Etes vous petit manseng ou gros manseng ?

Jean-Luc Bazaillacq cueille deux feuilles issues de ses vignes centenaires, tient l’une en main gauche, l’autre en main droite et me demande si je vois la différence entre le gros et le petit manseng. Je sèche. Le gros manseng, apporte du volume, du corps, un meilleur rendement alors que le petit manseng est plus dans la finesse, l’acidité, la fraîcheur, m’explique-t-il.

Ces deux cépages si complémentaires me font penser à Laurel et Hardy : indissociables pour les gags, indissociables pour les vins d’ici.

Mais où sommes-nous ?

Nous sommes à Jurançon, à quelques encablures de Pau, protégés au sud par la montagne et son emblématique pic du Midi d’Ossau, dans ce Béarn généreux aux traditions festives en robes des viguiers :

Jurançon
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L’appellation Jurançon s’étend ici entre les commune de Gan, Lacommande et Monein. GPS obligatoire pour s’orienter sur les petites routes filant au creux de coteaux escarpés couverts d’une végétation luxuriante. La vigne se découvre difficilement en petites parcelles blotties dans des combes ensoleillées. Tout au plaisir de l’œil, vignes fournies taillées en hautain, chaque pied enlacé à son tuteur de bois.

Sur le chemin de Saint-Faust un panneau de tôle émaillée vous indique la direction du domaine Bazaillacq. Une grosse ferme béarnaise authentique est accueillante comme le sont ses hôtes Jean-Luc et Marie-Christine, 6ème génération. La tradition au domaine veut que nous associons viticulture et élevage, j’ai commencé éleveur et je termine viticulteur. On a 100 vaches dans la vallée dont s’occupe mon fils. Personnellement, je trouve toujours rassurant qu’un viticulteur pratique la polyculture, gage de diversité.

Sur la question du bio, le scepticisme l’emporte : pour l’instant, je reste en raisonné, on en fera certainement un jour mais il y a trop de questions sans réponses, comme le cuivre par exemple.

Les mansengs petits et gros

Un petit domaine de 4ha, une production presque confidentielle intégralement vendue à la propriété et probablement l’un des meilleurs « savoir-faire » vignerons de l’appellation.

Clairement son cœur bat pour le Jurançon, le vrai, celui dont les raisins sont cueillis par tris successifs en novembre-décembre, déjà bien desséchés sur les ceps. Il faut de la patience pour le moelleux, j’attends le dernier moment.

La maturité tardive des mansengs – petit et gros – est parfaitement adaptée à l’été indien du piémont pyrénéen et à ses terroirs pentus qui ne craignent pas les pluies.

Le domaine est reconnu pour ses jurançons doux ou moelleux, jeunes ou traditionnels, qui incarnent le Béarn éternel comme ce Barzaillacq Jurançon 2016 (11€) à la magnifique fraîcheur en bouche, sans lourdeur aucune, avec des notes de fruits confits et de miel.

Quand on évoque la bouderie du consommateur pour les vins moelleux en général, le vigneron l’écarte : Vous ne faites pas un repas avec, vous passez un moment.

Et quel moment !

 

Repères : l'appellation Jurançon

C’est au XVIe siècle, sous l'impulsion donnée par Henri II d'Albret et Marguerite de Navarre, que le cru atteint sa plus grande renommée. En 1553 le Jurançon entre définitivement dans l'histoire de France par le Baptême du futur Roi Henri IV. Le 12 Décembre, Henri II frotte d'une gousse d'ail les lèvres du nouveau-né, et les humecte d'un jurançon désormais voué à la célébrité.

L'Amour sourit en voyant comme il tète au lieu de lait, le jurançon nouveau. Le baptême au jurançon, instauré par Henri d'Albret, devint une tradition royale (extrait de l’historique des Caves de Gan-Jurançon).

Le vignoble existait bien avant cet événement qui le fit entrer dans la grande histoire. Il a connu par la suite son lot d’avatars qui ont menacé son existence même, pour connaître un redressement spectaculaire depuis une cinquantaine d’années. En 1936, Jurançon devient l’une des premières AOC, et en 1975 fut créée l’AOC Jurançon mention Jurançon sec.

L’aire de l’appellation s’étend sur 25 communes au sud de Pau, représentant un potentiel de 5000 hectares ; aujourd’hui 1400 hectares sont plantés principalement en petit manseng et gros manseng mais aussi en petit courbu, courbu blanc, camaralet et lauzet. Ils sont 63 vignerons indépendants regroupés au sein de la Maison des Vignerons de Lacommande à produire annuellement autour de 20 000 hectolitres, pour un tiers en bio et biodynamie. Le cahier des charges de l’AOC limite le rendement à 40 hl/ha pour le jurançon et 60hl/ha pour le jurançon sec. Les teneurs en sucre résiduel sont limitées à 4g/ litre pour le sec et un minimum de 40g/l pour le jurançon.

Les vignerons souhaiteraient que ces contraintes soient revues pour permettre de produire un jurançon avec une légère sucrosité, correspondant aux goûts actuels.

Le principal producteur en est la Cave de Gan Jurançon, fondée en 1949 qui regroupe 300 viticulteurs et une centaine de salariés sur ses sites de Gan et Bellocq en Pyrénées Atlantiques. Cette cave coopérative est reconnue pour son engagement environnemental et d’œnotourisme (labels HVE et Qualité Tourisme). 5 millions de bouteilles sont vendues par an, principalement en grande distribution. Ce volume inclut les vins rouges et rosés de l’AOC Béarn Bellocq (cépages tannat, cabernet sauvignon et cabernet franc).

La Route des vins du Jurançon passe par Lacommande, un bourg historique sur le chemin des pèlerins de Compostelle, doté d’une église romaine et d’un ancien hôpital classé du XIIème siècle.

Là, une grande bâtisse élégamment rénovée, la Maison des Vignerons du Jurançon, vous ouvre ses portes.

L’œnologue Christophe Laüt connaît parfaitement les 63 vignerons indépendants de l’appellation et surtout leurs vins, comme en témoigne la variété des crus sur les présentoirs.

Nouvelle génération

L’AOC Jurançon sec a démarré il y a une vingtaine d’année, aujourd’hui elle représente 1/3 de la production, soit 20000 hectolitres. Jusqu’ici mes dégustations de Jurançon sec n’avaient pas été très emballantes.

Alors goutez ce clos Labrée sec, de Thomas Pissondes, en agriculture biologique, assemblage PM-GM et Courbu, élevé en barrique. Belle tension, belle complexité aromatique.

A citer aussi le travail d’Antoine Arraou à Monein qui produit cet argile, élevé en amphore qu’il me tarde de déguster.

Mais le summum fut atteint avec le domaine Camin Larredya conduit en biodynamie – 4 étoiles au guide B+D. Jean-Marc Grussaute est certainement l’une des figures emblématiques de l’appellation qui participe activement à son dynamisme et son rayonnement. Son La Part Davant 2017 (16€) m’a définitivement réconcilié avec le Jurançon sec.

Faut-il choisir entre le petit et le gros manseng ?

Jean Philippe

Image à la Une : © Par Capbourrut — Travail personnel, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=67902833

Ecrit par Jean-Philippe RAFFARD
--------------------------------------------------------------- Toujours volontaire pour une virée dans le vignoble du bout de la Loire, du bout de la France, du bout de l’Europe ou du bout du monde, là où il y a des vignerons, là où il y a du bon vin. Jean Philippe n’oublie pas sa vie antérieure en marketing-communication pour lever le voile sur le commerce du vin et l’ingéniosité des marchands.
Catégories : cépages et terroirs , France

2 commentaires

  1. Bernardo dit :

    Très joli article sur notre belle appellation !
    Vous ne serait pas déçu par Argile

    Santat !

    1. Francois SAIAS dit :

      Merci pour votre lecture attentive !

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