En ces temps moroses pour la vente des vins et des spiritueux, il existe un petit îlot de prospérité ou une niche marketing qui répond à une forte demande des amateurs et des collectionneurs, c’est l’engouement pour les vieux millésimes. Qui n’a pas songé à offrir une bouteille millésimée pour honorer un ami cher, pour célébrer un anniversaire, une Légion d’honneur, des noces d’argent ou un dernier adieu ?
Tout n’est pas simple dans ce monde de la rareté quand les aléas du temps qui passe, les ventes et les reventes, la réglementation, les conditions d’élevage et de conservation, les fraudes aussi, rendent l’acte d’achat périlleux mais tellement excitant.
Génération Vignerons avait dévoilé notre parcours complexe pour acquérir une bouteille de Sauternes, Château d’Yquem 1989. C’était il y a 3 ans, l’équipe du Comptoirs des Millésimes avait été sensationnelle pour me dénicher un flacon authentique en caisse bois pour 366€, Chronopost inclus. La cote d’aujourd’hui a pris allégrement 25%. Que ma chère belle-fille destinataire de ce nectar se rassure : la bouteille est prévue pour ton mariage, je te promets de résister aux sirènes de la spéculation !
L’UNIVERS DU SPIRITUEUX
Là, on vise carrément plus vieux : trois-quarts de siècle en oubliant le vin muté ou liquoreux pour aller chercher du côté des spiritueux. Dans spiritueux il y a de l’esprit et forcément quelque chose qui touche à la spiritualité, à l’au-delà. J’ai compris, me dit un vieux copain, tu souhaites qu’on boive cette eau-de-vie le jour de tes funérailles ! L’armagnac s’est imposé par son authenticité, ses beaux terroirs, ses savoir-faire patrimoniaux et ses qualités organoleptiques : gustativement, nous n’avons peur de personne affirme le président de l’appellation.
Le Bureau National Interprofessionnel de l’Armagnac – BNIA- a les mêmes attributions que le BNIC, son équivalent à Cognac, mais en 100 fois plus petit. Là, on est à Eauze, au cœur de la Gascogne, entouré des 1429 hectares de vignes qui ont droit à l’appellation. Une centaine de vignerons produisent le vin à partir des cépages locaux (ugni blanc, baco, folle blanche, colombard) et 40 d’entre eux possèdent un alambic pour la distillation.
Environ 3 millions de bouteilles d’armagnac sont vendues par an dont une grosse moitié à l’export – chiffre à la hausse – à comparer aux 200 millions de bouteilles de cognac – chiffre à la baisse. Enfin l’armagnac possède un trésor de guerre, objet de nombreuses convoitises commerciales : ses 153 779 hectolitres (chiffres 2023) d’alcool pur en stock, éparpillées dans des dizaines de chais de vieillissement.
DEHORS LES FRAUDEURS !
Le contact fut pris avec Marie-Claude Ségur l’oenologue en chef que je remercie une fois encore pour sa disponibilité. Ma question était toute simple : je cherche un Armagnac du millésime 1949 et je veux être sûr de ne pas acheter un faux. Je venais de voir défiler sur Internet quelques offres qui m’avaient laissé un goût de suspicion. Une suspicion vite écartée par les explications de l’oenologue ainsi résumées : le BNIA s’est vu attribuer une mission de service public par délégation de la Direction des Douanes Françaises allant du contrôle des mouvements d’armagnac, de la tenue des comptes de vieillissement (suivi des stocks de chaque opérateur) à la délivrance de certificats notamment à l’export. Nous voilà rassurés, même si la filouterie des fraudeurs n’est pas éradiquée pour autant.
PAS DE MARQUE ICONIQUE ICI
« Petit frère » du cognac, l’armagnac n’a cessé d’affirmer son originalité tout au long de ses 700 ans d’histoire. On passera sur les déboires à la fin du XXème siècle lorsque le Japon, son premier client à l’export a brutalement fermer les portes, entrainant de nombreuses difficultés dans les activités de négoce et d’élevage.
Pour percevoir la différence entre le cognac et l’armagnac, il faut juste se poser la question : Hennessy (groupe LVMH) le leader du cognac est-il présent ici ? Il n’y a pas de porte-drapeau pour l’armagnac. Aucune marque n’est sortie du lot à l’international précise mon interlocuteur. L’autre différence essentielle, celle-là plus technique : la distillation.
Le cognac est distillé deux fois dans un alambic à «repasse » alors que l’armagnac est distillé en une seule fois dans un alambic à colonne pour sortir une eau-de-vie titrant entre 52°et 56°c soit 20° de moins que le cognac.
Et beaucoup moins de «part des anges » évaporée.
QUESTION PIÈGE
Trouvez-moi un cognac de 1949 !
IMPOSSIBLE ! La réglementation du cognac ne permet pas d’afficher les millésimes.
On parlera d’un cognac Hors d’Âge quand il a 30 ans et plus de vieillissement toujours fondé sur l’assemblage des eaux-de-vie. On voit tout de suite l’atout maître de l’armagnac dont la réglementation autorise la mention de l’année de la vendange sur la bouteille.
En fait il existe deux catégories d’armagnac : les assemblages issus de plusieurs eaux-de-vie qui auront vieilli ensemble en fûts de chêne 20, 30 ou 40 ans, l’âge étant celui du plus jeune armagnac. Pas d’erreur possible, c’est marqué en gros sur l’étiquette.
Et le millésimé qui indique l’année de la vendange des raisins : 2005, 1984, 1950 ou…..le recordman 1888 proposé par la maison Jean Cavé à 14500€ la bouteille !
ARRÊTER LE VIEILLISSEMENT
Juste un instant d’attention, pour vous parler du compte d’âge en rappelant que l’eau-de-vie vieillit en fût de chêne – des pièces de 420 litres – mais une fois la mise en bouteille, il n’y a plus de vieillissement possible. Ainsi un « armagnac 30 ans » aura fait 30 ans de barrique, ça c’est garanti. Mais la question se pose pour les armagnacs millésimés.
Si j’achète un millésime 1949, a-t-il fait 75 ans de barrique ? Et là, plane un certain mystère. C’est la responsabilité pleine et entière du maître de chai ou de l’oenologue, après échantillonnage et étude des condition d’humidité, de température, de dire : Ça y est, le vieillissement en fût a atteint son apogée, on soutire et on remplit les bonbonnes.
Quelle que soit l’excellence du maître de chai, notre culture technophile reste un peu sur sa faim quand il s’agit de laisser à un seul homme- ou à une seule femme- le soin de prendre une décision aussi importante. On le verrait bien bardé d’instruments de mesure collectant les data du vieillissement, peut-être un jour dans le futur.
LA PISTE DU MILLÉSIME 1949
Pas besoin de se déplacer à Eauze, les vieux millésimes d’armagnac s’achètent en ligne aujourd’hui. Il y a pléthore de sites (la Maison de l’Armagnac, SoDivin, Club des Marques, Myarmagnac, etc). Bonne nouvelle ! Il y a du millésime 1949 en magasin. Aie ! chez les ténors de l’appellation, les Monluc, les Sempé, Ferté de Partenay, Jean Cavé, on est à plus de 2000 € la bouteille de 70cl. Une surprise : le Dupeyron est proposé à 473€, mais en bouteille de 5cl !! Finalement ma short list va se limiter à deux offres : Château de Labaude et Armagnac Baron de Lustrac, tous deux autour de 750€ la bouteille.
Je suis tombé sous le charme de l’équipe 100% féminine d’AOD Armagnac Baron de Lustrac, composée de deux oenologues Léa Rispard et Marine Darroux, autour de la fondatrice biologiste franco-allemande Ina Bornemann.
Mes échanges avec Léa ont considérablement élargi ma connaissance de l’armagnac et celle du métier de négociant-éleveur. Un métier qui ne se limite pas à élever et à commercialiser les vieux armagnacs mais à valoriser aussi d’autres spiritueux, rhum ou calvados, en leur apportant le fameux finish des vieux fûts gascons.
BIENTÔT AU PARADIS
À quoi ressemble ce millésime 1949 ? Finalement, on n’en sait rien. La fameuse palette gustative « qui va de la poire au cacao en passant par le tilleul, le miel, le coing ou encore l’orange confite» des armagnacs dans la fleur de l’âge se sera évaporée avec le temps. Il ne lui restera que les saveurs mystérieuse d’éternité.
Le temps réduisant les quantités, j’ai apprécié la photo de l’unique dame-jeanne 1949 très entamée que l’équipe féminine d’AOD Baron de Lustrac m’a aimablement transmise. Et puis viendra le moment où le maître de chai ne pourra plus remplir une bouteille complète alors les quelques centilitres restants rejoindront les étagères d’un espace secret appelé en Gascogne..….le Paradis !
Jean-Philippe, vous pouvez inscrire un petit message de deux lignes sur l’étiquette, il y a la place prévue à cet effet, me dit Léa. Quel petit haïku, quel joli « bon mot » vais-je trouver pour faire sourire mes proches ? Soudain, le visage rubicond de l’oncle Guy me revient en mémoire, il était bon vivant et adorait les blagues de voyageur de commerce. Tu la connais celle-là ?
Jean-Philippe
Image à la Une : crédit Jean-Cavé