Le vignoble du Val de Loire, cette procession de terroirs si divers qui s’étend d’ouest en est sur 800 km, de la Vendée au Puy de Dôme- patrimoine mondial de l’Unesco entre Chalonnes et Saint-Benoît-sur-Loire- est reconnu pour l’harmonie de ses arômes et l’équilibre de ses saveurs puisque blanc et « rouge plus rosé » font à peu près jeu égal sans oublier les bulles et les moelleux. D’ailleurs, la ville de Tours, terre d’humanisme et de bien vivre nous prépare une Cité Internationale de la Gastronomie.
la gastronomie nantaise un peu boiteuse ?
A y regarder de plus près, cet équilibre rouge/blanc se retrouve partout sauf dans la partie occidentale ; je veux parler du vignoble du pays nantais, où le rouge, quasiment inexistant laisse la part du lion au muscadet et autres folle blanche, grolleau gris, chardonnay, etc.
La gastronomie nantaise ne serait-elle pas un peu boiteuse, côté accords mets/vins, avec le blanc pour seule couleur ? Notre déception publiée lors de la dernière Épaulée nantaise est là pour en témoigner.
Il y a-t’il un grand rouge dans la salle ?
L’honnêteté nous oblige à mener l’enquête dans le vignoble à la recherche de grands rouges, du moins s’ils existent. Je commence par pousser la porte de la cave à vins et magasin d’épicerie fine abcterroirs, connu pour disposer d’une excellente gamme de vins locaux. Cédric le caviste, fin connaisseur et ami des vignerons me parle d’abord des gamays des Coteaux d’Ancenis, un petit vignoble historique à la charnière du pays nantais et de l’Anjou qui connaît un renouveau depuis l’AOC obtenue en 2011 dans les trois couleurs.
Un gamay qui a enthousiasmé le comité de dégustation du magazine LeRouge&leBlanc de l’été 2018. Un style qui se caractérise par une couleur marquée, imprimant d’emblée un caractère fort qui se distingue nettement des autres types de gamay, notamment celui du Beaujolais. En soulignant : leurs expressions olfactives singulières, sur le poivre, les fruits noirs, les épices ainsi que des notes iodées.
les vignerons du renouveau
Les domaines de la Paonnerie (Jacques et Agnès Carroget), Bernard et Benoît Landron, Rémi Sédès, ou Le Raisin à Plume (Jacques Février) comptent parmi les vignerons du renouveau de l’appellation, le plus souvent exploités en bio ou biodynamie. La terre de Joachim du Bellay, l’ami de Pierre de Ronsard n’est-elle pas plus angevine que nantaise ? That is the question…
gamay, pinot noir, grolleau noir, en bio ou biodynamie
Il y a une tradition du pinot noir pour la bulle, me dit Cédric. En effet, les assemblages « champenois » avec le chardonnay ou le melon de Bourgogne sont ici couramment pratiqués. D’un cépage complémentaire le pinot noir serait en train de devenir un fleuron qualitatif du vignoble, précise Cédric en me montrant ces bouteilles de Vin de France aux noms évocateurs et aux étiquettes créatives sacrément séduisantes : Lancelot de Nicolas Suteau, Cogneterra du domaine des Cognettes (Stéphane et Vincent Perraud) ou l’Ange du domaine de l’Écu (Fred Niger). Un coup d’œil sur le vendéen Thierry Michon et sa Cuvée Jacques. Des très petites cuvées conduites en agriculture bio ou biodynamie et élevées en amphore ou en fût de chêne. Compter entre 15 et 35€ la bouteille. Il me parle aussi du grolleau noir, un cépage souvent de complément au rendement abondant (Intuition domaine des Hautes-Noëlles, Jean Pierre Guédon) ou de l’abouriou (Frères Couillaud, domaine du Haut-Planty) un cépage oublié aujourd’hui revisité.
brocanteur oenophile ou vigneron de génie ?
Je n’oublie pas le vigneron maintes fois cités pour la qualité de ses pinots noirs : Jérôme Bretaudeau du domaine de Belle-Vue à qui j’ai rendu visite à Gétigné, près de Clisson. La cave est impressionnante par sa dimension, et surtout par son bric-à-brac viti-vinicole. Non, vous n’êtes pas chez un brocanteur œnophile mais chez un vigneron aux aguets qui teste toutes les formes de contenants imaginables : cuverie inox, foudre Stockinger, amphores ciment, amphores terre cuite, barriques bourguignonnes ; sur les tonneaux renversés, vous découvrez les reliefs des dégustations des jours ou des semaines passées.
Je goûte beaucoup, ça me forme le palais, me dit Jérôme, avec un sourire dissimulé sous sa barbe épaisse. J’ai commencé à planter un hectare de pinot noir en sélection massale, il y a 15 ans, sur des bonnes terres de granit et quartz. J’aime bien travailler ce cépage exigeant, rigoureux et précoce. Après une macération douce d’une douzaine de jours, le jus fait 12 mois d’élevage en barrique.
A la Bourguignonne ! Une vingtaine de barriques pleines attestent du beau millésime 2018, à découvrir à l’automne prochain. Il était temps car il n’a pu produire sa cuvée Statera en 2017, faute de raisin. C’est désolant, mais nous n’avons plus rien. Tant pis pour les imprévoyants, ils devront attendre. Les nombreuses tables étoilées, clientes du domaine Belle-Vue, elles, ont su anticiper. Voyant ma déception, Jérôme me fait alors goûter son Monnerie 2014, 100% merlot. Mais quel est ce vin ? Ma fois, un pomerol de belle tenue !
C’est le guide vert 2019 de la Revue du Vin de France qui aura le mot de la fin : nous saluons la superbe délicatesse du Statera, pinot noir extrait en finesse, doté d’une touche florale et marqué d’une fine acidité septentrionale. C’est certainement le rouge le plus abouti du pays nantais. Quel éclat !
Jean Philippe
cliché à la Une : ©Atlas des Pays de la Loire