Commençons par quelques données édifiantes : sur l’ensemble de la production annuelle de cognac, seuls 2% des volumes produits sont consommés en France ; les 98% restants sont exportés dans 160 pays. Quant au Scotch Whisky, sachez que les Français en sont les premiers consommateurs à l’étranger. Comme quoi, s’il en fallait une preuve supplémentaire, nul n’est prophète en son pays !
L’eau-de-vie de nos grands pères consommée en digestif a connu un succès autant retentissant qu’inattendu au début du XXe siècle, grâce aux GI afro-américains stationnés en Charente pendant la Première Guerre mondiale. « Le cognac allait devenir la boisson des Afro-Américains pour remplacer un whisky jugé trop blanc, trop cow-boy », Voila ce que nous apprend le Hors Série de la vénérable Revue des Deux Mondes « L’incroyable saga du cognac ».
Plus loin : Cela pourrait surprendre vu de France mais ailleurs dans le monde, le cognac est hype, populaire et aspirationnel.
Qu’une revue aussi établie dans l’univers de l’édition consacre un numéro complet au cognac en dit long sur un malentendu qui hante nos habitudes françaises alors que la richesse de l’histoire du cognac témoigne de son universalité!
Pour tenter de dépoussiérer l’image passéiste du digestif dominical, la RDDM réunit 16 pointures : ils sont journalistes, économiste, géographe, romancier, biographe, photographe ou tout simplement professionnel du cognac et contribuent à dresser une vision protéiforme de ce monument historique.
contraints et forcés
On découvre ainsi au XVIIe siècle une profession majoritairement protestante qui s’est inventée sur les bords de la Charente et qui a été mise à mal par la révocation de l’Edit de Nantes en 1685.
L’exode qui s’en est suivi va paradoxalement servir les intérêts du cognac. Patrick Raguenaud : ces exilés deviennent importateurs de cognac. Ils établissent des relations commerciales avec leurs parents et coreligionnaires restés au pays. Ainsi c’est une formidable population d’ambassadeurs du cognac qui se répand dans le monde : Hollande, Allemagne, Amérique…Le cognac devient pour l’histoire une eau-de-vie d’exportation…
Le cognac s’exporte et se développe au XVIIIe. C’est l’époque où les grands noms apparaissent. Patrick Raguenaud : Godet, Hennessy, Hine, Martell La plupart de ces négociants sont des Anglo-Saxons dont le développement est soutenu par la puissance économique et maritime de l’Angleterre.
Mais la vraie force interne de cette profession, c’est l’union des négociants et des viticulteurs. Valérie Toranian : Voilà une région qui fait bloc, capable de mettre la réussite de la filière au dessus de la somme des réussites (bien réelles !) de ses acteurs : 280 maisons de négoce de tailles variées et plus de 4300 viticulteurs et distillateurs. » Car la crise du phylloxéra est passée par là et le nécessaire travail de replantation a achevé de fédérer les énergies des négociants et des producteurs autour d’un projet commun.
Yac pour Cognac
Raphaël Delpech : La relation très forte créée par les marques de cognac avec les consommateurs de la communauté afro-américaine a en tout état de cause constitué le premier pilier de ce développement, même si le cognac touche désormais d’autres publics. Le deuxième a été un mode de consommation en cocktails et en long drinks mettant les catégories de cognac, les plus jeunes à l’honneur, VS et VSOP.
Voilà l’histoire du cognac raconté par Usher, danseur et chanteur de RnB. Un clip réalisé avec le budget d’un long métrage :
https://youtu.be/v2hp5LUuRQM
Stéphane Reynaud : Encore aujourd’hui, les clins d’oeil aux grandes marques sont aussi fréquents dans les textes des rappeurs que les taxis jaunes à New-York. Busta Rhymes, Nas, Jay-Z et d’autres n’ont cessé de multiplier les références favorables à l’eau-de-vie charentaise. Dans un de ses derniers tubes, le rappeur Drake répétait un refrain explicite : I need a one dance, Got à Hennessy in my hand. Fort opportunément, les maisons charentaises entretiennent la flamme du rap.
Le soleil ne se couche jamais sur le cognac…
Il prend racine dans l’empire du Milieu dès le XIXe siècle. Une flamme qui a embrasée la communauté chinoise, en Chine mais aussi à travers l’ensemble du continent asiatique. Valérie Toranian : symbole de vie à la française, incarnation de l’afro-american way of life, le cognac est devenu l’eau-de-vie iconique des élites chinoises !
Bon on ne va pas vous raconter tout le Hors Série non plus, il fait plus de 150 pages ! Citons encore Valérie Toranian : notre pays qui n’adore rien tant que ressasser ses amertumes et s’adonner à la haine de soi devrait méditer sur cette réussite hors du commun dont curieusement il ignore à peu près tout…
Les Français sont en train de redécouvrir le cognac…par le shaker ! En long drinks ou en cocktails courts, les bartenders créent des mélanges inédits qui séduisent la jeune génération ici et ailleurs. L’avenir du cognac se jouerait-il en France ?
François
Hors Série de la Revue des Deux Mondes : disponible en kiosques, librairies et sur internet au prix de 20 euros.
Image à la Une : d’après winecorrespondent.net