Mon dernier voyage m’a amené en Crète, île riche d’une histoire de plus de 5000 ans.
Est-ce l’espoir d’enfin rencontrer Zeus qui m’y conduit chaque fois, ou le bonheur d’y retrouver des endroits préservés où toute la palette des sens est à portée de main, sous un olivier, au bord de la mer de Lybie ? Mon bonheur de vivre y est maximal, j’y respire à pleins poumons et, me dit-on, j’ai un sourire permanent sur les lèvres.
Cette fois, je me suis posé dans la région de Plakias parce que le Sud de l’île y est tellement spectaculaire avec ses nombreuses baies, souvent accessibles uniquement après une longue marche pentue. Les hordes de touristes n’étant pas encore arrivées, c’est l’occasion de goûter à l’hospitalité incomparable des Crétois et Crétoises.
Entré dans une boutique touristique pour y acheter des tee-shirts bon marché, je me suis vu offert une dégustation de raki crétois, produit dans la maison. Je connaissais cette boisson à 40 degrés que l’on trouve dans toutes les échoppes pour touristes et n’en ai jamais été fan, ne goutant que l’alcool qui brûle l’œsophage. En honneur de la grande hospitalité des crétois, je l’ai néanmoins dégusté, sans autre plaisir que le moment partagé avec les commerçants, me disant que cet alcool n’était pas fait pour moi.
Raki ou Tsikoudia ?
Le lendemain, le Notias, vent qui balaie la côte, s’étant autorisé une sortie, il m’ a pris l’envie de me mettre à l’abri en visitant une des rares distilleries de l’île, la 35N Cretan Distillery. Logée dans un hangar de construction récente, elle se trouve à quelques kilomètres de Rethymnon, ville emblématique de la culture et de la tradition de la région, dominée par son impressionnante forteresse minoenne.
L’accueil est chaleureux et l’humour insulaire : 35N est en effet une habile référence au 35ème parallèle qui traverse l’île d’ouest en est.
Le propriétaire, Ilias Melissourgos , autant fier de sa distillerie que de la 2CV parfaitement rénovée, blottie entre les caisses d’alcool prêtes à l’envoi, nous laisse aux bons soins de son maître de chai, Manolis, pour une visite complète des lieux. Je comprends rapidement deux choses : les Crétois ne parlent pas de raki, nom d’origine turc, lié à la longue occupation ottomane, mais de tsikoudia, boisson nationale autant humble que traditionnelle.
La tsikoudia est une eau-de-vie de marc de raisin produite quasi uniquement au départ de variétés de raisins crétois. La distillerie 35N se veut le porte-parole de l’excellence crétoise en distillation, avec une approche artisanale très poussée. La distillation est très règlementée en Crète, la tiskoudia étant une indication géographique restreinte au territoire de la Crête et protégée par l’Union européenne.
Un élément incontournable de la culture crétoise
La tsikoudia fait partie entière de la culture crétoise, au même titre que le pentazoli, danse la plus célèbre de Crète, le régime crétois, tellement protecteur sur le plan cardiovasculaire, les divinités grecques ou les monastères, souvent encore en activité.
Au-delà de cette contribution culturelle, la tsikoudia c’est aussi un catalyseur des relations sociales comme ce charmant accueil qui m’a été réservé à la distillerie.
La visite débute par la découverte des alambics en cuivre, beaux comme des trombones à coulisse. Ils offrent une distillation discontinue fractionnée grâce aux différents niveaux permettant la séparation des vapeurs.
De manière très ingénieuse, la base de l’alambic en cuivre est entourée d’une double paroi en métal permettant une chauffe homogène par la vapeur émise.
La démarche durable est aussi bien présente dans cette distillerie puisque le produit de chauffe est constitué de noyaux d’olives récupérés chez un voisin producteur et que le méthanol est séparé et destiné à un fabricant local de produits d’entretien.
Une grande diversité d’arômes
Mon émerveillement va se poursuivre lors de la dégustation. Plusieurs cépages différents sont proposés, produisant des cuvées très différenciées et bien éloignées du raki trouvé dans le commerce touristique ou les grandes surfaces :
La cuvée Blend blue label est préparée à partir des cépages crétois vidiano, liatiko, romeiko donnant un arôme intense et une rétro-olfaction très équilibrée,
La cuvée Red label produite à partie de syrah permet de retrouver ce goût de marmelade de fruits rouges avec une longueur poivrée. Totalement surprenant pour un alcool blanc,
La cuvée Bronze : est à base de Muscat de Spina. Ce clone de muscat provient du petit village de Spinas à proximité de la Canée, autre port emblématique de la côte nord de la Crète. Les arômes de rose qui s’en dégagent sont d’une finesse exceptionnelle,
La cuvée Pourpre fait appel au Malvasia di Candia , cépage de la grands famille des malvasia. Dans les cercles ampélographiques les uns pensent qu’il s’agit d’une sous-variété de malvasia alors que d’autres le considère comme un cépage à part. Selon Pierre Galet, cette malvoisie est particulièrement cultivée dans le Latium mais ce cépage est bien d’origine grecque. Pour preuve, Candia est le nom italien pour Heraklion, la capitale de la Crète.
La divine hospitalité crétoise
Ce que Ilias Melissourgos a réalisé avec ses amis au sein de 35N est un témoignage d’amitié et d’ambition des Crétois de rendre à leur île le meilleur qu’elle leur a donné.
En Crète, la tsikoudia porte les valeurs de l’hospitalité, de l’amitié, du partage et de la célébration. C’est une très bonne façon d’explorer la Crète. J’aime beaucoup aussi la philosophie qui entoure sa consommation : la tsikoudia ne se boit jamais seul !
Il n’est pas nécessairement facile de trouver de la tsikoudia de haute qualité. La boutique l’Esprit Crétois, qui vend en France, en Belgique, au Luxembourg et en Allemagne est une des sources sûres.
Bonne dégustation !
Marc
Ecrit par Marc Tomas 
