ferrée. Le chemin de fer, comme partout où il est passé, a transformé la vie des Saponariens. Avec son avènement (milieu du XIXème), quatorze châteaux ont ainsi vu le jour autour de Savennières, bordés de parcs, eux aussi. D’un clos à l’autre, on peut les apercevoir. Avec leur charme quelque peu suranné, parfois, mais dont on se délecte toujours.

Créé au milieu de ce même XIXème siècle, le parc du Château des Vaults, grâce au joli pont qui enjambe la route menant au village, est voisin du vignoble situé, lui, juste au-dessus, sur le plateau.

L’AMBITION DE DEVENIR LE MONTRACHET DE LA LOIRE

Car si Savennières est connue, c’est essentiellement pour ses vins. Quand elle en parle, Evelyne de Pontbriand, ancienne présidente du syndicat vinicole par ailleurs, en est très fière. Et quand on évoque la complexité des vins de Loire, elle y voit un véritable atout : Bien sûr, nous devons faire de la pédagogie. Mais nous ne sommes pas plus compliqués qu’en Bourgogne. Cette diversité propose des produits rares qui ont le goût et les parfums des paysages. Nous retenons bien le nom des communes françaises, pourquoi ne retiendrait-on pas celui des vins ?

Pour ce qui est de Savennières, Évelyne est aussi tranchante que la fraîcheur des flacons du cru.  Pour les élaborer, m’avait-elle expliqué lors de notre première rencontre en se baladant dans le vignoble, il faut se montrer très méticuleux, très perfectionniste. On ne peut pas les faire à la légère. En ce sens, nous devons nous fixer, malgré nos différences d’approche, un horizon ambitieux, celui de devenir le Montrachet de la Loire. Logique puisque cette femme, mère de quatre enfants, affirme sa gourmandise, ce qui fait qu’elle ne supporte pas la médiocrité.

AUCUNE AMBITION POUR LES FEMMES

Évelyne de Pontbriand a de l’ambition pour son pays. Et c’est peut-être pour cela qu’on l’aime ici. Que ses collègues vignerons, dont les origines semblent pourtant si loin pour la plupart, lui vouent une amitié respectueuse, même si certains lui ont parfois reproché, avec la bêtise de la superficialité, sa particule. Où sont tes domestiques ? lui demandait, par exemple, régulièrement, l’un de ces zélateurs des préjugés. Mais Évelyne n’est pas bégueule. Les vignerons du coin, aujourd’hui, l’appellent par son prénom et lui claquent la bise.

Reste que pour en arriver là, elle a dû faire du temps son allié dans un pays où la femme a généralement ramé pour se faire une place. Évelyne de Pontbriand, ancienne enseignante en littérature française aux États-Unis et en Allemagne, en est convaincue. Dans le système scolaire et universitaire français, il n’est affiché généralement aucune ambition pour les femmes. Souvent, par voie de conséquence, elles n’en ont pas pour elles-mêmes, pas véritablement de vocation non plus, pas de vision de carrière. Évidemment, quelques exceptions confirment la règle. Mais, dans ce cas, leur ambition est le fruit d’une éducation familiale. L’État français aime les filles, les bonnes élèves, sages, disciplinées, qui travaillent bien et sont, pour ainsi dire, ‘invisibles’. Il les récompense par de bonnes notes, des appréciations plus que bienveillantes. C’est le piège de la bonne élève qui doit donc rester à sa place. Alors, pensez donc : faire du vin… Non, ce monde n’attend pas les femmes.

Car si la misogynie s’effrite peu à peu, tous les grains de cette ivraie sociologique ne sont pas tombés. Le monde viticole n’attend pas que nous ayons une vision et fassions des tentatives pour l’exprimer, poursuit Evelyne de Pontbriand. Il n’attend pas qu’elles soient elles-mêmes, autres que les épouses parfaites de leurs maris. On lui a d’ailleurs souvent fait sentir que le sien, de mari, est bien peu souvent avec elle. On me disait : ‘on ne le voit jamais’. Ce à quoi je répondais : ‘et toi, ta femme, on la voit ?’ Franchement, combien de domaines portent des noms de femmes ?

Vous l’aurez compris, Évelyne n’a pas la langue dans sa poche. Élégante, certes, mais ferme autant que le nécessaire le réclame. Ingénieuse dans son ingénuité subtile et dans son approche psychologique quand il faut faire passer des idées auprès de ses pairs. Ce monde d’hommes n’écoute pas beaucoup et se remet rarement en question. Mais la femme, par nature, sort du rang. Une idée de changement de sa part ne la compromet donc pas vraiment. Le changement qu’elle propose alors va peut-être cheminer lentement, quelques mois, quelques années. Mais, un jour, il sera victorieusement proposé par des hommes qui l’auront digéré, se le seront approprié pour le mettre à exécution sans jamais parler de l’auteure et en retireront toute la gloire.

À SAVENNIÈRES LES FEMMES COMPTENT

Pas joli-joli, cela, messieurs… Mais si Évelyne de Pontbriand sourit de vous pourfendre, c’est avec une tendresse certaine. Parce qu’elle aime aussi les hommes. Nous avons un devoir de réagir par rapport à nos filles – elle en a deux –, d’agir, de changer le monde, de ne pas attendre sans participer. L’abstention n’a jamais fait avancer quoi que ce soit. Elle aime beaucoup cette phrase de Ghandi : ‘Be the change you want to see in the world’. » En français dans le texte : ‘Sois le changement que tu veux voir dans le monde’.

Reste qu’à Savennières les femmes qui ont compté ne sont pas si rares. À croire que le tempérament contestataire est rivé aux murs de la commune. On pense, pour citer quelques unes de ces réfractaires au machisme, à la baronne Brincard, madame Joly, Monique Laroche, la vicomtesse Walsh, Marque du Closel, Michèle Bazin de Jessey. Elles nous ont préparé la voie avec intelligence et panache, affirme Évelyne. Et nous n’avons aujourd’hui aucun problème, Virginie Joly, Tessa Laroche et moi, à nous faire respecter aussi bien en interne dans nos entreprises que dans les trois syndicats d’appellations Savennières. Mais on attend de nous l’excellence en tout genre et on ne nous pardonnerait pas la médiocrité, le manque de stratégie ou de vison qui ont jadis été pardonnés à quelques hommes.

Évelyne de Pontbriand n’oublie pas non plus de tirer un coup de chapeau (qu’elle n’a pas, ceci étant précisé pour ceux qui pensent que toutes les aristocrates en portent toujours un…) : ses deux grands-mères, sa tante du Closel et sa mère. De très fortes personnalités, de grande classe, libres et intelligentes.

Mais Évelyne plaide, au bout du compte, pour un équilibre entre les femmes et les hommes. Elle précise même que certains d’entre eux lui ont permis d’avancer au mieux dans sa vie et dans son nouveau métier de vigneronne. Mes grands-pères et mon père m’ont toujours associée à leurs passions, à leurs réflexions, à leurs lectures, à leurs activités, et puis mon mari, toujours absent mais qui m’a totalement confié l’éducation de nos quatre enfants et la gestion de notre vie familiale pendant de très nombreuses années. Elle évoque « de merveilleux amis, des experts comme notre œnologue Clément Barrau, des professeurs comme Pierre Masson, Dominique Massenot, et dans le monde entier des intervenants de l’O.I.V. (Organisation Internationale de la Vigne et du Vin), des collègues, des clients et, en particulier Jo Dressner ». Ils m’ont tout appris de mon métier.

Mais parce qu’il faut bien quitter Évelyne de Pontbriand, autant terminer par l’humour qu’elle sait manier avec élégance et gourmandise. Cette formule du duc de Noailles, par exemple (mais je ne sais duquel il s’agit), souligne bien son appétit de vie : « La Loire est une grande femme fatiguée qui ne montre un peu de vigueur que lorsqu’elle sort de son lit. »

Jean Claude Bonnaud

Ecrit par Jean-Claude BONNAUD
Amoureux des mots. Les mots des papiers de la PQR dont il a dirigé plusieurs titres prestigieux. Les mots de la dégustation publiés dans le Vin Ligérien. Les mots de ses livres où le fleuve royal n’est jamais bien loin. Et les mots de son monologue "Le Vieux qui aimait les fautes d’orthographe" lu à haute voix par le comédien Philippe Ouzounian.

Commentaires:

  1. Jordi Ballester dit :

    L’univers du Chenin est triste. Elle était une des ambassadrices de ce cépage dans le monde.
    J’adhère 100% à ce qui est du sur elle et sur sa maman; ‘De très fortes personnalités, de grande classe, libres et intelligentes. »

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