Connaissez-vous la date clé de l’histoire récente de l’Auvergne ? Allez, je ne vous fait pas languir, c’est le 2 juillet 2018. Les écoliers l’apprennent par cœur. C’est la date de l’inscription au Patrimoine mondial de l’UNESCO de la chaîne des Puys-Faille de Limagne. Quelle fierté pour l’Auvergne, quelle reconnaissance pour les auvergnats qui ont montré une qualité essentielle, la ténacité après deux échecs successifs.
Il s’agit d’un bien naturel où la main de l’homme n’a pas fait grand-chose, si ce n’est de ne pas l’avoir trop dégradé. Sur cette bande de terre de 32 km de long orientée nord-sud, jouxtant la ville de Clermont-Ferrand, ont poussé comme des champignons 80 volcans sur une faille souterraine qui s’enfonce jusqu’à 3000 mètres. Ne nous y trompons pas, il s’agit de volcans éteints, ou plutôt endormis, précise-t-on par ici. Les amateurs de fumeroles et de coulées de lave en fusion devront se rabattre sur l’Islande ou la Sicile.
VOLCAMANIA
Autant dire que sur place, la culture « volcan » est archi-présente, avec ses noms exotiques comme Vulcania le parc d’attraction ou Terra Volcana, l’Office du tourisme de la région de Riom. Une région connue pour sa pierre de Volvic de couleur anthracite, appréciée des sculpteurs et pour ses eaux riches en minéraux et sédiments bienfaiteurs.
Ajoutez-y de belles forêts de feuillus, des panoramas grandioses, des sentiers de randonnée à profusion, un artisanat alimentaire encore préservé et vous comprendrez pourquoi la fréquentation touristique monte en flèche par ici, surtout en ces temps de pandémies. Ah ! J’ai failli oublier l’Aventure Michelin, dans la série des incontournables à visiter.
Et le vin me direz-vous ?
Nous y sommes pour de bon. Le vignoble n’allait pas rester à l’écart du renouveau auvergnat boosté par l’obsession volcanique.
Et pourtant, tout avait mal commencé avec un philloxéra d’autant plus ravageur qu’il a frappé la région tout à la fin du 19ème siècle alors que le Bordelais et le Languedoc relevaient déjà la tête. Le vignoble auvergnat ne s’en est jamais remis.
LES BOUGNATS DE PARIS
Même si, ça et là, du côté de Boudes, de Corent ou de Chateaugay des obstinés continuaient à travailler la vigne en livrant leurs raisins à la famille Desprat négociant à Aurillac, fournisseur des bougnats de Paris. La maison continue d’ailleurs de prospérer sous le nom de Desprat Saint Verny.
Une poignée de vignerons entreprenants se sont mobilisés dans les années 2000 pour obtenir l’appellation, celle-ci est tombée en 2011 : l’AOC Côtes d’Auvergne avec ses 5 dénominations locales ou crus : Madargue, Châteaugay, Chanturgue, Corent et Boudes.
Comme souvent, l’enjeu mobilise les énergies, et puis, une fois l’épreuve réussie, les zizanies locales reprennent comme l’ont décrit les enseignants-chercheurs du groupe ESC Clermont dans l’article Est-ce que trop de volcan ne va pas tuer le volcan ?
Les vignerons d’ici n’ont pas de leçons à recevoir des professeurs d’agrobiologie, de permaculture ou d’agroforesterie. La polyculture y est la règle. Plantée sur des sols argilo-calcaires ou basaltiques, la vigne se fait discrète en petites parcelles arborées qui regardent le sud sur ce relief semi-montagneux.
UN NOM S’IMPOSE
Évidemment on se renseigne pour trouver les figures montantes de l’appellation. Un nom revient de manière entêtante, cité par mes amis du club oenologique Vertivin, par le guide vert de la RVF et par Corinne, la caviste enthousiaste de Lestroisvins à Chatel-Guyon : celui de Benoît Montel. Eh bien ! Faisons connaissance.
Benoît reçoit tous les vendredis soir sa famille, ses amis, ses proches clients dans son chai-entrepôt de la ZI la Varenne à Riom. Ce fut pour moi un grand honneur d’être invité à partager sa «dégustation de l’amitié » au milieu d’un vingtaine de convives.
Mon voisin de table, l’écrivain Christian Robert, auteur des « Histoires d’Auvergnats » me raconte la vie de ce jeune vigneron à la quarantaine athlétique, si attentif à assurer un service impeccable de ses vins.
« Ses parents habitent ici mais ne sont pas dans le vin, mais lui, c’était comme une vocation. Ils l’ont envoyé à Beaune pour les études. Ensuite, il a été pris en stage chez les Leflaive à Puligny-Montrachet. Figurez-vous qu’ils voulaient le garder là-bas en Bourgogne, notre Benoît. Mais il a dit non. Il est rentré au pays pour faire pousser sa vigne ici sur les pentes de Chateaugay, Chanturgue et Madargue.
L’ACTIVISTE DE LA VIGNE
Benoît a démarré son activité viticole ici, en 2000. En 21 ans, il a eu le temps de faire ce que mettraient trois générations de vignerons à réaliser. C’est peu dire que l’homme est multi-entreprenant ! En voilà un petit extrait :
Son domaine compte aujourd’hui 15 ha de vigne répartis sur les 3 crus, un petit négoce, plus l’exploitation des 3 ha des vignes municipales de Riom- Ici, comme le veut la tradition, la municipalité sert le vin d’honneur provenant de la vigne communale, me dit l’historien.
Vendanges manuelles bien sûr, avec une équipe de réfugiés érythréens. C’est totalement légal. Ils sont habiles de leurs mains et heureux de travailler ici. Ils ne sont pas abîmés par la société française et le mal de l’assistanat. Voilà qui est dit.
Au chapitre des originalités, il y a pêle-mêle : le tonneau immergé dans le lac volcanique Pavin pendant 18 mois, à 25 m de fond par 4°Celcius. C’est un truc caritatif pour l’association Acte Auvergne, c’est pas fait pour vendre…
Qu’a-t-il été cherché en Valais suisse avec des plants du cépage Gamaret ?
Il a planté 3000 m2 de ce cousin du gamay, en plus résistant.
J’aime beaucoup les vins suisses, il y a de beaux terroirs de rouge là-bas.
Comment a-t-il fait pour récupérer une très vieille vigne à Chateaugay ?
Des pieds non greffés, vieillissement 9 mois en fût de chêne, «un gamay de caractère issu de vignes centenaires » à 15 euros la bouteille. Épuisé bien sûr.
En conversion bio, Benoît réduit tous ses intrants, en gardant un minimum de soufre à la mise en bouteille. Certes, sa personnalité entreprenante est très attachante, mais c’est son savoir-faire vigneron qui fait la différence. Il a notamment appris à travailler les macérations longues pour ses gamay et pinot noir, je vais jusqu’au bout du risque.
SUR LE PODIUM
Les bouteilles défilent, juste le temps de prendre quelques notes pour vous livrer mon « podium » :
– la micro-cuvée Coulée de Lave 2020, en 100% gamay (parcelles de Chateaugay), un nez fin aromatique, un croquant superbe, regorgeant de fruit, de matière et des tanins bien fondus
– les Groslières 2020 en IGP Puy de Dôme, un pinot noir croquant avec une belle acidité
– Bourrassol 2020, côtes d’Auvergne blanc, un chardonnay parcellaire, très bien vinifié, joliment fruité avec du gras en bouche.
Les prix cavistes s’affichent entre 8 et 13 euros.
Épuisé, voilà un mot qui malheureusement revient trop souvent : Désolé, il n’y en a plus.Les aléas climatiques d’Auvergne (gel de printemps, grêle, canicule) peuvent faire dramatiquement chuter une production qui tourne normalement autour de 40 000 bouteilles/an.
Difficile de rassurer le banquier quand les écarts vont du simple au double.
BM– c’est ainsi qu’il signe l’étiquette de ses bouteilles- trace sa route, année après année. Après les initiales – une façon trop discrète de se présenter – le terrain de sa réputation est suffisamment dégagé pour que Benoît affirme son nom et sa personnalité hors du commun.
Vigneron de l’année du guide Hachette ou de la RVF en 2022 ? Je tiens le pari.
Jean-Philippe
image à la Une : ©Auvergne-destination.com