La coopétition dans les vins d’Auvergne : pour le meilleur et pour le pire ?

La coopétition, qui désigne une situation de coopération entre concurrents, est un phénomène ancien qui n’a bénéficié que récemment d’un intérêt de la part des entreprises et des chercheurs en gestion. Sans doute parce que l’association de ces deux notions, concurrence et coopération, paraissait trop antinomique pour trouver sa place dans le corpus théorique des sciences économiques et de gestion, à l’exception de quelques apports de la théorie des jeux.

Depuis une vingtaine d’années, les recherches s’amplifient cependant, portées par l’évidence de l’intérêt stratégique de cette modalité de développement interorganisationnel. Elle peut paraître contre-intuitive, mais se nourrit de nombreux exemples de succès : s’allier avec un concurrent peut permettre de faire grossir un « gâteau » à se partager ensuite (la coopération permettant d’être plus efficace à plusieurs que seul), et s’avère préférable à la lutte à mort concurrentielle qui permet au mieux, souvent, une modeste part supplémentaire d’un gâteau bien amaigri.

L’idée part donc d’une hypothèse forte : la coopération entre concurrents permettrait, à certaines conditions, de créer davantage de valeur en favorisant l’innovation, le partage de savoirs, de compétences, de techniques ou de matériel, en permettant des économies d’échelle par des investissements ou des achats communs, etc.

Le cas des vins d’Auvergne

C’est le cas, par exemple, de Salomon, Millet et Babolat qui, bien que concurrents directs sur un certain nombre de produits, s’associent au sein de l’Advanced Shoe Factory 4.0 pour relocaliser en France la production de chaussures de sport (voir à ce sujet l’étude de cas proposée par la Chaire Coo’Innov).

Autre exemple dans le monde audiovisuel, Canal+, qui connaît une sévère perte d’abonnés ces dernières années, s’est finalement allié à ses anciens rivaux, Netflix, Disney et OCS, pour proposer aux spectateurs les offres de ses concurrents, en plus des programmes originaux. Cette stratégie, combinée à d’autres actions, semble à ce jour porter ses fruits.

Notre recherche porte quant à elle plus spécifiquement sur les vins d’Auvergne, regroupés depuis 2010 au sein de l’Appellation d’origine contrôlée (AOC) « Côtes d’Auvergne ». Elle met clairement en évidence les bénéfices issus de la coopétition pour ce vignoble, longtemps peu prestigieux et peu renommé, qui connaît un net sursaut et une amélioration significative de sa qualité depuis quelques années. Dans un petit vignoble comme celui de l’AOC Côtes d’Auvergne, véritable « nain » parmi les 16 appellations génériques des vins de France au côté des prestigieux vins de Bourgogne, de Bordeaux ou de Champagne, le partage des ressources est essentiel.

Les vignerons et viticulteurs ont mis en commun certains matériels (par exemple pour les vendanges), des ressources financières, mais s’apportent aussi une entraide très significative, alors qu’ils sont pourtant, en même temps, concurrents. La stratégie de coopétition mise en place a rapidement permis aux acteurs de la filière de créer de la valeur, d’abord sur la qualité du vin avec des résultats plutôt probants, induisant un cercle vertueux et des conséquences remarquables sur la notoriété.

Les nouveaux arrivants plus que bienvenus

Créer de la valeur est une première étape évidemment essentielle, mais pas la seule. Le deuxième étage de la « fusée coopétition » est celui de l’appropriation de la valeur, c’est-à-dire le fait, pour les acteurs engagés dans une telle stratégie, de retirer les fruits, collectivement ou individuellement, des gains ainsi créés. De façon individuelle, la notoriété accrue par la production semble aider certains à mieux exporter, tandis que d’autres acteurs ont pu accroître leur volume de production et/ou leurs prix de vente. Mais il y a plus surprenant, et intéressant : nos interlocuteurs nous le disent nettement, les nouveaux arrivants sur le terroir sont non seulement les bienvenus, mais même souhaités, encouragés par les vignerons et viticulteurs déjà installés. Au point, par exemple, de leur réserver des terres : une caractéristique surprenante et peu intuitive de ces relations de coopétition, entre concurrents qui coopèrent.

Pourtant, le tableau n’est pas complètement idyllique, et fait ressortir une face cachée de la coopétition qui peut aussi engendrer des formes de « destruction de valeur ». Ce qui prouve si besoin était que la coopération entre concurrents ne va pas de soi : elle conduit parfois, de façon non intentionnelle, à des résultats qui vont à l’encontre des effets initialement recherchés.

Prenant ici la forme d’une AOC, par définition dotée d’un cahier des charges précis et contraignant – gage de qualité, justement – elle semble avoir de possibles effets pervers. Par exemple, les rendements d’une vigne en AOC sont bien inférieurs à ceux d’une « simple » indication géographique protégée, et a fortiori, d’une parcelle commercialisée en « vins de France ».

« L’union fait la force »

Pour l’AOC Côtes d’Auvergne, le rendement maximum autorisé est de 55 hectolitres par hectare, quand il s’élève à 70 en Indication géographique protégée (IGP). De quoi inciter certains à privilégier cette IGP et à sortir de la logique d’AOC et donc de la stratégie collective adoptée d’une montée en qualité et en notoriété. Si l’AOC implique souvent une augmentation du prix de vente des vins, supposée surpasser la baisse des rendements, il n’est pas certain que la marge de manœuvre soit significative pour les vins d’Auvergne de ce côté-là, tout de même concurrencés par d’encombrants (et réputés) voisins.

Ainsi, notre recherche conforte, pour le secteur des vins d’Auvergne, tout l’intérêt de mécanismes de coopétition, notamment pour des petites structures, relativement homogènes, sur des territoires peu renommés. Comme le dit le dicton, « l’union fait la force ». Si, donc, les raisons pour lesquelles la coopétition constitue aujourd’hui une stratégie très utilisée par les entreprises semblent clairement ressortir, et sont adaptées aux petites entreprises, notre étude montre aussi certaines limites de l’exercice, qui justifient probablement une approche sur-mesure selon les situations rencontrées.


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Anne Albert-Cromarias, Directrice Académique et de la Recherche. Enseignant-chercheur HDR, management stratégique, Groupe ESC Clermont; Alexandre Asselineau, Directeur de la Recherche, Professeur associé en Management stratégique, Burgundy School of Business et Grégory Blanchard, Doctorant en sciences de gestion. Enseignant en négociation – vente, Groupe ESC Clermont

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Image à la Une : ©Marie-Lan Nguyen/Wikimedia Commons

Ecrit par Anne Albert-Cromarias, Alexandre Asselineau, Gregory Blanchard
Catégories : le métier

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