Du Vin en Inde ?

Globe trotteuse dans l’âme, mon dernier vrai voyage datait de janvier 2020. Grande amatrice de l’Amérique du Sud (de par mes études) je souhaitais à ce moment-là découvrir un autre continent : l’Asie. Après un mois au Laos, j’en avais profité pour m’adonner à mon autre grande passion avec la découverte du vignoble Thaï. Incroyable !

Pour ce nouveau voyage, j’ai donc décidé de repartir dans un pays asiatique producteur méconnu de vin. Suivez-moi quelque part entre l’Océan indien, la Mer d’Arabie et le Golfe du Bengale : l’intense et mystérieuse Inde.

L’Asie l’avenir du vin

L’Asie, hier encore considérée comme continent insignifiant dans le monde du vin, est aujourd’hui devenue essentielle pour son avenir. Tandis que le Japon fut le premier pays asiatique à développer une culture du vin, la Chine est devenue un des principaux producteurs de vin au monde, répondant à l’augmentation extrêmement rapide de la consommation de vin sur le continent. On aurait tendance à oublier que les Républiques d’Asie Orientale (Ouzbékistan, Tadjikistan, Kazakhstan, Turkménistan, Kirghizistan) ont une longue tradition viticole alors que les pays formant l’Asie du Sud-Est (Thaïlande, Vietnam, Birmanie, Cambodge, Indonésie (Bali)) ont créé leur propre jeune industrie viticole.

L’Inde entre modernité et tradition

L’Inde, indépendante depuis 1947, est une mosaïque de religions. L’Hindouisme représente plus de 80% des cultes, suivi par l’islam et le christianisme. Viennent ensuite le Sikhism, le Jaïnisme , le Boudhisme et d’autres communautés religieuses minoritaires. L’immense majorité des Indiens se reconnaît dans une religion et celle-ci joue souvent un rôle fondamental dans leur quotidien encore aujourd’hui.On constate d’ailleurs très rapidement lorsque l’on s’éloigne des grandes métropoles que les indiens, hommes et femmes, ont souvent conservé un style vestimentaire traditionnel.

une carte à jouer

L’Inde, entre modernité et tradition, a un véritable rôle à jouer dans l’industrie du vin à l’international, et bien naïf est celui qui sous-estimerait son potentiel. La tradition, culturelle et religieuse, peut représenter un frein à la consommation de vin nationale : celle-ci représente actuellement une cuillère à soupe par habitant par an. La consommation de vin ne fut, il est vrai, pendant longtemps, pas associée à un style de vie élégant ou un dîner entre amis comme dans d’autres pays, sauf peut-être pour l’élite indienne consommatrice de grands crus importés.

Une législation stricte…

La législation autour de la consommation de vin en Inde est d’ailleurs complexe, comme j’ai pu le constater, et évolue selon les États. L’article 47 de la Constitution indienne parle de l’amélioration de la qualité nutritive et du mode de vie dans le pays. Dans ce cadre et d’après la Constitution, il appartient donc à chaque état de légiférer sur la consommation d’alcool. Certains l’interdisent (dry States) comme le Gujarat, le Bihar et le Nagaland, tandis que d’autres états comme le Kerala, écrin de verdure tropical situé au Sud du Pays, adoptent une politique plus floue.

En 2014, un sérieux problème d’alcoolisme et par conséquent de violence notamment envers les femmes, avait poussé les autorités locales à interdire la consommation d’alcool pour les 34 millions d’habitants ainsi que les touristes de plus en plus nombreux à venir profiter de ce coin de paradis. Les magasins d’État devaient quant à eux progressivement fermer leurs portes.

…et des taxes élevées

Les taxes imposées à l’alcool sont parmi les plus élevées au monde : les taxes fédérales peuvent atteindre 150% du prix et chaque état est susceptible d’appliquer des droits de douane atteignant parfois 30%. La consommation d’alcool en Inde contribue très fortement aux économie locales, représentant des millions de dollars de recettes, et la politique stricte appliquée pour lutter contre la pandémie de Covid-19 a mis le projecteur sur cette réalité.

C’est sans doute une des raisons pour laquelle le nouveau gouvernement est revenu sur ses pas et a autorisé les hôtels 3 et 4 étoiles à proposer un service de bar tandis que les hôtels 2 étoiles peuvent désormais servir bière et vin. Pour la consommation à domicile, l’achat et la distribution d’alcool est controlée par un monopole d’état, le Kerala State beverages corporation limited (BEVCO).

L’Inde, la Chine d’il y a 15 ans pour le marché du vin ?

Malgré tout l’Inde est le pays le plus peuplé du Monde désormais, dépassant la Chine, avec prés de 1,5 milliards d’habitants, et représente un marché potentiel énorme aux prémices de sa croissance.

La consommation de vin a pris son essor il y a une vingtaine d’années avec la création de domaines viticoles (Fratelli, Grover Zampa, etc..) et des campagnes de communication qui ont fait connaître le produit, notamment celles du Domaine Sula.

L’Inde est le 42ème producteur de vin au Monde avec 17 millions de litres produits et une surface viticole de 114 000 ha de vignes plantées (un peu plus que le vignoble de Bordeaux). Pour une production à 60% de blanc et 40% de rouge, l’industrie viticole indienne utilise principalement des cépages nobles (au sens international, rien à voir avec l’Alsace) : cabernet sauvignon, merlot, syrah, chardonnay, ugni blanc, chenin, entre autres…

deux régions se distinguent

Les deux principales régions viticoles, le Maharashtra et le Karnataka, bénéficient d’un climat majoritairement tropical, avec une saison sèche où les températures dépassent les 40°C et une saison des pluies. Le cycle végétatif de la vigne est donc mis à rude épreuve et seuls une taille et un élagage maîtrisés permettent une vendange unique par an. L’Inde est un lieu de production de vin extrême, loin du 45ème parallèle offrant des conditions optimales à de nombreux pays viticoles de l’Ancien et du nouveau Mondes.

Nashik, capitale du vin indien

La région de Nashik se trouve à trois heures au nord-est de Bombay et représente la principale région viticole indienne, avec son plateau perché à 680m d’altitude. La région de Bangalore, connue comme la « Sillicone Valley » de l’Inde, se situe dans le sud du pays et bénéficie d’un développement économique fulgurant. Le vignoble est planté à 1 000m d’altitude sur des sols argilo-limoneux et permet d’atteindre des équilibres plus constants, notamment sur les blancs.

le vin c’est branché

Le vin indien séduit une population assez jeune, urbaine, branchée et féminine : boire du vin, c’est s’inscrire dans le mouvement de modernité qui s’est emparé du pays, notamment pour les classes moyennes à aisées des grandes villes comme Delhi, Mumbai et Bangalore. La preuve au Domaine Sula, précurseur de l’œnotourisme et leader du marché du vin indien avec 60% des parts du marché -suivi par le domaine Grover Zampa et des structures familiales plus modestes et de plus en plus nombreuses.

Suivez-moi pour une visite au Domaine Sula

Rajesh Samant a créé Sula Vineyards en lieu et place d’un terrain familial situé dans la région de Nashik, connue initialement pour la production de raisins de table. Après un stage de 3 mois dans un domaine viticole californien tenu par l’œnologue actuel de Sula, Kerry Damskey, Rajeev construit de zéro Sula Vineyards en 1996. « Sula » vient du nom de sa mère – « Sulahba » – symbolisant le riche héritage national de ses vins.

Une fois n’est pas coutume, nous troquons nos moyens de transport habituels (train, bus ou rickshaw) pour une voiture avec chauffeur… le luxe (compter 35 € À/R). L’autoroute reliant Mysore à Bangalore, principale ville de l’État du Karnataka, n’est pas encore achevée et nous mettons 2h pour arriver à destination. Sur les derniers kilomètres, nous apercevons champs de bananes, palmiers et papayes. L’entrée payante -environ 7 €- est remboursable sur n’importe quel achat : visite guidée, boutique, dégustation de vin, restaurant.

des vins off-dry

La prochaine visite ne commence que dans 20 minutes, cela nous laisse le temps de commencer la dégustation : chenin blanc et riesling. Les deux vins sont off-dry, et auraient pu être servis un peu plus frais. Je suis impatiente de déguster le reste de la gamme !

Mais patience, notre guide, armé d’un micro, nous fait signe que la visite, d’une durée approximative de 45 minutes, va commencer. Nous sommes prévenues : la visite est basique, l’objet étant d’introduire la production de vin aux néo-consommateurs Indiens (nous sommes les seules étrangères ce jour-là).

Nous commençons donc notre tour par le cuvier, où nous est expliquée la différence entre vin blanc et vin rouge. Les explications sont sommaires, mais relèvent déjà d’un grand intérêt pour les visiteurs, au vu des nombreuses questions posées.

Viticulture dans des conditions extrêmes

Nous poursuivons ensuite vers une parcelle de syrah, taillée en Tellier, ce que je n’avais pas vu depuis l’Argentine. Ici, on taille en forme de croix en laissant en moyenne quatre sarments de six yeux et quatre coursons de deux yeux chacun. La vigne est de ce fait plus haute et la capacité de son feuillage à fournir un ombrage durant l’été est conséquent. La syrah sera vendangée en mars, nous sommes donc au début de la période végétative.

Les vignobles Sula sont plantés entre les États du Karnataka (où nous sommes actuellement) et du Maharashtra, au Nord-est de Bombay. Les cépages ont été adaptés aux climats des deux nouvelles régions viticoles et les jus sont ensuite transportés sur le Domaine Sula pour être vinifiés.

des barriques françaises

Nous passons rapidement devant le chai à barriques, dans lequel nous n’entrons pas ; je note toutefois que les barriques de chêne sont importées de France, et seront utilisées jusqu’à trois ans.

Nous sommes finalement invités à rejoindre la salle de dégustation pour « la meilleure partie du tour » : la découverte de six vins. Comme souvent dans les pays du Nouveau Monde, nous passons des bulles au vin naturellement doux en passant par les blancs secs et rouges. Tous les vins dégustés ce jour là sont des mono-cépages.

Retour d’expérience

Mon retour d’expérience sur cette dégustation ? Les bulles sont classiques mais rafraichissantes, à l’image des vins pétillants réalisés en méthode Charmat à l’international. Les blancs dégustés sont tous demi-secs et une question se pose : est-ce lié aux conditions de production extrêmes ou à une adaptation programmée au palais des consommateurs ? Quoiqu’il en soit, de mon côté, je reste sur ma fin. L’aromatique typique des viognier et sauvignon blanc est maîtrisée mais cela manque cruellement de complexité par rapport aux grands vins produits avec ces deux cépages en France.

ce qui fait la différence

Comme quoi, terroirs et savoir-faire ancestraux ne sont pas à prendre à la légère. Le cabernet sauvignon manque de structure et des notes de poivron vert me sautent au nez, synonymes d’un manque de maturité.

Néanmoins, je suis agréablement surprise par leur cuvée Rasa zinfandel, qui sera mon coup de cœur (vinicole) de ce voyage. Le nez révèle la typicité de ce cépage très connu aux États-Unis : des arômes de prune et de fruits noirs associés à des épices telles que la réglisse ou la cannelle. En bouche le vin est souple mais relativement concentré, avec une acidité moyenne venant équilibrer la structure globale du vin.

La visite/dégustation terminée, nous nous tournons vers le restaurant du Domaine pour déjeuner. Au menu : cuisine « italienne » et mets indiens.

Après 15 jours à manger local, je me réserve le droit de commander des lasagnes végétariennes (nous sommes en Inde !) accompagnées de Naan en guise de pain et un tiramisu en dessert. Pour accompagner ce menu italien nous choisissons la cuvée Dindori shiraz. Et l’accord fonctionne, même avec de la nourriture épicée.

L’oenotourisme, antidote au stress

Le domaine Sula assure agir comme un « antidote au stress du citadin », un message destiné à attirer les Indiens de la classe moyenne. Nous sommes samedi et de nombreux Indiens s’échappent en effet de la bruyante Bangalore pour venir ici, découvrir les vins du domaine et parfois déjeuner au restaurant.

Nous avons même assisté à un enterrement de vie de jeune fille assez chic. Et oui, les visiteurs que nous croisons sont jeunes et résolument modernes. La jeune génération ayant étudié et/ou voyagé à l’étranger (de nombreux programmes sont mis en place par le sous-continent) perçoit la consommation d’un verre de vin en soirée ou au cours d’un repas comme un signe d’intégration sociale ou encore de raffinement, comparativement aux générations précédentes.

une bulle de fraicheur

Cette journée au Domaine Sula nous a offert une bulle de fraîcheur au milieu de la frénésie globale du sous-continent Indien ! Pour les touristes qui s’aventureraient en Inde du Sud ou les amateurs de Yoga qui viennent se former à l’Ashtanga, style de yoga dont Mysore est la capitale historique, passer une journée au Domaine Sula vaut définitivement le détour.

Cet article vous a intéressé ? Si vous souhaitez en savoir plus sur d’autres régions viticoles inconnues dites-le nous, celles-ci feront peut-être l’objet de prochains articles.

Christelle

Ecrit par Christelle GUIRLINGER
Christelle a plongé dans le monde du vin par hasard et a voulu l’explorer sous toutes ses coutures : gastronomie, commerce, œnotourisme, production, formation…Le chemin est long et passionnant ! Christelle est titulaire du WSET 3.
Catégories : Inde , oenotourisme

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