Curieusement la dégustation à l’anglo-saxonne n’a pas que des adeptes ! Acte de chauvinisme ? Pour s’en convaincre, il suffisait lors de Wine Paris 2020 de participer au Wine Talk intitulé » Existe-t-il un goût français ? Dégustation sensorielle versus dégustation technique » animé par Pascaline Lepeltier, Meilleure Sommelière de France 2018, exemple de l’excellence française aux USA et coqueluche des médias, et Olivier Poussier, Meilleur Sommelier du Monde 2000, chef sommelier de la maison Lenôtre.
Cette conférence a pointé des différences qui font…la différence.
Où est passé le contexte ?
Pour Olivier Poussier, la façon dont nous dégustons les vins en France ne se réduit pas à une simple dégustation organoleptique des composés analytiques du vin : je pense que les techniques françaises tiennent compte aussi de l’élément terroir, de l’élément identitaire du millésime et que, en fonction de ces éléments qui sont prépondérants de l’identité du vin, sa personnalité, on intègre tout ça de façon plus importante.
On est moins mnémotechnique -ou technique du WSET– cette technique anglo-saxonne qui juge le vin pour le vin mais qui ne prend pas forcément en considération l’identité du millésime ou la manière dont le vin a été fait ou produit.
Pascaline Lepelletier travaille à New-york depuis 11 ans. Elle est sommelière associée du bistro Racines et titulaire du diplôme prestigieux de Master Sommelier : j’ai le titre de Master Sommelier qui fait partie de ces diplômes anglo-saxons reconnus. Les concours m’ont forcée à travailler la dégustation. C’est aussi pour ça que j’ai fait les concours c’est pour progresser, apprendre à parler du vin et à comprendre le vin.
On pourrait penser que se présenter au Master Sommelier après s’être essayée aux concours français était une promenade de santé ? La façon dont on apprend avec le Master Sommelier est une façon extrêmement analytique, extrêmement cadrée, extrêmement logique…
On va vous apprendre à décomposer du point de vue de la chimie du vin. On va avoir des phases très précises à respecter si on veut passer des diplômes, on va devoir décrire avec des grilles, la vue le nez la bouche et donner des conclusions…
Des conclusions sur quoi ?
Pascaline : On est sur un nombre de vins très limité, on a entre 60 et 70 vins « tastables » qui ont été reconnus comme des canons du vin pour les étudiants qui doivent passer ce diplôme. Je vais prendre l’exemple du chenin, ça sera forcément un Savennières ou un Vouvray. Un Jasnières hors de question, un Montlouis on n’en parlera pas.
Mais au final, lorsque vous passez l’examen c’est un petit un jeu de ce que ça n’est pas !
Donc c’est vrai qu’il y a une limite à cette dégustation qui oublie tout le côté culturel et le côté culturel c’est là où par la suite on peut vraiment comprendre un vin.
Quantifier plutôt que qualifier
Dans le système d’éducation à l’américaine on est souvent sur des questions fermées, avec des QCM, on va vous donner une réponse à choisir alors qu’en France on est sur des questions ouvertes où l’on apprend l’art de la dissertation. La dégustation à l’anglo-saxonne génère une somme de points.
Il y aurait ainsi une différence d’approche nous dit Pascaline Lepeltier : il y a vraiment cette idée de quantité. Une pensée que la quantité va permettre l’objectivité. Il y a cette idée que si c’est un nombre c’est sûrement plus objectif que si c’est un nom !
Olivier : Nous, à la française, est-ce qu’on y met un peu plus de cœur et d’émotion ? la manière dont on passe à la dégustation est certainement différente. Par contre ce que je veux dire par là c’est que je ne suis pas pour des dégustations qui partent dans tous les sens, on sort la corbeille de fruits et d’autres, je pense que le but n’est pas là, le but est d’être précis, d’être convaincant…
L’immédiateté contre le temps long
Mais où se place le curseur temporel chez les Anglo-saxons ? Pascaline : On a tendance à juger un vin à un instant T. Même quand on passe un examen on ne va jamais vous demander un accord mets et vin, un potentiel de garde, comment on va servir le vin. Il faut trouver le vin, trouver le millésime. Point barre.
Un questionnement qui fait défaut ? En France on apprend à goûter avec attaque, middle bouche et fin de bouche quitte à avoir une définition structurelle du vin sur laquelle ensuite on va greffer les composantes aromatiques. Et ça m‘a toujours surprise que l’on n’intègre pas la temporalité de la bouche dans la dégustation à l’anglo-saxonne…
Rien sur l’évolution du vin ? Ce n’est pas du tout pris en compte. Et quand on y pense, c’est exactement la façon dont on juge le vin parce que la France tend à intégrer cette idée de temporalité, de temps du vin avant pendant et après. En tant qu’acheteurs on est tous confrontés à ça. Là on est sur un salon il y a des vins qu’on achètera pour demain, on peut très bien acheter un vin de vigneron pour l’année prochaine ou pour dans deux ans…
Pas d’accord mets-vins
Olivier Poussier : on a la chance effectivement dans nos civilisations en Europe d’imaginer le vin en situation à table. Je rappelle ça parce qu’il y a d’autres continents où le vin est bu en « before » ou en « after » mais pas forcément bu en consommation à table.
Quand vous voyez la consommation de bière par habitant par an en Chine, même si le vin fait des progrès, la bière reste dominante, en Australie aussi, forcément quand vous intégrer la notion de buvabilité du vin et la notion d’intégration du vin à table, l’approche est différente. Il y a des tas de vins qui ont des gros scores et qui sont indigestes à table et inmariables…
Il y a des vins de concours et des vins qu’on boit à table !
Des techniques pour quoi faire ?
Pas pour l’essentiel, à en croire nos deux chefs-sommeliers. Pascaline : ce n’est qu’une grille d’analyse, le WSET, c’est un outil technique, ça doit être une étape qui permet de s’ouvrir à beaucoup plus de choses. Dans les phases d’apprentissage, j’ai beaucoup d’étudiants qui viennent me voir parce qu’ils veulent passer le diplôme, ils ne comprennent pas le vin mais c’est bon ils ont les scores du vin, ils peuvent avoir au moins la moyenne et passer le truc !
Olivier lui préfère prendre un exemple : il y a des goûts amers, des amers qui sont dûs à des amers minéraux et des amers végétaux qui sont dûs à des vendanges pas mures : la différence entre les deux est fondamentale, il faut apprendre à gouter tout ça…il faut avoir une compréhension de la dégustation.
Alors la technique pour avoir les bases et les fondamentaux ? Olivier Poussier : Si vous avez la technique mais pas l’émotion, pas la compréhension du vin, ça ne sert absolument à rien.
Moi j’en ai vu dans des compétitions de sommeliers : avec les profils aromatiques, ils vous trouvaient le vin à la fin. Mais est-ce que le type avait des émotions à la dégustation, est-ce que j’avais envie d’être servi par lui à table, est-ce que j’avais envie de partager la table avec lui ? Pas forcément !
Pascaline Lepeltier : j’apprend énormément à gouter le vin en…ne goutant pas le vin, en goutant les thés, les cafés, les eaux, les spiritueux, les kombucha, j’ai énormément appris aujourd’hui en utilisant d’autres savoirs culturels de dégustation d’une boisson.
A méditer. Comme quoi il n’y a pas que le vin dans la vie.
François
Bonjour tout à fait d’accord….voici mon expérience durant mon niveau 3 WSET https://jczen.net/repenser-a-la-degustation-du-vin/
Merci pour ce commentaire qui renforce notre point de vue !