Le monde (du vin) selon Ludo

Paulée, le mot est populaire en Bourgogne pour décrire le dîner de fin de vendanges, il viendrait de « pelle » soit la dernière pelle ou pelletée de raisin versée dans le pressoir. Ouf ! C’est fini ! vous imaginez l’ambiance. Depuis le concept s’est assagi pour désigner un repas-vigneron « pas tout à fait comme les autres ».

Qui ne connaît pas la Paulée d’Anjou qui rassemble depuis 10 ans vignerons, acheteurs, importateurs, et amateurs pour une dégustation XXL suivie d’un mémorable dîner de gala ? Génération Vignerons s’en est fait l’écho à plusieurs reprises.

Le déjeuner-vigneron chez Plouzeau avait tout d’une paulée, même si on ne fêtait pas la fin des vendanges mais le début, même si les convives présents étaient plus investisseurs que vendangeurs.

L’esprit « paulée » était bien présent dans ce parc ombragé en pays rabelaisien, entre Chinon et la Devinière, là où est né le médecin et écrivain humaniste de la Renaissance.

HEUREUX DE SE RETROUVER

La cinquantaine de participants avait coché de longue date sur leurs agendas le week-end d’assemblée générale au château de la Bonnelière en AOP Chinon. Marc Plouzeau avait prévu un programme surchargé de convivialité : visite des Caves Plouzeau sous la Forteresse royale, dîner, pré-vendange collective pour faire le pied de cuve, assemblée générale, décisions, votes, jeu de questions-réponses. En point d’orgue le fameux repas-paulée et en heureuse conclusion le « ballet des diables » entre le stockage des cartons de bouteilles et les coffres ouverts des voitures.

C’est ça l’esprit Terra Hominis, tisser du lien entre les investisseurs-amateurs de vins et les vignerons me dit Ludovic Aventin, le fondateur de l’entreprise de financement participatif créée il y a une douzaine d’années en Occitanie.

Ces liens n’ont cessé de grossir et se densifier si l’on en juge le chemin parcouru par l’entreprise. Une quarantaine de vignobles acquis en copropriété par des groupements d’associés -3000 à ce jour -, selon le principe de la propriété collective des Groupements Fonciers Viticoles (GFV).

INVESTISSEMENT-PLAISIR

Est-il besoin de repréciser les caractéristiques juridiques et fiscales d’un GFV ? Depuis 50 ans que ce dispositif existe il a été très largement documenté et bien souvent préempté par des intermédiaires financiers qui ont bâti un astucieux marketing autour de cet « investissement plaisir ». Et vous serez rémunérés en bouteille de vin ! Tout de suite les phantasmes bachiques se déchaînent, enrôlant le futile au rentable, l’utile à l’agréable, sans omettre l’arnaque.

Les questions de transmission des patrimoines viticoles, de l’installation des jeunes vignerons, du prix des vignes, des appellations qui favorisent l’accueil des néo-vignerons sont inscrites dans l’ADN- ou dans la raison d’être- de Génération Vignerons. Sur nos quelques 600 articles publiés depuis bientôt 10 ans, une bonne trentaine est dédiée à ce sujet sensible. Juste un exemple d’une situation vécue qui nous a beaucoup touché : celle du Mas des Justes, dans le Gard, sur le chemin des Cévennes où la question de « sauver des vignerons » était clairement posée.

DU HAUT DE LA PASSERELLE

Cette question de la transmission préoccupe au plus haut point Ludo- comme tous l’appellent ici- quand il s’adresse aux associés-investisseurs. Grâce à vous, on arrive à installer des jeunes vignerons. C’est le cas à Madiran (une AOP du Sud-Ouest pyrénéen). Voilà 20 ans que ce n’était pas arrivé, on les accompagne, on les fait épauler par des spécialistes.

Et de conclure par sa citation fétiche : « Si tu veux creuser ton sillon droit, accroche ta charrue à une étoile ».

Juste avant, Marc Plouzeau avait ouvert l’assemblée avec des mots moins assurés :  La récolte 2023 ? Le stress !! On a été au maximum climatologique depuis juin. J’ai cru un moment qu’on allait baisser les bras, les gars travaillaient plus de 50h la semaine. On a compris qu’il n’était pas le seul à avoir souffert dans le vignoble chinonais.

Et là, avec une grande sincérité, il a reconnu combien le soutien des associés avait été important pour lui dans ces moments difficiles quand il se sentait bien seul. Et il les a remerciés.

DÉCROISSANCE À LA VIGNE

Habituellement les vignerons vous parlent de leurs projets d’extension des domaines, des acquisitions, des nouveaux fermages. Comme si la bonne santé d’un domaine viticole allait de pair avec plus d’hectares, plus de matériel, plus de collaborateurs.  Marc Plouzeau prend le contrepied de cette idée reçue : Si j’avais un peu moins de vigne, j’aurai plus de temps pour m’occuper de mes parcelles et il envisage de se séparer de 2-3 hectares sur les 30 que compte le domaine. Il n’est pas le seul à aller dans cette voie parmi les vignerons pratiquant l’agriculture biologique, très gourmande en temps et en main d’œuvre.

Descendu de la passerelle de cuverie, il nous montre fièrement ces deux cuves inox thermorégulées acquises grâce aux apports des associés. Pas tout à fait vrai, et là j’ai mis un peu de temps à comprendre le mécanisme financier.

Le GFV constitué en 2021 pour le château de la Bonnelière a porté sur l’acquisition de 4 hectares de vigne, qui ont été aussitôt loués à l’exploitant Marc Plouzeau en bail agricole. Le produit de la vente lui a permis d’acquérir son nouveau matériel de vinification sans avoir à monter un dossier de prêt à la banque, coûteux et parfois aléatoire. Au-delà de l’apport financier, le GFV agit en conseil pour anticiper la transmission. Je souhaiterais que l’histoire se poursuive avec des personnes proches de ma famille, précise le vigneron.

LES ASSOCIÉS SONT-ILS DES MÉCÈNES ?

A première vue, le groupe des invités reçu avec autant d’amabilité pouvait laisser penser qu’ils s’étaient montrés particulièrement généreux, à l’image de l’assemblée des mécènes de la vigne de Chambord.

C’est une fausse piste. Éric, l’un des associés, venu de la région parisienne avec son épouse tente de m’expliquer. Nous sommes déjà associés à quatre groupements de Terra Hominis, vous voyez, ça remonte à un petit moment. A chaque fois nous achetons une ou plusieurs parts qui nous garantissent un rendement annuel de 4,5% payé en bouteilles. Si je veux acheter davantage de bouteilles, nous bénéficions d’une remise de 20 à 40% valable sur tous les domaines Terra Hominis.

Précisons que ces parts sont librement cessibles, la société assurant une régulation des cessions pour éviter la spéculation. Ah ! la spéculation, voilà un mot honni par Ludovic Aventin. Chaque candidat à l’acquisition de parts d’un GFV doit exprimer par écrit sa motivation à nous rejoindre, interdiction de parler de recherche de gain.

Ce petit exercice est symbolique de l’état d’esprit de Terra Hominis, cette « société à mission » du monde viticole qui s’entoure d’un Comité d’Éthique pour la Transition Viticole, très pointilleux sur ces questions.

ON EN OUBLIERAIT PRESQUE LE VIN

Le domaine propose une large gamme de vin, à des prix raisonnables, essentiellement en cabernet franc, mais aussi en chenin dans les AOP chinon rouge, rosé et blanc. Le Guide Hachette des Vins 2024 mentionne : « la parfaite typicité qui restitue le fruit un peu épicé d’un cabernet franc bien mûr » pour conclure qu’il s’agit d’une valeur sûre du chinonais viticole.

La Roche, la Chapelle, les Galets, Vindoux sont autant de lieux-dits ou de parcelles issus de terroirs différents que le vigneron travaille « à la bourguignonne » avec des vinifications spécifiques.

Et puis, apparaît sur la table une bouteille qui  suscite une vive curiosité : l’Intégrale ! Ce vin est issu de cabernets francs plantés par mon grand-père en 1929, sur ½ hectare. Je l’ai appelé comme ça car il est intégralement vinifié en tonneau avec 3 ans d’élevage. Précisons que l’élevage s’est déroulé dans des caves médiévales creusées sous la forteresse de Chinon, aujourd’hui ouvertes au public.

Un grand Chinon, cet Intégrale qui déploie de magnifiques expressions de fruits noirs bien mûrs, de la rondeur et de l’élégance en se mariant parfaitement avec le filet mignon servi à table.

La magie de la paulée opérait, on sentait le vigneron détendu, prêt à la confidence. Son épouse Claudine, longtemps pharmacienne, l’ayant rejoint récemment au domaine, ensemble, ils vont s’investir encore davantage dans la passion du métier, celle de produire de grands vins de Chinon.

Un peu plus loin, Ludo racontait l’origine des premiers groupements : c’était 100% rugby, comme au domaine Montgros en AOP Faugères. Avec la Coupe de Monde qui démarrait, les esprits avaient tendance à s’échauffer tout comme les pronostics.

J’observe Ludovic et tout à coup, une ressemblance me frappe. Même look, même charisme, même âge ou presque, et surtout même talent, chacun dans son couloir de spécialité qui se fondent dans l’humain. Et ma façon à moi de lui dire : chapeau Ludo c’est de lui dédier la chanson Millésime de Pascal Obispo.

Jean Philippe

Image à la Une : Joel Caré être-libre.com chaine Youtube Designer de bonheur

La vie secrète des chansons – André Manoukian France TV

Ecrit par Jean-Philippe RAFFARD
--------------------------------------------------------------- Toujours volontaire pour une virée dans le vignoble du bout de la Loire, du bout de la France, du bout de l’Europe ou du bout du monde, là où il y a des vignerons, là où il y a du bon vin. Jean Philippe n’oublie pas sa vie antérieure en marketing-communication pour lever le voile sur le commerce du vin et l’ingéniosité des marchands.

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