Qui contestera que la musique puisse sublimer votre verre de vin?
Étrangement, musique et vins partagent le même vocabulaire : on parle de notes, d’accords, d’associations, de légèreté, de complexité, on dit d’un thème qu’il peut être floral, d’une verticale qu’elle est crescendo…comme nous l’évoquions dans l’article Musique et vin : la dégustation augmentée. À la Forteresse de Berrie, les organisateurs avaient préféré dissocier les deux évènements. Il est vrai que le final du concert « Trio pour Piano, Clarinette et Violoncelle » de Johannes Brahms magistralement interprété par Emmanuel Strosser (piano) Han Kim (clarinette) et Sung-Won Yang (violoncelle) a déclenché une jubilation qui s’est répandue comme une onde dans l’assistance. Puis la tension est retombée et la bouche s’est asséchée ; il commençait à faire soif…
Si vous voulez bien passer dans la cour pour la dégustation de nos vins, annonça Gilles Colinet, le maître des lieux.
Allez comprendre pourquoi les invités se précipitèrent sur le Pét-Nat rosé et le cabernet d’Anjou perlant de fraîcheur ? Dommage que la dégustation ne se déroulât point dans les caves troglodytes juste en dessous, où nous aurions davantage apprécié l’AOC Puy-Notre-Dame et les vieux Saumurs blancs du domaine.
La cour ombragée d’arbres vénérables nous offrait un peu de fraîcheur et surtout un moment de vérité. Les bâtiments, la chapelle, l’aula, le logis, juste « rapiécés » avec quelques blocs de tuffeau, inscrivent le lieu dans le présent tout en respectant ses huit siècles d’histoire.
L’on s’y sent bien, tout simplement.
MAIS OÙ SOMMES NOUS ?
Berrie est une toute petite commune rurale de la Vienne (256 habitants) située sur un territoire improbable, aux confins de la Vienne, des Deux-Sèvres et du Maine-et-Loire. Berrie appartient à la Nouvelle-Aquitaine ce que les historiens qualifie de « juste retour des choses » en évoquant Aliénor d’Aquitaine. Vestige de la puissante alliance de l’Angevin Plantagenet et de la duchesse, cette forteresse médiévale du XIIème siècle a vécu une existence plutôt tranquille, elle n’a jamais accueilli de prisonniers célèbres ni connu de siège marquant.
Propriété de la puissante famille de Dreux-Brézé, dont le fief est situé à côté, au château de Brézé jusqu’à la fin du XIXème siècle, elle fut bichonnée notamment par l’aïeul Pierre-Simon, évêque de Moulins, qui s’attacha à l’embellir et à faire prospérer la vigne.
La fin du XXème siècle fut un calvaire pour Berrie, comme pour la ruralité française. Les commerces ferment, le bar-tabac ferme, l’école publique ferme, les emplois locaux disparaissent, les maisons en tuffeau se dégradent, l’argent s’évapore tandis que les produits phytosanitaires se répandent massivement à la vigne et sur les cultures céréalières. Évidemment la forteresse se délite et se transforme peu à peu en bâtiment agricole. Il n’y avait pas d’avenir pour les jeunes, souligne Jean-Paul Fulneau, le maire actuel. Berrie la commune allait-elle sombrer pour de bon?
DEUX SAUVEURS POUR LA FORTERESSE
Un premier sauveur survint dans les années 90, il s’agit de Jacques Pareuil, un Périgourdin au parcours atypique de baroudeur-juriste qui l’a conduit au plus haut niveau de l’entreprise Ford France. Il acquiert les ruines de la forteresse et les quelques hectares de vigne autour.
Il vivait comme un ermite ici, tout le temps au travail. Il aménage les caves troglodytes, s’entoure des conseils des vignerons locaux et fait rapidement connaître les vins du Château de Berrye, en AOC Saumur blanc, rosé et rouge, vite référencés dans le guide Hachette. Il se tue à la tâche, au sens propre du terme. Après son décès en 2016, sa fille, un instant tentée de poursuivre l’œuvre de son père décide plus sagement de mettre en vente.
ACTE II
La famille Colinet entre en scène. Lui fut longtemps directeur de pépinières en Anjou et elle, Sandra Bernard-Colinet, une analyste financière réputée. Le couple entend tout simplement redonner vie à la forteresse classée MH dans son ensemble. L’affaire prend une autre dimension avec un chantier de réhabilitation colossal et une inscription à la Fondation du Patrimoine, gage de sérieux et d’alléchantes réductions fiscales pour les généreux donateurs. Il est vrai que l’ambition des époux Colinet est immense : il s’agit tout simplement de faire de la Forteresse de Berrye un lieu de séjour et de gastronomie dédié aux grands vins de Saumur.
Auriez-vous entrepris un tel chantier si la forteresse n’étaient pas assise sur un terroir exceptionnel ? Le maître des lieux estime que le patrimoine bâti et le patrimoine viticole sont indissociables. La conversion en bio est engagée, un plan d’agroforesterie est lancé pour reconstituer les haies et les drôles de moutons d’Ouessant se gavent de la bonne herbe des douves sèches.
CRAIE TUFFEAU DU TURONIEN
Il faut dire que le sous-sol ici est exceptionnel. Sous la butte qui coiffe le bourg, la craie-tuffeau est tout de suite présente. Le calcaire tendre permet depuis toujours à l’homme de creuser d’immenses galeries à température constante de 12° si favorables à la conservation des vins et à la culture des champignons. Ce terroir a ses cépages de prédilection, le chenin en blanc, et le cabernet franc en rouge.
Ce même phénomène géologique se reproduit sur les nombreuses buttes alentour, souvent coiffées d’un hameau, la vigne étant plantée sur les sommets et les versants sablo-argileux, les céréales dans la plaine. La plus célèbre d’entre elles est la cité vigneronne du Puy-Notre-Dame, qui a donné lieu à une appellation village, l’AOC Saumur Puy-Notre-Dame en 2008 fondée sur l’aptitude de ces terroirs à produire de grands vins de garde issus du cabernet franc.
Mais qu’en est-il pour le chenin blanc ? Le dossier d’une appellation village Brézé fait son chemin, comme nous l’avions relaté dans l’article Brézé. Le projet est porté par la vague populaire FANDECHENIN qui se répand sur les réseaux sociaux et dans les salons-dégustations de la région. Une région méconnue à découvrir à vélo.
La journaliste Ophélie Neiman nous a récemment proposé une « balade au fil des vins de Loire » publiée dans Le Monde des Vins du 24 juin. Une virée de 180 kilomètres entre Amboise à Saumur sur la véloroute la plus célèbre de France : la Loire à Vélo. Les plus belles appellations, les paysages grandioses, les plus belles caves et les tables savoureuses défilent dans son carnet de voyage qui omet cependant les désagréments petits et grands en lien avec ce qu’il faut bien appeler une sur-fréquentation touristique.
Nous proposons au départ de Saumur une boucle d’une cinquantaine de kilomètres beaucoup plus authentique, à travers les paysages vallonnés du sud-saumurois, de ces rivières préservées et de ces bourgs et hameaux vignerons. Ici et là nous citons des amis, n’hésitez pas à leur parler de Génération Vignerons, ça fera plaisir à tout le monde.
Direction Bellevignes-les-Châteaux, voilà un nom bien choisi pour cette commune nouvelle qui regroupe Brézé et Saint-Cyr-en-Bourg. Son slogan un peu racoleur : un territoire à visiter, un territoire à habiter drague clairement le nomade télétravailleur. Saint-Cyr-en Bourg abrite la célèbre cave coopérative Robert et Marcel (180 adhérents). Ambiance sympa autour du ballet des poids lourds, des cuveries XXL et des grands parents qui ramènent des Bib de rosé pour les barbecues de l’été. C’était le temps du lien fort entre le vin, les fêtes religieuses et la famille. Un lien visiblement en péril puisque Robert et Marcel fut récemment débaptisé en Vignobles Edonis et la cave coopérative en collectif de vignerons.
Foin de nostalgie à l’approche de Brézé et de son château. C’est beau, très beau depuis des siècles et des siècles.
Le comte de Colbert lui-même en fait le commentaire et assure personnellement quelques visites guidées.
Allez ! on règle le vélo en position sport et on grimpe au sommet de la butte. Là, vous découvrirez les fameux clos de Brézé qui produisent des blancs déjà appréciés des tables de Versailles. Le clos des Carmes de Romain Guiberteau entre dans le cercle restreint des « très grands vins de Saumur » célébrés par le critique Curnonsky.
Vous rejoindrez Montreuil-Bellay par Saint-Just-sur-Dive, une coquette cité vigneronne. La cave d’Arnaud Lambert vous fera découvrir à la dégustation l’essence des grands vins d’ici. «Puissante cité médiévale » ou « ville fortifiée de l’Anjou » voilà Montreuil-Bellay, dont le nom n’a rien à voir avec le poète renaissance Joachim du Bellay. Au pied de l’éperon rocheux sur lequel est planté le château-forteresse coule le Thouet, un affluent de la Loire avec ses cascades et ses plans d’eau dédiés aux activités nautiques.
Rien n’est défiguré ici, c’est normal car l’époque moderne a oublié cette ville, sauf un certain Edgard Pisani, ancien ministre de l’agriculture qui a créé le lycée agricole et son célèbre BTS oeno-viti.
On pose le vélo et on suit le parcours matérialisé par des clous au sol ; pas moins de 25 curiosités accrocheront votre regard curieux. Si une petite faim vous tenaille, ou plutôt si vous avez envie de vous créer un beau souvenir gastronomique, un adresse s’impose : l’Auberge des Isles lauréate du prix de l’Œnotourisme lorsque Génération Vignerons l’a découverte il y a quatre ans.
Pendant le déjeuner, vous pouvez faire recharger votre batterie à l’aire d’accueil vélo située sur l’itinéraire cyclable Vélo Francette. Là, vous devrez faire un choix directionnel. Soit vous partez vers l’est pour rejoindre Berrie (11km) et pousser peut-être jusqu’à Loudun, soit vous pédalez vers l’ouest pour atteindre Le Puy-Notre-Dame (8km) ; attention ça grimpe (103m) ! Le hameau troglodyte de Chavannes, en lisière du Puy offre une concentration de beaux domaines viticoles qu’il serait dommage de rater : domaine de l’Arguray, Antoine Butet, La Paleine, la Tête Rouge, sans oublier le domaine de l’Enchantoir (Jean-Michel Brunet) qui nous avait reçu juste avant la pandémie. Avant de partir, poussez donc la porte de la collégiale du Puy et découvrez une « relique de la Sainte-Vierge » dont l’authenticité n’est pas forcément garantie mais qui raconte une histoire incroyable.
Faire un crochet par le sud pour visiter Thouars (20km) est une option réservée aux plus téméraires mais elle vaut le détour. Thouars est une Ville d’art et d’histoire des Deux-Sèvres qui a connu une grande renommée sous l’Ancien Régime, avec les ducs de Thouars, la Maison de la Trémouille, Marie de la Tour d’Auvergne ou Marguerite d’Écosse. Il en ressort l’impression d’un costume XXL flottant sur la taille S du gabarit d’aujourd’hui. Le bâti - anciennes écuries, hôtels particuliers, maisons à colombage – est dans son jus, c’est-dire en quête d’investisseurs qui voudraient redorer le blason de celle qui fut une riche cité du Haut-Poitou.
Si la vigne est absente à Thouars, elle s’arrête juste avant, à Oiron. Une petite commune grandie par la renommée de son château, propriété du Centre des Monuments Historiques et celle d’un couple vigneron exceptionnel, Céline et Benoît Blet, Domaine des Terres Blanches.
Il serait trop long de décrire leur travail en bio, en circuit local, en agroforesterie. Des vins encore très accessibles qu’on trouve sur les tables gastronomiques de la région, ou ça ? Impasse de la Poste, cour des badauds à Oiron, en voilà une bien belle adresse !
FIER DE SON VIGNERON NATURE
Berrie la commune miraculée peut s’enorgueillir d’accueillir en son sein l’un des vignerons vedettes des bars à vins de Paris, Londres, Berlin ou Tokyo. Il s’agit de François Saint-Lô. Ah François…. comme dit monsieur le Maire. Le chantre du vin nature a posé son matos il y a 10 ans, rue des belles caves, là où il a fondé son collectif. Une autre philosophie, une façon différente de travailler la vigne, de concevoir le vin qu’il a apprises notamment auprès d’Éric Dubois (Clos Cristal à Saumur).
Il travaille en famille avec sa sœur Justine, illustratrice de BD et d’étiquettes, avec son cheval et vinifie «sans aucun intrant » dans ses grandes caves troglodytes.
JLPGoodwines a dégusté sa cuvée: Hey GG !, cépage grolleau gris, levures naturelles, moins 10mg de SO2. Ce vin plutôt rosé que rouge, titre seulement 9% de volume d’alcool. Très fruité. Arômes délicats. Aucun défaut. Un bel hommage aux vins de pays de nos grands- pères. Sans chichis, ni danger, filant sa route du gosier aux méandres d’un ventre. Son travail et son style ont été récemment repérés par des réalisateurs « engagés nature » comme Aline Geller, auteure de la Révolte Nature et la série Punkovino diffusée sur Arte.
UN COIN À VIGNERONS
Comme on parle d’un coin à champignons ! La vigneronne Isabelle Suire qui a repris les rênes du domaine familial est aussi d’ici. Son domaine de 16 hectares associe à égalité le chenin et le cabernet franc pour les décliner sous toutes les coutures incluant le Saumur fines bulles et le rare coteaux-de-Saumur, un vin moelleux qui n’a rien à envier à ses voisins du Layon ou de l’Aubance. L’intrépide vigneronne est aussi fortement impliquée dans la profession en ayant longtemps présidé aux destinées du syndicat AOC saumur blanc. Une solidarité vigneronne qui s’exprime ici par des actes, quand les collègues se sont tous mobilisés l’an passé pour sauver les vendanges de Joris Naveau (domaine de la Coudraie), victime d’un grave accident.
Si quelqu’un est fier de sa communauté vigneronne, c’est bien Monsieur le Maire :
Revenez donc un vendredi matin, vous les verrez au marché des jeunes maraîchers, ils sont tous du coin. Le commerce revient, il y a un avenir pour les jeunes.
Jean-Philippe
Ecrit par Jean-Philippe RAFFARD 
