Dijon-Beaune #2 la Cité des Climats et des Vins de Bourgogne

Et Beaune surgit. Nous étions dans l’état d’esprit des mélomanes qui arrivent à Salzbourg, la ville mozartienne dont la maison natale du compositeur fait l’objet d’un culte immensément vénéré. Pareil à celui des Hospices civils. dont la fameuse vente aux enchères – 163ème du nom- se déroule le dimanche 19 novembre, en point d’orgue d’un week-end de festivités ponctuées par les confréries viticoles qui intronisent les nouveaux ambassadeurs des vins de Bourgogne.

La cité fortifiée est ceinturée de remparts construits et reconstruits depuis l’antiquité romaine, protégeant un castrum historique – l’intra-muros – riche d’hôtels particuliers, de demeures historiques, de collégiales, de chapelles et de maisons bourguignonnes à colombage. Plus on se rapproche du cœur piétonnier, plus la densité des bars à vin, restaurants, caves et négoces s’élève en mettant une forte pression émotionnelle chez l’amateur éclairé. La foule cosmopolite déambule, bonne enfant. Comment ne pas se sentir bien ici ? L’univers visuel nourrit le ravissement de nos sens qui eux, appellent avec insistance à la dégustation.

Une cité ? Non un réseau

Eh non, nous n’irons pas au musée du Vin de Bourgogne logé dans l’Hôtel des Ducs. Cet incontournable lieu de mémoire viticole a vu émerger il y a peu, un sacré concurrent : la Cité des Climats & Vins de Bourgogne Chablis-Beaune-Mâcon. Tout de suite une précision, il s’agit d’un réseau de « trois lieux de vie et de partage dédiés à la Bourgogne, son patrimoine, son histoire, ses climats et ses vins ».

Chablis et Mâcon, ça sera pour la prochaine fois.

 

UN CHOC DE BEAUTÉ

N’attendez pas à trouver la Cité dans l’intra-muros, il faut passer les remparts prendre l’avenue Charles de Gaulle, passer le long d’un Palais des congrès au style béton géométrique fin de siècle pour déboucher sur le parc de la Chartreuse récemment végétalisé et plein de promesses, comme une vigne juste plantée.

Et là, on tombe en pâmoison, frappé par la beauté extérieure du bâtiment. Je voulais qu’il parle de la Bourgogne, avec cette vrille de vigne qui part de la terre et s’élève vers le ciel déclarait Emmanuelle Andréani, l’architecte du projet.

Ce joyau d’architecture qui tire votre regard vers le haut croule déjà, à peine ouvert, sous les prix et distinctions. Ce « bâtiment paysage » aux matériaux biosourcés vous propulse sur le belvédère à 24 m de hauteur, une terrasse propice aux déclarations d’amour avec vue à 360° sur les prestigieuses côtes et coteaux alentour.

L’accès à la plate-forme déportée du bâtiment est gratuit nous précise Chloé Butet, responsable Culture. Sa passion pour la Cité est communicative ; elle a vécu toutes les étapes du projet, de la construction à la programmation et maintenant l’ouverture au public.

L’inauguration, c’était le 16 juin et l’ouverture au public le lendemain. Tout a été vu et revu jusqu’au dernier moment ; je me souviens d’Aubert de Villaine relisant lui-même les textes du parcours Bourgogne viticole. Une réalisation à 15 millions d’euros, financée pour un quart par un club de mécènes et « grands fondateurs » bourguignons.

COMMENT SCÉNOGRAPHIER UN PAYSAGE CULTUREL ?

Le parcours intérieur signé de la scénographe Clarisse Garcia est à la pointe de l’art en matière d’univers didactico-sensoriel. Il fallait être à la hauteur des « quelques 1400 climats du vignoble de Bourgogne » inscrits depuis 2015 au patrimoine mondial au titre de paysage culturel. Sous la conduite d’une jeune animatrice passionnée notre groupe évolue dans une pénombre délicate parsemée de panneaux, d’écrans et de fontaines sonores.

Sans vouloir casser l’effet de surprise, juste un mot sur les senteurs et arômes des vins, peut-être le clou de la visite. Qui ne connaît pas le Nez du Vin de Jean Lenoir et sa fameuse boîte aux 54 arômes ?

A la Cité, on fait plus pointu dans le raffinement en invitant le visiteur à approcher son nez de cloches en verre qui servent d’abris à douze familles aromatiques des vins de Bourgogne : fleurs blanches, fruits rouges, agrumes, épices, cannelle, vanille, chocolat, sous-bois, truffe, etc. Les ingrédients frais sont changés tous les deux jours, nous précise l’animatrice, les fruits sont de saison bien sûr.

A la différence d’une Cité voisine qu’on ne nommera pas, le message ici est clairement affiché : Nulle part au monde la volonté des hommes de relier le vin au lieu sur lequel il est produit n’a été poussée aussi loin qu’ici. Si vous n’avez pas compris ce qu’est la viticulture de terroir, y’a un problème…

L’ATELIER DES ACCORDS

Nous étions attendus Jean-Luc et moi à l’atelier des accords – Food and Wine Pairing- (45mn, 32€) animée par la conseillère en vin Alexia Sala, de l’École des Vins de Bourgogne. Salle technique, ambiance labo ; installés au poste de travail face à une petite barquette composé d’une bouchée de gougère, gravelax de saumon, confit de bœuf, délice de Beaune et un sublime petit macaron nous levons les yeux vers la professeure-conseillère qui présente les vins de Bourgogne sensés aller avec.

Similitude, opposition, complémentarité, l’accord est à chercher dans l’une de ces trois directions précise-t-elle. Les spécialistes de l’École des Vins s’inscrivent dans la longue tradition des courtiers gourmets de la ville de Beaune qui contrôlaient déjà au Moyen-Âge l’honnêteté des vins à l’aide de leur fameux tastevin. Belle découverte du Crémant de Bourgogne qu’on oublie trop souvent.

IL Y A COMME UN MANQUE

Nous quittons ce lieu d’exception avec une certaine frustration. Non pas que quelque chose nous ait déplu, mais il y a un manque dans le message. Les meilleurs esprits ont travaillé ici à magnifier les terroirs et l’histoire des vins de Bourgogne pour inviter le public à les découvrir, les explorer et rendre plus désirables encore ces vins d’exception. Yes !

Mais n’y a-t-il pas un décalage entre cette vision idéalisée et les nuages de plus en plus sombres qui s’accumulent sur les viticultures ? Changement climatique, dérèglement climatique, effondrement climatique, c’est selon la perception de chacun mais l’inquiétude est bien là. Qu’on nous pardonne ce rapprochement de circonstance, les « climats » ne sont-ils pas chefs-d’oeuvre en péril ?

Rappelons que le raisin grille un peu partout, qu’en Sud-Ouest on arrache, au Sud on distille, ailleurs on plante des cépages résistants, des haies protectrices. Certes les vignobles septentrionaux paraissent moins menacés mais la montée des degrés d’alcool et les pertes d’acidité inquiètent. A quoi serviront les murets médiévaux méticuleusement restaurés si de l’autre côté la vigne dépérit ?

On a cherché un message rassurant face à la montée des périls et on ne l’a pas trouvé. Ces merveilles léguées par nos anciens, eh bien, nous faisons tout pour qu’elles restent des merveilles aux yeux des générations futures, voilà ce que nous aurions aimé entendre. Et nous parler davantage de sciences, de recherche, des savoirs autour du vivant. Et Dieu sait que la Bourgogne est richement dotée en matière académique avec sa prestigieuse université qui accueille en son sein l’Institut Jules Guyot, IUVV. Verra-t-on un jour la Cité envahie d’étudiants, de doctorants, d’enseignants et de consultants venus des quatre coins de la planète vin pour débattre de la viticulture régénérative ou des mérites du cépage gouais blanc?

TOUT LE MONDE EN PARLE

On ne peut quitter Beaune sans parler du sujet dont tout le monde parle, celui qui est au cœur de toutes les conversations. Devinez quoi ? Le prix délirant des bourgognes, pardi ! Les gens d’ici qui ont le négoce dans leurs gênes, prennent leur air le plus contrit pour vous dire : Vous savez, nous produisons très peu, et puis il y a le gel, la grêle, la sécheresse et le monde entier qui veut toucher le mystère des Climats.

Nos voisins de table au bistrot des Cocottes, quartier Madeleine – que nous recommandons vivement- trahissent un secret : si vous êtes beaunois, vous avez toujours un parent qui travaille dans le vin, alors on ne paie pas le même prix, forcément ! On s’alarme quand même au plus haut niveau, c’est le chef sommelier Romain Iltis qui dit : Stop, on ne peut plus suivre…dans une tribune récente de la RVF. Et ce mot assassin de Laure Gasparotto, dans un article du Monde (13/08/23) consacré au Mas de Daumas Gassac, domaine mythique d’Aniane en Languedoc, fief de la famille Guibert : la bouteille de référence de Daumas Gassac rouge se vend autour de 50 euros, soit le prix d’un bourgogne village. A vous de voir quelle bouteille créera la plus forte émotion chez vos convives !

LA CHASSE AUX BOURGOGNES ACCESSIBLES

Jean-Luc avait repris sa casquette Jlpgoodwines pour tenter de dénicher des « pinots noirs de qualité » en vue d’organiser une dégustation verticale à l’atelier œnologique de Noirmoutier. La dégustation décrite dans l’article Pinot noir : l’art du voyage, nous avait enthousiasmés et l’idée était maintenant d’aller plus loin avec une collection de vieux millésimes.

En questionnant à droite et à gauche, on nous a mis sur la piste du domaine de Montmain en Bourgogne Hautes Côtes de Nuits. Rendez-vous pris, nous nous rendons à Villars-Fontaine, au-dessus de Nuits-Saint-Georges. Sacrées hautes côtes, les bien nommées ! Soudainement, ça grimpe fort, les virages s’enchaînent, la forêt pointe son nez et les parcelles de vigne prennent des airs penchés. On a gagné en altitude et on se sent mieux.

Le domaine fut créé par un vigneron-agronome-universitaire-bourlingueur Bernard Hudelot surnommé « le Pape des Hautes Côtes » il y a une cinquantaine d’années. Ce Bourguignon avait anticipé le réchauffement climatique, en choisissant d’exploiter des vignes situées en altitude dont personne ne voulait. L’AOC fut rapidement reconnue et les vignerons purent produire des pinots noirs peut-être un peu tanniques dans leur prime jeunesse mais qui vieillissent superbement.

Mathieu Piecourt, la quarantaine, aujourd’hui directeur de ce domaine de 30ha en conversion bio a engagé de gros investissements en cuverie et en œnotourisme. Il a la dent dure avec les confrères de la plaine : les vignes d’en bas ont de plus en plus de raisins grillés ; derrière les noms prestigieux et les prix délirants, on nous cache beaucoup de choses. Mathieu incarne une nouvelle génération de vignerons avec un credo : produire des vins de garde au long vieillissement en barrique et les vendre à prix accessible (autour de 25€).

Tout comme son mentor Bernard Hudelot, ce grand monsieur disparu pendant la pandémie dont il a repris le flambeau : Sur le terroir des Genévrières, en pinot noir, nous remontons jusqu’à 2009.

Échange de regards avec Jean-Luc, voilà le bon choix pour le club œnologique de Noirmoutier.

On ne quitte pas Beaune sans un pincement au cœur. Surtout quand votre véhicule est happé par les bras tentaculaires d’un immense nœud autoroutier : A6+ A31+A36. Les panneaux nous invitent à aller vers Paris, Dijon, Besançon Genève, Lyon, Nevers, un peu comme si Beaune était le centre du monde. Certainement la capitale du plus célèbre vignoble du monde.

Jean-Philippe

Image à la Une : crédit Antoine Martel

Ecrit par Jean-Philippe RAFFARD
--------------------------------------------------------------- Toujours volontaire pour une virée dans le vignoble du bout de la Loire, du bout de la France, du bout de l’Europe ou du bout du monde, là où il y a des vignerons, là où il y a du bon vin. Jean Philippe n’oublie pas sa vie antérieure en marketing-communication pour lever le voile sur le commerce du vin et l’ingéniosité des marchands.

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