« Nous assistons à une forme de ré-enchantement dans le rapport au vin, avec une génération qui porte un nouveau regard en particulier chez les femmes et les jeunes trentenaires », déclarait Marie Mascré, co-fondatrice de SOWINE, à l’automne 2024. On est heureux de commencer par une note optimiste.
L’agence SOWINE est connue pour capter les petits mouvements et les petits changements de comportements des acheteurs de vin. Son optimisme pour 2024 provient du fait que le vin a repris la tête comme boisson préférée des Français. L’étude nous indique aussi le gros plongeon des sites marchands de vente de ligne. Nos amis cavistes retrouvent le sourire. Saviez-vous qu’un tiers des Français estime très important de pouvoir goûter le vin avant de l’acheter ? Nous le pensons aussi, à Génération Vignerons.
POUR GOUTER LE VIN,
soit on se rend au domaine, soit le domaine vient à nous. Telle est la raison d’être des salons des vins qui fleurissent partout en France dès les premiers frimas venus. Lors de ce week-end d’automne, trois salons parmi tant d’autres, aux histoires très différentes, nous ont vivement intéressés.
Aux Vignobles ! Vins et gastronomie de nos régions, est la version new-look des « Salons des Vins et de la Gastronomie » depuis que GL Events Exhibitions – le poids lourd de l’évènementiel en France – a repris ce réseau d’événements locaux (Angers, Brest, Nantes, Chartres, Biarritz, Cherbourg, etc).
Le relooking du salon surnommée Balade épicurienne est particulièrement réussi, on sent qu’il fallait donner plus aux exposants, en information et en visibilité pour qu’ils continuent à s’inscrire et à se déplacer à coûts toujours plus élevés.
POUR RETROUVER MES CLIENTS
Tentons le vendredi, le jour d’ouverture. Je repère le parking du parc -expo de la Beaujoire, Nantes, à l’encombrement de camionnettes blanches anonymisées. On oublie les logos sympas, les dessins de jolis châteaux ou des grappes de raisin sur les carrosseries qui avaient trop d’attraits pour des gens mal intentionnés.
Les clubs séniors bénéficiaient-ils d’un accès gratuit ? En ce milieu d’après-midi, les silhouettes voutées étaient très majoritaires et les diables soigneusement rangés. La surprise venait de la grande bienveillance des exposants. Moi, si je reviens à Nantes, chaque année, c’est pour retrouver mes clients; on s’attache, vous savez ! me glisse la représentante des champagnes Herbert Beaufort à Bouzy. Et puis, on a maintenant un gîte Clévacances, pour les familles, merci de faire passer le message.
VENDRE c’est bien la motivation première des exposants qui font généralement « la tournée bretonne » avant de revenir dans leur appellation d’origine. Il y en a qui réussissent, d’autres moins.
Commençons par la note sombre : le domaine Amblard, en AOC Côtes-de-Duras, coche toutes les mauvaises cases. Un stand usé jusqu’à la corde, des cartons en vrac, des bouteilles entamées sur le comptoir. Le couple Pauvert, Guy et son épouse accueillent les visiteurs avec un sourire las.
Lui commence par me dire que le prolongement de l’ouverture jusqu’à 21h ce vendredi est une vraie galère. On a démarré à 7h, ce matin pour installer le stand, vous vous rendez compte !
COMMENT TENIR ?
Je compatis avec bienveillance, du coup l’homme se détend et me décrit son calvaire. Les dix plaies d’Égypte : une année climatique horrible, 100 hectares de vigne qui ne valent plus rien, même pas de primes à l’arrachage. Eh non, on n’est pas en AOP Bordeaux, ici. Des salariés qu’il ne peut plus garder, des enfants, petits-enfants qui ne veulent pas reprendre, les investissements au point mort, le négoce aux abonnés absents. Son épouse intervient : on a démarré avec 5 hectares, il y a 50 ans et puis mon mari a racheté de la vigne tout autour, année après année, jusqu’à devenir l’un des plus gros domaines.
« Tout ça…pour ça ! » dirait Claude Lelouch. Cette femme au visage si las mais toujours souriante se reprend vite : Qu’est-ce que je vous sers ? Une petite goutte de ce moelleux 2014, « entre vivacité et douceur » à base de sémillon en vendanges tardives, à la jolie couleur dorée. C’est bien fait, j’en achète une bouteille pour 12,90€, la plus chère de la gamme.
Que va-t-on faire des 2000 hectares de l’appellation ?
LES JEUNES SONT DE RETOUR
Comme une marée montante, la foule s’est répandue dans les allées par nappe, par affinité. Et là, surprise, je suis entouré de jeunes. Des copines en goguette, des étudiants en Erasmus, des apprentis sortant du boulot. Le salon est un super plan pour déguster « à l’œil ». Pas forcément du goût de la fromagère qui n’arrêtait de recharger son assiette-dégustation.
Le plus désirable des stands fut probablement Le Lozérien. Si vous vous arrêtez, vous achetez, surtout si vous goutez sa sauce aux cèpes. Le Lozérien est une success story rurale qui emploie une dizaine de personnes pour trier, déshydrater et conditionner les champignons sauvages (cèpes, girolles, morilles, chanterelles, trompettes des morts, etc). Pour la cueillette on a des ramasseurs. Sympa d’être retraité du côté de Marvejols !
Le jeune patron fils du fondateur est fier d’annoncer qu’il exporte partout en Europe et tient à remercier l’organisateur GL Events Exhibitions qui l’accompagne dans son développement.
SOUS LA FORTERESSE ROYALE
T’CHINONS sous le château nous attendait le lendemain à….Chinon bien sûr ! Juste un mot sur le lieu : les caves troglodytes M. Plouzeau qui s’enfoncent au plus profond sous la Forteresse Royale vous procurent un dépaysement total propice à l’ambiance du Salon des Vignobles Participatifs.
Est-ce vraiment un salon ? Sa durée, ses conférences, ses visites, ses moments festifs l’apparenteraient davantage à un symposium, mais le mot est trop érudit. Des rencontres ? trop vague. Un club ? trop élitiste. Un tasting ? trop commercial. Un rassemblement ? trop politique. Pas surprenant que cet OVNI– Objet Viticole Non Identifié – se cherche autour d’une définition qui engloberait toutes ces pistes sémantiques.
Oui, il s’agit bien d’une réunion « militante » des membres du mouvement Terra Hominis autour de son fondateur charismatique Ludovic Aventin. Les 150 invités partageaient le privilège- pour leur grande majorité- d’être co-propriétaires d’un ou plusieurs vignobles. Catherine, habitant la région parisienne me dit : J’ai déjà investi dans trois vignobles et je pense continuer ; il y a un domaine en Anjou, qui m’intéresse (domaine des Quarres). On ne développera pas ici les modalités du dispositif Groupement Foncier Viticole GFV détaillées dans l’article : Le monde (du vin) selon Ludo.
UN INVESTISSEMENT RESPONSABLE
Là, ce sont des jeunes professionnels de la tech. Mon père a investi dans un domaine, il y a quelques années me dit Loïc, maintenant c’est à mon tour. Les motivations sont diverses mais tournent toujours autour de l’engagement – un investissement qui a du sens – pas philanthropique pour autant, les associés attendent un rendement servi en bouteille et les remises (15 à 30%) sur les achats dans les 34 domaines adhérents sont très appréciées.
Les vedettes du salon sont sans conteste les sept vignerons-vigneronnes présents, la jauge de la cave troglodyte ne permettant pas d’en accueillir davantage. Il est frappant de voir combien le rapport des visiteurs aux exposants est respectueux et réciproquement. Pas de marathon dégustatif pour les uns, pas d’œillades vigneronnes pour les autres. Les visiteurs s’approchent naturellement des tables de dégustation en écoutant attentivement les explications, leur verre en attente.
DANS LA PEAU DU VIGNERON
Celle de Julien Rossignol, par exemple, l’ingénieur agronome qui a repris récemment le domaine Louis Métaireau Grand-Mouton en AOP Muscadet Sèvres et Maine. Il insiste sur le respect du savoir-faire ancestral sur ce terroir d’exception. Ou Fabrice Reynaud des vignobles éponymes en AOP Graves qui nous parle de « dentelle géologique ». Nous avons ici une mosaïque de sols différents qui rajoute de la complexité et de la valeur à l’assemblage des cépages classiques.
Ou Véronique Gourdon & Cédric Aubert du Domaine des Quarres, ou encore Maxime Sécher du Domaine Angel Montgros, en AOP Faugères qui me convainc que l’altitude élevée de son vignoble est un atout pour l’équilibre de ses vins. Sans oublier Thierry Billès ou Caroline Jaron & Philippe Liberatore. Le dispositif du Groupement Foncier Viticole GFV a le grand mérite d’apporter de la sécurité économique aux vignerons chefs d’entreprises.
Les moyens supplémentaires dégagés par la vente d’une partie du foncier leur permettent d’investir dans les outils d’agroéquipement (enjambeurs, sécateurs sur batterie, robots viticoles, tracteurs électriques, pulvérisateurs intelligents, etc). Des investissements indispensables à l’heure du bilan carbone contraignant et de la main d’œuvre souvent défaillante.
Et une garantie de pérennité pour les investisseurs.
À LILLE CHEZ LES VIGNERONS INDÉPENDANTS
On ne présente plus l’emblématique Salon des Vignerons Indépendants. Il y a celui de Paris, bien sûr, le plus gros, qui rassemble 100 000 visiteurs. Et d’autres à Rennes, à Angers, Strasbourg, Bordeaux. C’est celui de Lille Grand Palais qui nous intéresse.
Parmi les 511 vignerons indépendants exposants, il y avait le domaine Annivy situé dans le village troglodyte de Dampierre/Loire. Vous ne connaissez probablement pas (encore) ce domaine de 12 hectares au nom étrange qui produit essentiellement en AOC Saumur (blanc) et Saumur-Champigny (rouge) sans oublier son crémant de Loire multi-médaillé.
Il fut repris en 2020 par Philippe Raison et Nordine Rabah, deux entrepreneurs de la tech. Notre ami dégustateur- rédacteur Eryck Ponseel était présent à Lille pour les aider à la vente. Notre stand C31 était situé entre le domaine Mazilly en Bourgogne et les vignobles Roy Trocard à Bordeaux. La Loire arbitre du match Bordeaux – Bourgogne, c’est plutôt rare!
Loin d’être un désavantage cet emplacement stratégique a permis au domaine Annivy de profiter du courant de visiteurs belges et hollandais venus s’approvisionner à Lille. Les Hollandais notamment, très présents le vendredi, achetaient massivement du Bourgogne, et pas que de l’entrée de gamme ! Il semblerait que la raison soit aussi fiscale. Le bilan de notre présence au salon de Lille est positif, nous reviendrons. Nous avons couvert nos frais avec presque une palette vendue, mais c’est un investissement dans la durée, beaucoup de nos clients de l’an passé sont revenus.
DES CONSEILS, DES CONSEILS, ET ENCORE DES CONSEILS
« De la bouteille au verre, comment réinventer votre approche commerciale ? » est un livre blanc destiné à frapper les esprits vignerons. Son contenu fut coordonné par Jean-Michel Cardebat, professeur d’économie à l’Université de Bordeaux et responsable de la chaire Vins &Spiritueux de l’INSEEC Grande École qui publie régulièrement dans The Conversation/Génération Vignerons. Son lancement se déroula lors du salon bordelais Vinitech-Sifel.
Devant le flot de conseils délivrés par les auteurs et experts bordelais- marketing digital, data, réseaux sociaux, outils d’influence ou CRM – on a envie d’ajouter, en paraphrasant W. Churchill : Vignerons pour réussir vos ventes, il y a trois choses essentielles : le contact, le contact et….le contact.
Jean Philippe