Boire un canon, c’est sauver un vigneron

Cette photo à la Une de Vitisphère interpelle. Ce 26 novembre à Narbonne, les élus de la République du Midi viticole ont manifesté aux côtés des représentants des instances professionnelles, syndicats, fédérations, vignerons coopérateurs ou indépendants pour dire aux Français : BUVEZ DU VIN !!, les supplier même, tant la situation est catastrophique.

L’injonction à boire du vin n’est pas nouvelle, mais elle provenait plutôt des producteurs ou des commerçants. La communauté vigneronne manifeste contre les Français qui ne boivent plus de vin, pas de quoi mettre le feu aux portes de la préfecture ni brûler l’effigie du président Macron mais il y avait une lassitude et un sentiment d’abandon.

Cette manifestation tenait davantage d’une marche à la mémoire du « bon petit vin de Sud » qui n’a pas survécu à l’accumulation des fléaux qui le frappe.

Bien sûr, les instances se sont appliquées à rédiger un cahier de doléances, comme en 1789, sensé redonner du souffle à une économie vigneronne en mauvaise posture. Avec toujours plus d’aide, plus de protection, plus de promotion, plus de ceci, plus de cela. Quelques piques à l’attention des écolos : cette clique d’activistes écolos qui devraient lâcher leurs téléphones et venir nous aider à désherber à la pioche !

C’EST FOUTU OU PRESQUE

Au fond d’eux-mêmes combien se disent : c’est foutu, il est temps de passer à autre chose.

D’autant que cette « autre chose » existe dans le monde réel, elle est expérimentée en Californie et en Andalousie notamment, c’est l’agrivoltaïsme.

Des mers de panneaux solaires recouvrant les vignobles de plaine avec une viticulture qualitative cantonnée aux meilleurs terroirs. Produire de l’énergie décarbonée, électricité et carburant bioéthanol ED 95 (voir Que faire des pépins de raisins ?), voilà peut-être un avenir pour les viticulteurs. Le jus de raisin fermenté n’a pas pour vocation exclusive d’enivrer le genre humain.

Mieux pour moins cher

On sait que la consommation est passé de 100 litres par habitant et par an en 1975 à 40 litres en 2022. Que prévoit-on pour 2030 ? Dans son baromètre 2023 sur les Français et le vin, l’agence SoWine nous confirme la tendance de fond : « consommer moins mais mieux » tout en soulignant que pour 49% de nos concitoyens, « le prix devient le premier critère d’achat devant la région d’origine ». Mieux pour moins cher, quel casse-tête !

Consommer moins est un critère quantitatif, cela veut que vous comme moi renonçons parfois à consommer du vin, peut-être le midi, peut-être en se fixant des périodes d’abstinence, peut-être en se limitant à un seul verre au restaurant, ou en passant plus souvent à la bière. Cela fait des millions de bouteilles qui ne seront pas achetées. Et comme une tuile ne tombe jamais seule, SoWine nous indique que 70% des consommateurs de vin boivent des vins étrangers (Italie, Espagne, Portugal), moi le premier.

COMMENT AGIR ?

Cette détresse me touche au cœur. Que puis-je faire ? Faire un don, partiellement déductible à la « Fondation pour le Patrimoine Viticole » mais elle n’est pas encore créée. Ou réactiver ma consommation. A la maison, ça ne va pas forcément plaire, mes proches suspectant chez moi une certaine forme d’addiction.

Alors, prenons une mesure symbolique : il y aura trois vins rouges pour le repas de fête : un Saint-Emilion GCC 2016 château Yon-Figeac d’Alain Château, une AOC Terrasses-du-Larzac, mas de l’Erme 2020 (Fabien et Florence Milesi) et, culture chrétienne oblige, un Pax 2020, Via Caritatis de l’abbaye du Barroux, en Vaucluse. Un geste pour les trois régions les plus sinistrées. Il est évident que des domaines réputés, reconnus pour la qualité de leurs vins ne sont pas en péril mortel comme ces milliers de vignerons et viticulteurs trop souvent bercés par les discours populistes de leurs instances professionnelles.

Il n’empêche que la planète vin toute entière est touchée par le dérèglement climatique et ceux qui arrivent à mieux valoriser leurs bouteilles sont obligés de redoubler d’efforts pour se maintenir à niveau.

UNE ÉTHIQUE DE L’ACHAT

Chacun de nous a une certaine éthique relative à l’usage du vin. On ne va pas en servir aux enfants ni aux personnes allergiques, on évite les excès, les beuveries, on respecte les règles d’hygiène en cave, tout comme son corps et sa santé. Cela tombe sous le sens, me direz-vous, question d’éducation et de savoir-vivre.

En est-il de même pour nos achats ?

Puis-je me permettre d’évoquer mon histoire personnelle, celle d’un baby boomer ? Dans les années 60 mon père achetait du vin à la propriété, chez des cousins du Bordelais qui tiraient le diable par la queue.

Il faisait la grimace, mon père, mais il fallait bien aider la famille.

Bien sûr, il y avait les recommandations des proches qui connaissaient un « petit vigneron qui avait oublié d’augmenter ses prix », et enfin l’achat habituel du vin des Rochers « le velours de l’estomac ».

Passons aux années fin de siècle avec l’essor des foires aux vins, le lien direct avec le propriétaire fut rompu. On achète une étiquette, des médailles, un prix.

Plus on avance dans le temps, plus le discours promotionnel devient envahissant, le prix obsédant.

C’est l’hégémonie de la marque triomphante.

UN MÊME LIEN DE CONFIANCE

Envers et contre tout, les Vignerons Indépendants de France maintiennent ce qui reste de liens avec leur clientèle. On recevait les tarifs par la Poste un peu avant Noël et ils nous souhaitaient de bonnes fêtes.

Et puis il y a eu l’Internet, les plateformes de vente en ligne, les expéditions tous azimuts.

Reprenons les fondamentaux. Le vin, c’est le partage. Trinquons entre amateurs, avec nos amis, nos proches, échangeons un instant nos regards croisés, souriants. Eh bien, faisons pareil avec le vigneron. C’est un même lien de confiance qui unit le vigneron à son client, qui unit l’hôte à ses invités. En pratique, c’est difficile de courir aux quatre coins de la France pour s’approvisionner.

Alors, on peut se fier à des tiers de confiance. Mes cavistes-sommeliers Gaétan et Mickaël à Nantes, par exemple. Leur éthique d’achat est irréprochable. Les ventes en ligne, parfois oui et de préférence quand c’est à l’initiative du domaine.

PLUS UNE BOUTEILLE ANONYME

Doit-on renoncer à tout achat en GD ? Je ne sais pas pourquoi mais j’ai en tête l’image de la petite souris, alléchée par l’odeur du fromage et qui se prend un coup mortel sur la tête. Ça s’appelle un piège, non ? C’est bien sûr caricatural car il y a des directeurs d’enseigne qui font un vrai travail de caviste dans leur région. Après il faut vivre avec son temps, fréquenter les clubs de dégustation, les portes ouvertes, s’abonner à Génération Vignerons, encourager les efforts des amis vignerons quand ils publient sur Facebook, se rendre aux invitations des domaines.

Ou rejoindre les communautés de clients -investisseurs de Terra Hominis.

Des petits comportements à changer ou infléchir dont la progression apporte beaucoup de satisfaction. Par exemple, dans ma cave aujourd’hui il n’y a plus une bouteille anonyme. J’ai revitalisé la mémoire de chaque quille. Je peux raconter son histoire et pourquoi elle se trouve là, même si c’est quelquefois par hasard.

Monsieur, Madame les représentants de la République, oui je suivrai votre injonction à boire du vin, mais pas celui qu’on me force à boire.

Jean-Philippe

Ecrit par Jean-Philippe RAFFARD
--------------------------------------------------------------- Toujours volontaire pour une virée dans le vignoble du bout de la Loire, du bout de la France, du bout de l’Europe ou du bout du monde, là où il y a des vignerons, là où il y a du bon vin. Jean Philippe n’oublie pas sa vie antérieure en marketing-communication pour lever le voile sur le commerce du vin et l’ingéniosité des marchands.

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