Christian Chabirand, le vigneron du jour d’après

Le roi d’Ithaque a survécu à son Odyssée de tous les dangers pour retrouver son île. Il y a un peu d’Ulysse, chez Christian Chabirand dans la démesure de son épopée, qui, à l’inverse du héros de la mythologie, démarre à son retour sur l’île des Pictons. Poussons la comparaison jusqu’au « professeur » Michel Desjoyeaux, qui remporta par deux fois le Vendée Globe, tant le vigneron est habité par un projet « plus fou que fou ».

Au village de mon enfance

Revenir au village de Vix au sud de la Vendée, non loin de La Rochelle. Lui, l’enfant du pays, revenir pour entreprendre son œuvre monumentale, son Odyssée, son tour du monde. Planter une vigne là où il n’y en avait pas, sur une butte de « calcaires à ammonites du Jurassique ».

Produire un vin qui inspire respect et admiration, en dehors de tous les diktats de l’administration viti-vinicole, au plus proche des lois de la nature et de la biodiversité ; ouvrir enfin ce monde de nature à l’expression artistique. Serait-il le vigneron du jour d’après ?

On ne part pas de la page blanche. L’homme, issu d’une famille rurale connaît le monde de la vigne et du vin via ses nombreuses expériences. Il existe aussi un savoir-faire viticole à Vix, l’un des confettis de l’AOC des Fiefs Vendéens et le siège d’un pépiniériste-viticulteur renommé que Génération Vignerons avait rencontré.

Boudé par l’establishment

Les débuts du domaine du Prieuré-La Chaume sont bien décrits par notre confrère blogeur Bonum Vinum. Les choix originels, qu’il s’agisse du mode culturale bio, la variété des cépages, le graphisme des étiquettes, la gamme à « sonorité lyrique » commencent à imprimer, à porter leurs fruits. La persévérance de l’homme impressionne.

Ses vins sont toujours boudés par les guides nationaux, mais qu’importe, les sommeliers, des personnalités du vin comme Jean-Michel Deluc ou Jean-Claude Mas l’ont repéré, les clubs œnologiques aussi. Les ventes progressent, notamment à l’export en Extrême-Orient. Et lui trace son chemin, expérimente des assemblages, plante des arbres, transforme sa réserve foncière de 30 ha en zone tampon, en ceinture de biodiversité pour protéger son vignoble bio de 14 ha des méfaits de l’agriculture productiviste avoisinante.

Et la biodynamie ? Une moue dubitative s’affiche sur son visage. Je suis l’un des premiers soutiens du Syndicat de défense des vins naturels.

L’art au coeur du projet

Ce portrait serait réducteur si on néglige la dimension artistique, spirituelle même qui sous-tend son œuvre. On parle d’âme au Prieuré La Chaume, quand le souvenir de la grande cantatrice Geneviève Vix marque de son empreinte la cuvée Bel Canto ou Bellae Domini, je ne sais plus laquelle….

2020, l ‘année du cataclysme, démarre fort pour le domaine avec une reconnaissance des instances du tourisme en Val de Loire : le Bacchus de l’œnotourisme, remis lors du salon des Vins de Loire.

Passionné d’art lyrique et considérant le vin comme une discipline culturelle à part entière, Christian Chabirand exprime le rapprochement de ces deux arts dans l’élaboration de ses cuvées et dans son domaine. Ce sera les « Arts par Nature, un festival estival, un théâtre de verdure et d’une orangerie au cœur de ses vignes.
Le prix est remis un mois avant le confinement général. Pensez-vous que cela décourage Christian Chabirand et Sylvie Saint-Cyr, sa compagne dramaturge, créatrice du festival d’été Les Arts par Nature ?

Ils mettent en place un plan d’action à effet immédiat : lever des fonds pour le festival via un financement participatif. C’est Winefunding qui pilote l’affaire en proposant une visio-dégustation – a live tasting svp ! – succédant à l’achat de bouteilles du domaine.

Savez-vous visio-déguster ?

Ce jeudi 18 juin à 19h, nous étions une petite vingtaine de fidèles réunis pour « communier » autour des vins de Christian. La dégustation fut orchestrée par Jean-Michel Deluc, sommelier renommé et fondateur du site de vente en ligne Le Petit Ballon, et la visio-conférence animée par Maxime Debure, le boss de Winefunding, dans le rôle difficile de la gestion du temps et des prises de paroles.

Nos hôtes Christian et Sylvie alternaient propos sur le vignoble et propos sur le festival, sans oublier le public fréquemment interpellé par l’animateur. Normalement, ce dispositif compliqué aurait dû tourner au fiasco, eh bien pas du tout ! La magie de la dégustation en direct a opéré. Les participants avaient ouvert leurs bouteilles et dégustaient chez eux, à l’unisson avec le sommelier qui commentait notamment ce Prima Donna 2018, à l’assemblage très surprenant.

La dégustation fut conclue en apothéose par la cuvée Orphéo 2016 dont j’avais la bouteille débouchée sous la main : un assemblage bordelais auquel se rajoute la négrette, un cépage originaire du sud-ouest qu’on retrouve d’ailleurs dans l’AOC les Fiefs Vendéens.

Au nez, la complexité des 3 cépages s’impose : la puissance pour le cabernet, le fruit pour le merlot et le poivré pour la négrette. Un élevage long et maîtrisé, pas de fût neuf. En bouche : l’équilibre parfait entre la rondeur, la maturité, la suavité sur la longueur… Je buvais les mots du sommelier en faisant gaffe à ne pas renverser mon verre sur le clavier. C’est alors que je fus interpellé : qu’en pense Jean-Philippe ? Évidemment, je bafouille, je répète les mots du sommelier pour affirmer de façon définitive : c’est un vin de gastronomie. Murmures d’approbation.

Orphéo, Geneviève Vix, Monteverdi, l’échange glisse vers la musique baroque et l’extraordinaire festival Les Arts Florissants de William Christie qui se tient en voisin vendéen. Maxime Debure, gardien du timing, nous invite à conclure par une synthèse magistrale : on a parlé à la fois de vin, de nature, de biodiversité, d’art, de peinture, de photos, d’art lyrique, de chant….j’espère que ça vous a plu ! ». On a chanté l’âme aussi.

Nous n’allions pas nous quitter comme ça !

Allain Bougrain Dubourg, militant pour l’éternité et président de la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO), première association naturaliste de France, était présent à Vix, ce 17 juillet, pour parrainer le lancement du festival Les Arts par Nature. Nous aussi.

Où est le lien ?

Le domaine, en association avec la LPO Vendée et le Parc naturel régional du Marais poitevin, a entrepris un recensement des oiseaux familiers du site. On en compte 28 espèces, de la linotte mélodieuse au martinet des maisons. Malheureusement on devrait parler au passé, car la biodiversité s’appauvrit de jour en jour. L’inquiétante diminution des oiseaux de nos campagnes, malgré une mobilisation sans précédent, nous laisse un goût amer, renforcé par les propos pessimistes-réalistes d’Allain Bougrain Dubourg : aujourd’hui, nos victoires, c’est quand on empêche une défaite.

Christian, ne serais tu pas notre Noé ? Embarquant dans ton arche du Prieuré La Chaume, tous ceux qui voudront construire les temps du jour d’après.

Jean-Philippe

A LA UNE CETTE SEMAINE

Photo à la Une : © domaine du Prieuré La Chaume

Ecrit par Jean-Philippe RAFFARD
--------------------------------------------------------------- Toujours volontaire pour une virée dans le vignoble du bout de la Loire, du bout de la France, du bout de l’Europe ou du bout du monde, là où il y a des vignerons, là où il y a du bon vin. Jean Philippe n’oublie pas sa vie antérieure en marketing-communication pour lever le voile sur le commerce du vin et l’ingéniosité des marchands.

Commentaires:

  1. Caroline Pellot dit :

    Merci Jean-Philippe pour cet bel et authentique article. On y sent tout ton cœur et tu nous laisses entrevoir l’âme de l’endroit … Assez pour nous donner envie de sauter dans la voiture (même à 35deg) et filer au domaine découvrir l’homme et ses vins ! Tu m’as transportée et de joie et d’espoir.
    Vignerons devins, vignerons de demain !

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