Ça commence à devenir compliqué ; on a été déréférencé récemment, deux fois ; ce sont les cavistes indépendants qui réagissent le plus. De quoi parle-t-il notre vigneron indépendant du Saumurois ? Eh bien, de ne pas avoir pris le train de l’agriculture biologique. Remarquez, nous pratiquons l’agriculture raisonnée avec moins de produits et plus de respect pour l’environnement, mais ça ne suffit pas ; les clients veulent du label AB ou Demeter, sinon ils ne prennent pas ou alors ils te font une pression terrible sur les prix.
Ces remarques plutôt désabusées font écho à la discussion que j’avais eu avec Claire Lecomte au château de Passavant- 55ha en biodynamie- lors de la Paulée de l’Anjou noir : la demande pour le vin bio est bien là, le marché s’est organisé avec le négoce de plus en plus présent, nous écoulons comme ça autour du quart de notre production, malheureusement, le prix n’est pas toujours à la hauteur du travail.
En cette fin d’été 2016,
le vin bio s’affiche clairement avec une supériorité dans les foires aux vins, dans les rencontres viticoles, dans la littérature ou dans la communication des producteurs. Pourquoi cette année, alors qu’on parle de la « révolution bio » depuis plus de 20 ans ?
Force est de constater que les lignes ont bougé. On ne parle plus des producteurs baba-cool, avec tatouages et catogan qui expérimentaient des vins de garage à l’hygiène contestable. Ça, c’était pour le folklore, alors que les gens sérieux faisaient des vins techniques, avec le soutien de la filière viti-vinicole. Puis vinrent les pionniers du bio, les François Chidaine, Pierre Morey, Charly Foucault, Thierry Germain, les Zind- Humbrecht, Nicolas Joly et tant d’autres ; ils ont imposé le respect pour leur engagement et leur niveau d’exigence. Les efforts ont payé et pour beaucoup d’entre eux ils représentent les références viticoles de leurs régions.
Et soudainement le problème de santé publique…
a surgi dans les médias, avec le magazine Cash Investigation d’Elise Lucet (février 2016) qui publie la carte des ventes de pesticides dangereux pour la santé : triste podium pour la Gironde, la Loire Atlantique et la Champagne. France 5 n’est pas en reste avec le documentaire : pesticides, le poison de la terre, diffusé à une heure de grande écoute.
On ajoutera le livre de Jean-Marc Carité : Soif de bio (éditions La Plage), récemment publié qui dresse un état des lieux de la culture bio et tente d’expliquer l’éthique bio en démolissant joyeusement l’approche conventionnelle.
A-t-on le droit mettre en danger la santé de sa famille, de ses employés, de ses voisins, des enfants des écoles avec une utilisation excessive de produits de chimie de synthèse? Les méchants sont ceux qui nous empoisonnent, les gentils ceux qui refusent, luttent et proposent une alternative. C’est manichéen, c’est simpliste, me direz-vous, mais diablement efficace sur le plan de la communication.
Des signaux faibles émis par le négoce et les plates-formes de distribution vont dans la même direction. Dans le numéro spécial Foires aux Vins du magazine Terre de Vins, Virginie Morvan de Lavinia.fr affirme : la majorité de nos bouteilles dont 60% en bio, sont à moins de 20€. La très influente Angélique de Lencquesaing, d’Idealwine précise que la sélection Idealwine Foire aux vins 2016 (200 références) privilégie les vins certifiés en agriculture bio ou biodynamie.
Peut-être sommes nous dans une forme de communication confidentielle qui ne touche qu’un public restreint ; certes, mais que penser de la communication massive de la Foire aux vins de Carrefour conseillée par Paolo Basso, meilleur sommelier du monde 2013 ? Sa sélection coup de cœur affiche 5 bouteilles lauréates, dont 2 sont en bio – Sancerre, Domaine Fouassier 2015 et Palette, Château Henri Bonnaud 2013. Quand on sait qu’une bouteille sur dix consommées en France est bio, on devine l’orientation du marché pour les années à venir. Créer un véritable marché du vin bio, avec probablement des dérives industrielles rendu possible par la directive européenne de 2012, comme Génération Vignerons l’a décrit et dégrader les vins de l’agriculture conventionnelle au motif que les Français n’ont plus confiance….
Le plus étonnant, c’est le silence assourdissant de l’UIC, l’Union des Industries Chimiques la voix de la chimie en France. En 2015, lorsque le ministre Stéphane Le Foll avait annoncé un plan de réduction de 50% des pesticides à l’horizon 2025, les chimistes s’étaient indignés, s’estimant stigmatisés et jugeant les mesures trop punitives. Qu’ont –ils à proposer ? J’ai beau cherché, je ne trouve rien. Ah si, Bayer qui veut racheter Monsanto pour 62 milliards de dollars. Faudra quand même les sortir, les milliards, alors le prix du Roundup ne va pas surement pas baisser. Et les pauvres vignerons en agriculture conventionnelle ne pourront plus se l’offrir, tant le prix de leur vin aura chuté.
Jean-Philippe