Que boit-on en Colombie ?

Réflexe éditorial oblige, je pousse la porte du magasin Dislicores d’un centre commercial cossu de Medellin en Colombie. La ville des fameux cartels et du non-regretté Pablo Escobar qui balaie aujourd’hui les heures sombres de son histoire en affichant une formidable énergie artistique et entrepreneuriale. Le responsable s’approche de moi, tout sourire ;  je ne sais pas ce qui m’a pris de lui dire, dans mon espagnol hésitant : Hola, soy amigo de JP. Chenet, puedo ver los vinos?

Je ne suis pas sûr d’avoir été compris, mais qu’importe, il m’a laissé photographier ses vins JP. Chenet. Il y en avait partout, de toutes les couleurs, de tous les formats. Légitime fierté nationale, quel plaisir de voir des vins tricolores en bonne place dans la compétition mondiale ! La Colombie ne produisant pas de vins -où très peu- le marché est ouvert aux leaders mondiaux qu’ils soient américains (Gallo, Constellation Brands), espagnols ou chilien (Concha Y Toro).

J’aurais dû parler d’abord du Champagne logé dans un corner dédié, jamais mélangé aux cavas, mousseux et autres proseccos. Moët & Chandon, Krug, Veuve Clicquot, Ruinart ; tiens, que des marques du groupe LVMH.

MAIS QUI EST DONC JP. CHENET ?

J’en vois déjà certains faire la grimace. JP. Chenet c’est du vin industriel, une marque qu’on trouve en hyper à 4-5 euros la bouteille. Peut-être, mais pour sa défense ce fleuron du groupe Grands Chais de France (1,2 Mds€ de chiffre d’affaires) s’affiche comme la « première marque de vin français dans le monde ».

JP. Chenet a-t-il existé ? Est-il le propriétaire de la marque ? Un génial vinificateur ? Il n’en fallait pas plus pour me donner envie de creuser l’affaire.

La piste du service de presse de GCF s’est révélée décevante, juste un communiqué probablement écrit avec l’aide de l’IA.  Créée en 1984 par Joseph Helfrich, la célèbre bouteille de vin au col penché et au corps généreux a su casser les codes et n’est sans doute pas étrangère au succès de la marque devenue en une génération la marque de vin français la plus appréciée dans le monde. J.P. CHENET possède ce savoir-faire unique de proposer le produit idéal pour chaque consommateur dans plus de 160 pays sur les 5 continents. Vins rouges, blancs ou rosés, effervescents ou même spiritueux, J.P. CHENET incarne le vin français d’aujourd’hui : moderne et innovant.

Bingo ! ma recherche frénétique sur Google débouche sur Les secrets de J-P Chenet, un article du journaliste suisse Alexandre Truffer publié du site Romanduvin.ch, qu’il soit ici remercié.

Cette bouteille caractéristique au col penché était utilisée à l’époque comme contenant d’un Armagnac. C’est Joseph Helfrich, le très secret fondateur et propriétaire du groupe GCF qui l’a choisie en 1984 en la baptisant Joséphine. Et là, tenez-vous bien. On voit sur les premières étiquettes que le vin ne s’appelait pas JP. Chenet, comme l’explique Eric Heckmann responsable commerciale dans l’interview. Notre PDG avait déposé à l’Institut national de la propriété industrielle tous les noms de ses collaborateurs. Or, le directeur commercial à l’export s’appelait Jean-Paul Chanel. Une bouteille atypique, une communication sur les cépages, des prix compétitifs et une équipe commerciale hors-pair devaient assurer le développement de J-P Chanel.

Ce succès irrite bien évidemment la Maison de luxe CHANEL qui se lance dans une bataille judiciaire, qu’elle ne gagne pas. En échange d’une contrepartie financière conséquente, le groupe alsacien accepte de modifier le patronyme de ce qui est déjà sa marque vedette. Ce trésor de guerre va aider au développement exponentiel d’une gamme qui ne cesse d’évoluer. Les Vins de Pays vont devenir des Vins de France même si les raisins utilisés proviennent surtout du Languedoc-Roussillon pour les rouges et de Gascogne pour les blancs (du Colombard essentiellement). Avec le succès viennent les déclinaisons: petits contenants, bag in box, rosés, effervescent, gamme supérieure dotée d’arômes boisés, bouteilles en PET, éditions limitées à l’habillage tendance, vins aromatisés aux fruits, gammes bios, etc.

Et pour compliquer un peu plus le travail des 50 œnologues-maison et des dizaines de logisticiens, les vins JP. Chenet sont millésimés. Comment s’y prennent-ils pour maintenir un goût homogène pour chaque cuvée ? Un goût qui plaise aux consommateurs d’Europe du Nord, d’Asie, d’Afrique et…. de Colombie. 160 pays quand même.

COMBIEN DE BOUTEILLES ?

On doit se livrer à des approximations car la bataille fait rage entre le groupe Castel et GCF  pour la place de leader national. Un article des Échos (07/2021) fait mention de 500 millions de bouteilles pour le groupe GCF. La marque JP. Chenet représentant le quart des volumes, le chiffre de 100-120 millions d’équivalents bouteilles vendues dans le monde est plausible, dont un petit quart sur le marché français où l’entreprise fait vivre plusieurs milliers de familles de viticulteurs. Comment font-ils pour vendre autant ? On comprend mieux en regardant cette vidéo, interdite de diffusion en France, évidemment.

Ils ne comptent pas en rester là, les diables du marketing JP. Chenet, avec les immenses perspectives ouvertes par le vin sans alcool. Vous trouverez So Free Sparkling chardonnay JP. Chenet à 35€ les 6 bouteilles sur Amazon avec une petite centaine de commentaires « achat vérifié » élogieux.

Le succès planétaire de la marque, confirmé depuis 40 ans, oblige à changer notre regard sur ce que nous Français appelons les vins de qualité, c’est-à-dire les vins issus de terroirs, dont l’archétype est bien sûr la Bourgogne. Une dégustation comparée ne donnerait probablement pas l’avantage au vin de cépage, souvent appelé vin technologique avec une certaine condescendance. Vins de cépage vs vins de terroir, vins de marque vs vins d’artisan, les différents modes de production du vin existent depuis plus d’un siècle avec un avantage quantitatif pour les vins de cépage qui représentent 85% du marché mondial (source OIV). Leur goût plus simple et leur prix bas les différencient des vins des « artisans du terroir » qui ont pour eux l’histoire, le prestige et la valeur.

EL ESTILO FRANCÉS

Ne s’agit-il pas d’une différentiation culturelle ? Nos habitudes et notre palais sont formés à identifier les nuances géographiques des terroirs, encouragés par des politiques publiques qui font des appellations l’alpha et l’oméga de la hiérarchie des vins (375 AOC en France). Peut-être de façon excessive quand on sait que parmi les raisons du désamour du vin chez les trentenaires il y a la complexité réglementaire. Faut-il pour autant imposer nos critères de goût ? Le boisé, le sucré, le fruit mûr, le minéral, l’acidité sont des typicités qui ne plaisent pas à tout le monde mais pour les quelles chacun est libre d’affirmer sa préférence.

Ne prenons pas le Colombien issu d’une classe aisée pour un arriéré du goût. Avec JP. Chenet il va boire un estilo francés bien fait, charmeur en bouche, à un prix très accessible et peut-être rêver de Paris, de la Provence ou de Bordeaux. Et de participer au rayonnement de la France tout en faisant du bien à notre balance commerciale. Je le préfère rêvant à la Côte d’Azur plutôt qu’à la Californie en buvant un zinfandel de Gallo Family Vineyards.

LE PARADIS DU FRUIT

Pour répondre à la question posée par le titre, le visiteur trouvera à tous les coins de rue des vendeurs ambulants proposant une incroyable variété de fruits exotiques, vendus en jus préparés sous vos yeux : guanabana, lulo, pitaya, manga, maracuya, curuba, tomate de arbol, carambolo, granadilla, cherimoya, et peut-être d’autres encore.

Les petits restos vous serviront les jus nature, mélangés, allongés à l’eau, au lait ou en smoothies.

Ne jamais demander de l’allonger au rhum.

Le rhum justement, qu’on l’appelle rum ou ron, est bien présent ici, même si les Colombiens n’ont pas la culture du Ti’punch que l’on trouve dans les îles de la Caraïbe.

Une marque s’impose : Dictator bien décrite par le site Les rhums de  Monde. Les deux grandes marques internationales : Diplomatico (Venezuela) et Dictator se livrent à une guerre sans merci pour occuper la meilleure place dans les espaces duty-free des aéroports.

Quel est le meilleur ? Il y a autant de partisans d’un côté comme de l’autre.

Contrairement aux lois économiques, la concurrence ne tire pas les prix vers le bas, la barre des cents euros est vite franchie pour ce Dictator XO (méthode solera).

PRÉFèRER LES PLANTATIONS DE CAFÉ

N’en déplaise à Jean-Baptiste Ancelot, l’auteur de Wine Explorers qui dresse un tableau très élogieux du domaine viticole Marquès de Puntalarga (3h de route de Bogota), la greffe n’a pas pris.

On ne change pas le climat tropical. L’amateur de dépaysement agro-forestier ira plutôt visiter la fierté colombienne : l’Eje Cafetero la fameuse zone caféière (Manizales, Armenia, Pereira) de plus en plus prisée par les touristes européens. Faire confiance à Tripadvisor pour son offre multiple « Coffee-Tour » chez les caféiculteurs avec balade et dégustation en jeep Willys.

Du café, il en existe des dizaines de variétés hiérarchisées en crus et grands crus sans protection des appellations. Le supremo est l’un des plus prestigieux : doux en bouche, avec une acidité délicate. À l’opposé de l’expresso italien ou du cafesito cubain, le café d’ici, le tinto est doux, infusé, filtré au papier tout en déployant une vaste palette aromatique. Un choix de crus vous est proposé, comme pour le vin au verre chez nous. Il est servi selon un rituel qui s’apparente à celui du service du thé au Japon.

ZÉRO POINTÉ

Terminons par un très mauvais point : la liqueur de café. À égalité avec la mexicaine Kahlua, la colombienne Coloma est proche du zéro pointé. Les ingrédients : sucre, eau, alcool, extrait de café, colorant E150d(sulfite d’amonium), arôme vanille, m’ont fait fuir dare-dare. Petit message adressé à Audrey et à ses amis du Centre International Des Spiritueux– CIDS- de Ségonzac, près de Cognac en Charente.

La liqueur de café est complètement à réinventer.

Jean-Philippe

Ecrit par Jean-Philippe RAFFARD
--------------------------------------------------------------- Toujours volontaire pour une virée dans le vignoble du bout de la Loire, du bout de la France, du bout de l’Europe ou du bout du monde, là où il y a des vignerons, là où il y a du bon vin. Jean Philippe n’oublie pas sa vie antérieure en marketing-communication pour lever le voile sur le commerce du vin et l’ingéniosité des marchands.
Catégories : Colombie , oenotourisme

Commentaires:

  1. Gaëtan dit :

    Merci Jean-Philippe pour ton reportage !
    La liqueur de café est certainement à réinventer en effet, vu les ingrédients… mais s’il y avait les ingrédients et les méthodes de travail des vins Chénet, je serai prêt à parier que le rêve français fondrait dans les glaçons qui servent à accompagner ce breuvage !
    En espérant que les futur QRc permettent à chacun d’y voir plus clair, entre les vins issus de raisins et ceux ultra-transformés, pour reprendre cette dénomination alimentaire.

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