Quoi ! encore un article sur les vignobles d’Auvergne. Certains lecteurs trouveront suspect notre insistance à mettre tellement en avant le Puy de Dôme, l’AOC Côtes d’Auvergne, la Corrèze ou la Loire Volcanique. Génération Vignerons ne se lasse pas de raconter l’histoire d’une reconquête, celle de ces vignobles éparpillés qui, en moins de 20 ans, ont permis à des vignerons d’une nouvelle génération, audacieux et courageux d’affirmer leur talent. Et ce, en dépit d’épisodes climatiques qui ne les ont pas épargnés, ici comme ailleurs.
RETOUR À CHATEL-GUYON
Le vigneron auvergnat Benoît Montel n’est pas un inconnu pour Génération Vignerons.
J’avais rencontré Benoît il y a deux ans dans son chai de Riom, «ouvert tous les vendredis soir aux amis et aux amateurs », où la foule se presse pour goûter ses chardonnay, gamay, gamaret, viognier, sauvignon et les autres.
Je me souviens de sa cuvée confidentielle le Sang des Volcans 2019, 100% syrah en élevage fût-amphore aux arômes de fruits noirs et aux tanins bien fondus, taillée pour faire de l’ombre aux cadors de la syrah du Rhône Nord.
Le temps a passé jusqu’à ce message récent de Corinne, caviste aux Trois Vins à Chatel-Guyon : Dites-moi Jean-Philippe, vous revenez cette année ? Connaissez-vous la cuvée INEDIT de Benoît ? C’est très spécial vous verrez, on ne déguste pas et c’est vendu uniquement par carton de six.
Je suis un peu déstabilisé, pourquoi six bouteilles ? Ça fait quand même 120€, il nous forcerait pas un peu la main, le gaillard ?
Au diable les réticences ! Benoît Montel- BM comme on l’appelle ici- est un grand vigneron, on peut faire confiance. Merci Corinne, vous m’en mettrez de côté un carton, je passerai le chercher à la mi-août.
UNE LETTRE PAR BOUTEILLE
C’est vendredi soir à Riom pour les Portes Ouvertes du Domaine. Les amis et les amateurs sont là avec l’équipe d’artisans qui construit l’extension du chai. En ces temps difficiles pour la vin et la vigne, il n’est pas fréquent de rencontrer un vigneron confiant dans l’avenir. Il est comme ça Benoît, le vigneron volcanique fier d’afficher son agrément bio.
Ah ! tu as réservé INEDIT chez Corinne ? Tu as bien fait, il n’y a plus rien en stock ici. L’œil malicieux, Benoît me montre sur le comptoir 6 bouteilles alignées dont les étiquettes forment le mot INEDIT. Évidemment, le mot perd son sens si on individualise les bouteilles. Vous n’allez pas acheter N, E, D, T ou I et I la semaine suivante.
Quel lien entre ces 6 bouteilles ? Une astuce de marketing ? J’ai vite chassé cette pensée car nous sommes chez un grand vigneron, le lien est forcément dans le terroir, la vinification ou l’élevage.
L’AGROFORESTERIE AU NATUREL
Explorons la piste terroir. Sa cuvée provient du lieu-dit Bourrassol plantée en chardonnay. Connaissant Benoît et son expérience bourguignonne chez Olivier Leflaive, il n’est pas impossible qu’il ait découpé sa parcelle de Bourrassol en micro-parcelles, façon Puligny Montrachet.
Le vignoble des Côtes d’Auvergne a ceci de particulier que vous ne le voyez pas. Quand on vous dit que les coteaux du Pays de Riom étaient couverts de vignes autrefois, on a du mal à y croire. Aujourd’hui le vignoble s’étend sur moins de 400 ha en une multitude de petits îlots sur des sols pentus et caillouteux ceinturées de massifs boisés, de haies et d’arbres fruitiers.
On est à 300-400m d’altitude, si demain le réchauffement accélère il y aura de la place pour planter des vignes plus haut, jusqu’à 600-700m toujours sur ces sols basaltiques qui ont donné leur nom à la Loire Volcanique. Le vigneron auvergnat fait de l’agroforesterie sans le savoir, comme monsieur Jourdain faisait de la prose, en tout cas il ne nous facilite pas l’accès aux vignes ; même le GPS est inopérant, alors on progresse un peu au hasard, guidé par les ruines de châteaux médiévaux.
UN RÉCIDIVISTE DE L’EXPÉRIMENTATION
Je m’aperçois que le micro-parcellaire de Bourrassol est une fausse piste, alors revenons aux fondamentaux en nous penchant sur la personnalité de Benoît. Là, on apprend que ce « fondu d’expérimentation et de micro-cuvées s’amuse également au niveau des élevages».
Il plonge régulièrement des barriques dans le lac Pavin pour la bonne cause humanitaire, il oublie des bouteilles dans les parcs à huitres de Port Leucate.
Et si INEDIT allait chercher ses racines du côté de l’élevage ? N’allons pas plus loin, la fiche technique dévoile le mystère :
CEPAGE | chardonnay 100% millésime 2022 |
TERROIR | argilo-calcaire, issu du lieu-dit Bourrassol, exposition sud-est |
VENDANGES | mécanique |
VINIFICATION | pressurage direct, débourbage léger, fermentation à basse température, levures indigènes, sans intrant, fermentation alcoolique douce pendant 15 jours. Vinification sans soufre. |
CUVEES | parcellaire, raisins d’une même vigne, vinifiés ensemble, puis séparés au moment de l’élevage qui dure 9 mois. |
ELEVAGE | 6 élevages différents : |
I | élevage en cuve : fruité sur des notes d’agrumes |
N | élevage en amphore porcelaine : rondeur, finesse |
E | élevage amphore en grès : plus minéral |
D | élevage amphore terre cuite : très aérien |
I | élevage fût d’acacia : vanillé, floral |
T | élevage fût de chêne : notes grillées, plus riche, plus gras |
Un vin pour 6 goûts différents
LA CLAQUE
Mais si bien sûr, l’innovation incroyable, elle est là sous vos yeux.
Rien à voir avec du marketing œnologique, les consultants fumeux, les beaux parleurs et les messieurs Diafoirus peuvent aller se rhabiller. C’est un vigneron imaginatif et talentueux qui est à l’origine de l’INÉDIT. Preuve que l’on touche à une vraie innovation, on ne sait pas quoi en faire. Les usages n’ont pas été pensés à l’avance, du coup le champs d’expérimentation est ouvert à toutes les idées.
On a sorti INÉDIT fin 2023, tout est parti très vite (300 cartons ?). Les clubs de dégustation se sont précipités, beaucoup à Paris. Benoît ne raffole pas qu’on le questionne sur sa stratégie, alors n’insistons pas. Sur l’avenir, il n’est pas très disert non plus. Je ne pense pas qu’on re-sortira INÉDIT en 2024, il faudra plutôt attendre 2025. Voilà de la rareté qui suscite toutes les convoitises.
Que vais-je faire de ma caisse ? L’ouvrir, c’est probablement trop tôt, mais il me tarde de comparer les élevages. Attendre, mais ses chardonnays ne sont peut-être pas taillés pour la garde. La mettre aux enchères sur iDealwine ? Même chez l’amateur le plus ingénu il y a un spéculateur qui sommeille, c’est bien connu. Je n’écarte pas la possibilité car nous sommes face à un produit unique qui va susciter une énorme curiosité.
RESSENTIR L’ÉLEVAGE
Nul doute que l’initiative de Benoît va faire des émules. ADAGIO, AIGLON, ZYTHON… Il y a près de 18 000 mots de 6 lettres que les joueurs de Scrabble connaissent bien. Mais peu sont aussi pertinents qu’INÉDIT. On n’est pas obligé d’aligner 6 élevages différents. C’est comme le triple salto arrière réservé aux champions olympiques. On peut commencer par 4 élevages, et appeler sa cuvée XTRA, pourquoi pas ? Je pense au Val de Loire où nos amis vignerons expérimentent des élevages diversifiés en cuve, qvevri, amphore ou œuf-béton.
Et ailleurs bien sûr, en Jura, en Alsace comme en Languedoc, partout en France où travaillent des vignerons talentueux et imaginatifs. Mais l’INÉDIT de Benoît Montel restera le premier, le pionnier. Celui qui ouvre un nouveau champ à la dégustation comparative, après la verticale, l’horizontale, l’analytique ou la géo-sensorielle. Comment va-t-on l’appeler ? La dégustation d’élevage ? Peut-être. On lance l’appel aux lecteurs de Génération Vignerons : à vos propositions !
Jean-Philippe