Dijon-Beaune #1 : la Cité de la Gastronomie

Il y a les inconditionnels de l’axe Sud-Nord pour qui la porte d’entrée mâconnaise du vignoble est la seule possible et les fans de l’axe Nord-Sud, de la métropole régionale à la capitale des vins de Bourgogne. Ce fut notre préférence dans le sillage de DBM Le Mag le nouveau magazine bimestriel gratuit à feuilleter dans les bars-restaurants et autres lieux de culture.

Business et Art de Vivre en Bourgogne-Franche-Comté, la ligne éditoriale de DijonBeauneMagazine donne un coup de vieux à Bourgogne Magazine, l’indétrônable trimestriel patrimonial qui n’a guère bougé depuis 30 ans. Cette petite révolution dans les médias locaux est à l’image des transformations de Dijon, la capitale de la Bourgogne.

Son puissant maire, président de Dijon Métropole (260 000 habitants) logé dans l’ancien palais des Ducs ne ménage ses efforts pour moderniser sa ville et la rendre agréable, accueillante et de plus en plus ouverte au tourisme international fasciné par la magie des vins de Bourgogne.

Génération Vignerons garde toujours ses distances avec la politique locale, mais là, on s’excusera à l’avance d’une petite entorse à la règle. Toujours plus belle, toujours plus propre et….toujours plus cher, le constat de boboïsation galopant s’impose lorsqu’on échange avec des dijonnais pur jus.

UNE CITÉ FOURRE-TOUT

La soirée ne pouvait pas mieux commencer avec Dr Wine, un restaurant en vue proche des halles centrales – monument historique s’il vous plaît – à la carte fraîche et légère en phase avec les grosses chaleurs du moment. Le choix  du « vin au verre » est un sport local ici qui nécessite de l’entrainement et de bons réflexes, merci au jeune sommelier pour ses conseils pertinents. Oui, l’aligoté était un bon choix, tout comme le Macon-vinzelles et l’AOC Maranges en pinot noir. On nous traitera peut-être de petits joueurs mais on préfère entrer progressivement dans la partie.

La navette City, un mini-bus électrique gratuit passe par la place Grangier, là où se trouve notre hôtel Ibis Style, entièrement rénové. Un brin de parlotte avec la voisine. Ah ! vous allez  à la Cité ? Regard sévère Ils ont coupé 60 arbres, si c’est pas malheureux…

La Cité internationale de la gastronomie et du vin située parvis de l’UNESCO a ouvert ses portes il y a un an et suscite déjà bien des polémiques. Ressemble-t-elle à la Cité du Vin de Bordeaux ? Que nenni! pas d’architecture spectaculaire ici, mais la rénovation d’un vaste ensemble de bâtiments historiques connus de tous à Dijon, l’hôpital général de la ville- 800 ans d’histoire.

Pas de grand choc émotionnel donc, mais vous serez séduit par l’alliance des tuiles vernissées, des chapelles baroques, de la pierre blanche, l’ambiance caserne associée au métal rouillé ; le tout a une certaine gueule.

L’offre distractive est alléchante avec des expos : A la table des Français, En cuisine, La pâtisserie, c’est pas du gâteau, l’École des Vins de Bourgogne, le Village by CA, la découverte du patrimoine dijonnais, la librairie gourmande, la Cave de la Cité, la Table des Climats, le Comptoir de la Cité, le food-court et la cuisine expérientielle, sans oublier l’école Ferrandi et le cinéma Pathé.

Il y a du gratuit, du payant, de la dégustation (vin ou jus de fruit), du grignotage, de la balade, le tout dans un joli fourre-tout sans qu’on sache où les organisateurs veulent nous conduire. Qui trop embrasse….le proverbe rabelaisien s’applique cruellement ici à l’offre à tous vents entre gastronomie, patrimoine, vins et climats de Bourgogne, l’histoire de Dijon, les ateliers de dégustation ou les expériences sensorielles. Nul doute que le tir sera rectifié sous peu.

Le cadeau empoisonné de l'UNESCO

Lorsque les 195 pays-membres décidèrent en 2010 d’inscrire « le repas gastronomique des Français» à la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité, croyaient-ils sincèrement couronner l’éternelle alliance entre « la France, les Français et la bonne bouffe » ?

Personnellement j’y vois aussi un grand sens politique en questionnant les français sur leur capacité à passer du repas gastronomique muséifié au repas gastronomique tendance « gastro-loco-diététique » ou plutôt à l’art intemporel du bien manger qui reste encore à inventer.

La réaction des milieux officiels fut celle une grande fierté : notre excellence gastronomique  est enfin reconnue universellement. Mais qu’est-ce que ça veut dire au juste, dans le pays qui comptent le plus de fast-foods en Europe ? Fallait-il magnifier les repas d’antan, ceux de la noce paysanne ou perpétuer le menu de la traversée inaugurale du paquebot France en février 1962 ?

Le repas à la française fut longtemps un marqueur de richesse et d’ascension sociale. Les gros bouffeurs- esbroufeurs de l’époque sont morts trop jeunes, les artères complètement bouchées. Heureusement la tradition du raffinement gastronomique se poursuit, incarnée par les étoilés du Michelin présent dans 32 pays.

Nos grandes figures de la gastronomie « mouillent la chemise » dans les médias et les gueulantes de Jean-Pierre Coffe résonnent encore à nos oreilles. Nos chefs renommés déploient une incroyable créativité pour faire évoluer leur cuisine vers plus de naturel, de local, de bio, dans le respect du produit. À des prix presque inaccessibles. Faudrait-il rajouter le mot « populaire » au repas gastronomique des Français ?

DES CITÉS DE LA GASTRONOMIE EN VOICI EN VOILÀ

Les autorités françaises se sont engagées en 2010 à mettre en pratique l’expression de cette haute reconnaissance de l’UNESCO à travers la création de Cités de la gastronomie au concept incroyablement flou où l’on est censé s’informer, se distraire, dépenser des sous, manger, boire et honorer le miracle renouvelé du repas gastronomique des Français. Exposition-musée-dégustation-restauration tout ça à la fois, ça vous parle ?

Le géographe Jean-Robert Pitte, spécialiste de la gastronomie fut choisi pour déployer le projet au niveau des grandes métropoles. Quatre projets de cités de la gastronomie furent finalement retenus :

Paris-Rungis, Tours, Lyon et Dijon (Bordeaux a décliné en invoquant son projet de Cité du Vin en développement qui, du coup s’est enrichi d’un volet gastronomie).

Paris-Rungis a ouvert un restaurant en 2020, pour le fermer peu après et a promis l’ouverture d’une Cité en 2027.

La Cité de Lyon a capoté en 2022, aie ! laissant une ardoise de 30M€, voir l’article de Capital sur la très coûteuse gabegie des cités de la gastronomie.

Tours a ouvert sa Villa Rabelais, émanation de l’université (IEHCA) qui organise des rencontres, comme le remarqué « Mondial du Fromage » avec un très modeste budget.

Et Dijon….a ouvert en fanfare, à l’été 2022, « une Cité de la gastronomie et du vin à 250 millions d’euros » comme le titre La Tribune. Pour être tout à fait honnête, l’investissement couvre l’aménagement et la réhabilitation de l’ancien hôpital général de la ville, des logements et des équipements publics. Stricto sensu, le budget de la Cité se situe autour de 30M€.

Comme un bonheur ne vient jamais seul, les Bourguignons reçoivent le suprême honneur de voir leurs fameux Climats inscrits au patrimoine mondial en 2015.

Évidemment Dijon se gausse : génial, on va rajouter les vins de Bourgogne à notre Cité, et Beaune, la capitale des vins de Bourgogne de rétorquer : hors de question, nous on fait notre réseau de Cités des Climats et des Vins à Beaune, Chablis et Mâcon.

Un compromis laborieux fut finalement trouvé en comme on peut le voir sur le logo de la Cité de Dijon.

ÇA DÉMARRE MAL

Force est de reconnaître que les visiteurs ne sont pas très contents. Sur 72 avis publiés par Tripadvisor, les 2/3 affichent des scores : moyen, médiocre ou horrible. Ma notation sera meilleure car j’ai sympathisé avec l’attachée de l’Office du tourisme, férue d’histoire. Saviez-vous que les Ducs de Bourgogne étaient si puissants qu’ils ont failli renverser le roi de France ? C’était pendant la guerre de cent ans, le duché s’étendait alors jusqu’aux provinces des Flandres, du Hainaut et du Luxembourg. 

Connaissez les Ducs ? Philippe Le Hardi- celui qui a chassé le vilain cépage gamay- Jean Sans Peur, Philippe Le Bon, Charles le Téméraire et enfin Marie sa fille unique, au destin si singulier. Sans oublier le roi Louis XI, le Français le plus détesté des Bourguignons qui en a profité pour faire main basse sur le Duché.

Ma passion soudaine pour l’histoire commençait à agacer Jean-Luc qui me rappelle qu’on est attendu pour la dégustation à La Cave de la Cité, aussi appelée l’œnothèque universelle. Là, on entre dans le cœur œnologique de la Cité, son univers de dégustation. 3000 références pour moitié bourguignonnes disponibles sur place à l’achat et 250 bouteilles accessibles pour le service du vin au verre selon la technologie Enomatic.

Voilà qui me rappelle un certain wine tour à Marlborough en Nouvelle-Zélande. La carte est chargée à 50€ pour le tour de chauffe. Les Chablis, Pouilly fuissé, Pernand Vergelesses défilent trop vite, en quantité minimale de 2cl- bien pour le nez, mais trop court pour la bouche, surtout si vous partagez.

A bas la radinerie ! Jean-Luc rebooste la carte et m’emmène au sous-sol, à l’espace des Grands crus. Les 2cl sont à 13,50€ et les bouteilles franchissent allègrement la barre des cents cinquante euros. Comte Liger-Belair, Jacques Prieur, Chantal Rémy, Hubert Lignier, des étiquettes strictes et intemporelles tellement désirables. Le crédit fond comme neige au soleil, à l’opposé de la longueur en bouche qui nous poursuivra longtemps.

Ne croyez pas ce lieu désert, un petit monde cosmopolite d’œnophiles se retrouve comme ce groupe de japonais en apprentissage de la langue de Molière ou ces charmantes professionnelles de Miami qui ont traversé l’Atlantique pour l’amour des vins de Bourgogne.

LA ROUTE DE BEAUNE

La D 974 appelée Route des Grands crus qui relie Dijon à Beaune (45km) est plutôt décevante. Beaucoup de trafic, des radars partout et des traversées de villages aux noms évocateurs gâchées par un bric-à-brac d’enseignes de garage, d’ameublement et de restauration rapide. Que dire de Comblanchien, ce village qui produit la magnifique pierre naturelle de Bourgogne, aux allures de stockage désaffecté ?

Entre deux hameaux, le choc visuel est bien là, sur votre droite : le vignoble de la plaine, celui de mi-pente (les crus), et celui du haut sous les sommités boisées. Vous découvrez quelques-uns des 1247 Climats, répertoriés par l’UNESCO et là, votre cœur se serre car vous touchez de l’œil la beauté, la vraie, celle qui vous inspire un sentiment d’éternité.

Restez concentré quand même pour ne pas manquer l’accès à Morey-Saint-Denis, un village vigneron aux ruelles tortueuses bordées de hauts murs fleuris, le plus beau est celui du Clos des Lambrays.

Comment passer si près de Vosne-Romanée sans y faire une halte ? J’y retourne huit ans après mon pèlerinage en Romanée Conti et je puis vous dire que rien, mais rien n’a changé. Vous longez l’église à droite, passez devant le DRC et son haut portail fermé et tout de suite les Grands crus se déploient devant vous, la Romanée saint-Vivant à droite, Richebourg à gauche. La vigne pète de santé, pas un manquant, pas une coulure, pas une piqure sur les feuilles. Ces grappes épaisses aux petits grains serrés sont une promesse bachique de joie et de prospérité.

Au bout du chemin, le cerisier, la croix connue des fidèles du monde entier et le petit muret. Ce miracle de confiance perpétuée depuis toujours permet au visiteur de s’en approcher au plus près pour la méditation.

La civilisation reprend ses droits avec ses entrepôts, ses cuveries, ses échangeurs, ses centres logistiques. La face arrière de la prospérité viticole nous ramène à la réalité de l’époque, ça y est nous sommes à Beaune.

Jean-Philippe

Agence d’Architecture A. Bechu & Associés

Ecrit par Jean-Philippe RAFFARD
--------------------------------------------------------------- Toujours volontaire pour une virée dans le vignoble du bout de la Loire, du bout de la France, du bout de l’Europe ou du bout du monde, là où il y a des vignerons, là où il y a du bon vin. Jean Philippe n’oublie pas sa vie antérieure en marketing-communication pour lever le voile sur le commerce du vin et l’ingéniosité des marchands.

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