Le vignoble mexicain : le plus ancien du Nouveau Monde

De retour de deux mois de voyage au Mexique, je n’ai pas oublié ma première expérience du vin mexicain dont le caractère unique me guide encore aujourd’hui.

Décembre 2015 :  Un mariage, un voyage, Et me voilà transporté à Guanajuato, « Pueblo Magico » village classé au Patrimoine Mondial à trois heures au nord de Mexico, plongé de suite dans le tourbillon d’un pays à la force tellurique insoupçonnée.

enfin dans les vignes

Entre deux Olés et trois Holas, on me parle vaguement d’un vignoble à proximité, perché dans les montagnes. Tiens, tiens…Mais quel périple, quelle aventure. Pas de carte, pas de GPS, pas de pancarte…

Et voici, au milieu de nulle part, le domaine Cuna de Tierra, traduire le Berceau de la Terre, rien que ça !!! 2000 mètres d’altitude, survol de rapaces, les pieds dans la poussière, chaleur accablante, entouré de cactus, mais enfin dans les vignes !

Accueilli par un grand verre d’eau et la gentillesse mexicaine de Ramon Velez, viticulteur.

Mexique le retour

Huit ans plus tard, Mai 2023 : je suis de retour au Mexique, cette fois dans la région viticole de Quérétaro, l’une des quatre grandes régions productrices.

Les mentalités ont évolué.

Mais essayons de comprendre d’abord pourquoi ce vignoble fascinant reste encore si mystérieusement peu connu et presque insignifiant sur le radar de la carte des vins du Monde. Souvent évoqué comme vignoble du nouveau Monde, le Mexique possède l’industrie viticole la plus ancienne du Nouveau Monde.

bien avant Cortès

 La vigne préexistait et était déjà utilisée par les populations précolombiennes quand le colon Cortès débarque au Mexique en 1519.

Devenu gouverneur en 1521, il va très rapidement développer la viticulture mexicaine en demandant que des vignes vinifera originaires d’Espagne soient plantées sur chaque exploitation.

Pour accélérer les plantations il décréta que tous les fermiers devaient planter dix pieds de vignes par an par esclave indien présent sur le territoire. Suivirent l’arrivée des Franciscains, des Dominicains et des Augustins, jouant un rôle important dans la propagation de la foi et de la vigne.

la vigne oubliée

Le vignoble mexicain atteint une telle prospérité qu’il gène considérablement les importations de vins espagnols. Philippe II, roi d’Espagne, proscrit alors la création de nouveaux vignobles, réservant la seule production au clergé pour ses vins de messe.

C’est ainsi que le vignoble mexicain rentrera en désuétude totale pendant quatre siècles, expliquant en partie la discrétion de ses vins dans le monde.

Il faut noter pour l’histoire que c’est dans la vallée de Parras, dans l’état du Coahuila au nord du pays que Casa Madero fut fondée en 1597 pouvant se vanter d’être la plus ancienne exploitation des deux Amériques et encore aujourd’hui la sixième  exploitation encore en activité la plus vieille au monde !

Toutefois la vigne n’aura jamais complètement disparu et sera relancée par le père de l’indépendance de 1913 Don Miguel Hidalgo, suivi par quelques Bodegas historiques, dont Santo Tomas en 1888 qui fut la première exploitation moderne et L.A. Cetto, exploitation fondée par des immigrés italiens propriétaires aujourd’hui de 1000 ha de vignes en Vallée de Guadaloupe et qui importeront du Nebbiolo de leur Piémont natal. Et puis Domecq, Monte Xanic, …

Ces piliers fondateurs sont toujours là en 2023, et comme les chercheurs d’or de l’époque, ils veillent au développement de leur trésor viticole, que certains critiques voient déjà comme une future petite Napa Valley !

Le Mexique viticole en chiffres

- 38 000 hectares mais 20% en vignes soit 7 600 hectares en croissance constante. L’équivalent de l’Entre-Deux-Mers réparti sur plus de 1500 kms.

- 0.5% du vignoble mondial et 350 producteurs.

- 15 régions viticoles mais la production se concentre sur 4 principales : La Basse Californie dans le nord-ouest et à la frontière américaine pour 65%, 13% pour Aguascalientes, 9% à Coahuila et 6% Quérétaro, toutes les trois plus au nord de Mexico.

- 0.9 L/an par hab. soit 5 verres et 50 fois moins que la consommation française.

- Plus de 60 cépages cultivés mais 18 majeurs d’origine française, espagnole, italienne, croate : le chardonnay, chenin blanc, sémillon, colombard, trebbiano, palomino en blanc et cabernet-sauvignon, merlot, pinot noir, zinfandel, malbec, syrah, petite sirah, carignan, tempranillo, barbera et nebbiolo en rouge.

- La production et la consommation reste majoritairement rouge à 70 % et 30 % pour le reste, blanc, rosé et effervescent.

- 90 % de la population est catholique.

cultiver sa différence

Plus connu pour ses temples précolombiens que pour ses vins, le Mexique envoie cependant tous les signaux d’un terroir qui fourbit ses armes.

Plus de 1500 récompenses internationales, meilleur cabernet sauvignon au monde pour la Vinedos Don Léo à Coahuila, idem pour le malbec et la syrah de Casa Madéro !!

Le Mexique cherche-t-il dans le vin son destin agricole, déjà deuxième source d’emploi dans le secteur agricole après les fruits et légumes ?

La civilisation aztèque a enseigné au peuple mexicain la fierté de son histoire et la force de la patience. Il n’est pas pressé, encore moins envieux. Son but n’est pas de se comparer aux autres et Il ne cherche pas à jouer dans la même cour que ses célèbres voisins sud-américains car ici tout est si différent. Jugez plutôt :

entre Tropique du Cancer et Equateur

Le Mexique avec plus de 500 ans d’histoire viticole a fait le choix de miser sur ses atouts originels à commencer par son climat particulier et sa situation géographique entre tropique du Cancer et Equateur. L’essentiel de son vignoble est situé dans la moitié nord du Pays, de Mexico jusqu’aux frontières américaines.

Il bénéficie d’une météo influencée par les douces brises maritimes venues à l’est par l’Atlantique et les Caraïbes, et les vents plus frais portés à l’ouest par les courants du Pacifique.

Le relief oscille entre 5 zones montagneuses et les vignobles sont perchés sur des plateaux entre 900 et jusqu’à 2500 mètres d’altitude, garants de fraicheur pour les dits nectars.

Le gigantisme du pays, 4 fois plus grand que la France explique évidemment qu’on y trouve une grande variété de sols : galets roulés, graves, granites, argiles rouge et brune et sables permettant l’adaptation de 68 cépages dont 18 majeurs.

des assemblages osés

Mais le cépage originel, c’est le mission, planté en 1683 et toujours cultivé. La petite sirah (sans y) dérivée du durif, cépage du sud-ouest de la France, l’aglianico originaire de l’Ile d’Elbe, font le bonheur des amateurs avides de découvertes.

Les vins sont majoritairement assemblés et nous transportent vers des curiosités jamais vues ailleurs (ex : albarino- riesling, nebbiolo-aglianico-montepulciano, …). Il y a quelque chose d’unique dans chacun de ses vins si différents !

Et puis l’homme, le Mexicain, empreint de spiritualité, honore sa Terre en couchant sur les étiquettes des noms inspirants voire célestes : Berceau de la terre, Puits de Lune, le Ciel, Porte du Loup, Brume de vin, Esprit de la Vallée, Sol de nuit, Equinoxe, Trois Racines… Le marketing aurait-il plus de 1000 ans ?

quand le Mexique se modernise

D’année en année le paysage viticole se structure et le style des vins avec.

Pour mieux comprendre je suis allé à la rencontre de viticulteurs référents, cette fois ci dans le vignoble de Quérétaro et Dolorès le petit dernier, à deux heures au nord de Mexico, toujours très surpris de voir un Français s’intéresser à leur patrimoine viticole.

Au vignoble tout d’abord où les pratiques culturales se sont adaptées à certains défis. Ici en altitude les orages sont fréquents quand la température chaude croise celle plus fraiche des débuts de soirée. Nous avons donc inventé un système de protection unique au monde, chaque rang de vignes est recouvert d’un filet en métal, très efficace contre la grêle. Il nous a fallu cependant adopter la taille en guyot double pour en faciliter son usage.

 Cette technique a fait florès depuis chez les voisins. Rien n’est facile dans ces montagnes, et ça pousse à la créativité, me confie Aaron, le jeune œnologue espagnol du Domaine Tres Raices près de Dolorès.

A 30 kilomètres de là près de San Miguel d’Allende, autre village magique (il en existe 136 au Mexique), je retrouve avec bonheur Diane Michelle Maycotte du Domaine Dos Buhos.

Elle représente à plusieurs titres le changement. Pionnière, elle a su imposer à sa vigne l’agriculture Bio dans un pays ou la préoccupation environnementale est secondaire, et dans son sillage suivie par une poignée grandissante d’amis viticulteurs. Ils sont tous en dégustation libre chez Xoler, bar à vin de San Miguel d’Allende et il y a même maintenant des Natures : Garambullo et les autres. J’ai testé, le train est bien en marche.

les femmes aux manettes

Dans cet univers où l’agriculture est dominée par la main de l’homme, je l’interroge sur l’émergence des femmes dans l’industrie du vin. Elle ne s’arrête plus, la liste est longue et à des postes importants. Je retiendrai Karina Hernandez œnologue reconnue croisée d’ailleurs chez Freixenet dans le village de Tequisquiapan, leader des pétillants au Mexique, et surtout Paz Austin Directrice générale du Conseil Mexicain du Vin.

Et puis chez Los Arcangelès au nord d’Hidalgo et aussi chez Puerta del Lobo au pied de la roche monolithique imposante de Bernal, on s’interroge: Notre préoccupation majeure dans un pays qui manque cruellement d’eau se porte sur des études et le projet de nouvelles méthodes d’irrigation plus respectueuses de l’environnement. s’enthousiasme Luis Miguel Correa.

En revanche, à Cuna de Tierra, précurseur dans cette vallée plus à l’ouest, Ramon Velez met lui l’accent sur la nouvelle génération fraichement sortie des grandes écoles d’œnologie de Davis (USA) ou de France et riche d’expériences en Europe.

le renouveau

Tout en côtoyant les vieilles familles implantées en Basse Californie, elle crée ex nihilo ses vignobles sur des terroirs oubliés (ex. Miguel Hernandez à Puebla, à l’est de Mexico, formé chez Graillot en Vallée du Rhône). Je ressens comme une volonté de transmission….

… ou d’innovation, à la recherche d’œnologues reconnus comme le fameux consultant Stéphane Derenoncourt, investi dans l’état de Coahuila sur le Domaine Cavall qui me confirmait la singularité des traditions humaines au Mexique et leur volonté de progresser.

Au final le style des vins s’en ressent. Moins de sucre et plus de fraicheur pour les vins blancs, recherche de plus de buvabilité pour les rouges. Le mexicain aime le vin toasté mais préfère le grain de la barrique française au boisé caricatural américain.

A l’origine de ces changements et du développement du vin mexicain il faut préciser l’importance d’une législation accommodante ! Souple et permissive elle encourage la flexibilité et toutes les initiatives techniques sont possibles. Pour exemple la possibilité d’utiliser une levure spécifique pour faire baisser si nécessaire le degré d’alcool, permettant ainsi d’échapper à une imposition fiscale qui, elle, par contre est confiscatoire !

l’œnotourisme en routes

Mieux faire découvrir ses vignobles aux nombreux touristes et à la population locale est l’objectif des syndicats viticoles.

L’œnotourisme opère une offensive remarquée avec la création de six nouvelles Rutas del Vino dans tout le pays parfois associé à d’autres gourmandises comme le fromage, le Ponche,  favorisant l’organisation d’évènements festifs à la propriété.

D’autres initiatives éclairées comme le festival Wine Colors, surprenant et unique au Monde, à la Bodega la Redonda, ainsi qu’un concept original d’achat de parts de vignes avec maison, golf et chevaux au cœur du vignoble à la Vinedos San Lucas.

le vignoble mexicain : les plus et les moins

Comment expliquer alors qu’un vignoble avec autant d’atouts reste méconnu et sa faible exportation une énigme ? Tentons d’y voir plus clair :

Les freins au développement de ce vignoble discret reposent sur trois constats majeurs :

Un positionnement géographique central coincé entre deux grandes nations viticoles : d’un côté une dépendance quasi monopolistique avec les Etats Unis qui importe en valeur 90 % de ses vins, de l’autre une Amérique du sud qui déverse sans discontinuer des vins peu chers et si peu taxés. Une qui s’en remet au dollar, l’autre à la religion. Si loin de Dieu et si près des Etats Unis ! comme disent les Mexicains.

Des vins parmi les plus coûteux à produire dans le monde, donc des prix de vente élevés à l’export, dans un pays où le salaire moyen est l’un des plus bas ! Les causes : irrigation sophistiquée, fiscalité confiscatoire (26% d’impôt IEPS et 16 % de TVA) voire plus si plus de 14 degrés, des vignobles de petites superficies. En final pas de vin de qualité sous les 200/300 pesos (10/15 €) plus souvent autour de 500/600 pesos (25/30 €).

L’histoire, la qualité et la réputation des vins européens impressionne le Mexicain, voire l’intimide. Et ce n’est pas dans sa nature, ni son style de vouloir s’imposer. Alors comme pour masquer ses complexes sa meilleure arme reste la sagesse. Le bon sens et son humour me font toujours sourire : Exporter des vins en France ? Cela équivaudrait à vouloir vendre du riz a des chinois ! Venez plutôt les découvrir, nous saurons vous accueillir ! complète avec un grand sourire Gilberto Villalobo propriétaire du Vignoble Tres Raices.

Mais le Mexique s’organise avec ses nombreuses armes. Pour n’en citer que quelques-unes, pêle-mêle : l’extension en cours des surfaces des vignes, l’identification de futures zones IGP sur des terroirs spécifiques, le développement d’un tourisme d’affaire et de qualité, l’évolution de la connaissance du vin chez les mexicains par l’œnotourisme, une consommation intérieure faible mais en progression et ce n’est pas sa religion qui lui interdira dans un pays à 90%  catholique.L'adhésion à l'OIV qui à organisé son dernier congrès mondial au Mexique, l'internationalisation de ses sommeliers,...

Avec le rayonnement international de la cuisine mexicaine seule classée au Patrimoine mondial avec le Japon, le Mexique est à la mode et la nouvelle clientèle internationale toujours avide de surprises…

Même la Cité des Vins de Bordeaux en fait sa Une, excusez du peu ! J’y ai rencontré Omar Barbosa meilleur sommelier du Mexique et lauréat au Meilleur Sommelier du Monde.

Pays de tout temps colonisé, exploité et pillé, son peuple reste méfiant mais résiliant. Il défend avec force ses racines et sa production comme les Québécois défendent notre francophonie.

Le Hecho in Mexico vaut mieux que le Made in China, et la rencontre avec les représentants viticoles est toujours éclairée de joie et de fierté. Cela compte beaucoup dans l’ancrage de leur production et leur réussite commerciale future. Certes cette viticulture est encore jeune et l'identité à affirmer. Mais elle est vertueuse et sa destinée ne fait aucun doute.
Alors a quand l'émancipation de ce vignoble pour enfin séduire les papilles habituées aux vins de l'ancien Monde ?

L’accueil mexicain est puissant, sincère et chaleureux. J’ai ressenti leur amour pour la France et les Français. Mais aussi pour nos productions viticoles dont ils reprennent certains codes malicieusement : fait comme à Chablis pour les blancs, comme à San Emilion pour les rouges…Amusant !

ce que nous lui devons

Mais plus sérieusement, n’oublions jamais ce que nous devons à la Nouvelle Espagne : en effet sans le Mexique pas de vins français ! Eh oui, car c’est au nord du pays, en 1863, que furent effectuées les toutes premières greffes de vigne sur plans américains assurant le sauvetage de notre vignoble français de la crise du phylloxéra !

Christophe BONDU

Hasta Luego !

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Image à la Une : crédit domaine Cuna de Tierra

Ecrit par Christophe Bondu
Christophe Bondu aime à se qualifier d’oenophile, autrement dit quelqu’un qui aime profondément le monde du vin et souhaite surtout le partager. Aujourd’hui à la tête de Wine Note, une société spécialisée dans le conseil œnologique, la vente et la formation, Christophe aime transmettre sa passion pour les vins et particulièrement ceux de l’Amérique, peut-être en clin d’oeil à son grand père qui fut navigant à la Compagnie Générale Transatlantique.
Catégories : Mexique , oenotourisme

3 commentaires

  1. Goulet dit :

    Très bel écrit. On ressent la passion. Cela donne envie de découvrir.

  2. Chaussepied dit :

    Une belle autre manière d apprendre sur ce si vaste sujet ! On ne s’en lasse pas, Christophe nous plonge et nous emmène toujours sur des chemins enchanteurs qui donne envie de découvrir. merci

    1. Francois SAIAS dit :

      Merci pour ce commentaire qui nous encourage à vous partager nos coups de coeur !

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