Domaine de Terrebrune, un Bandol enfin trois étoiles

Si le domaine de Terrebrune se voit hissé au sommet des Bandol, ce n’est cependant pas par hasard. La famille Delille propriétaire heureuse du domaine peut enfin gouter les raisins d’une gloire méritée dont nous vous relatons ici les principaux secrets.

Reynald Delille est un homme heureux. Nous avons la chance de marcher ensemble le long des rangées de ceps de mourvèdre en bavardant. L’air de février est doux, le ciel est ensoleillé. Nous sommes à Ollioules au Domaine de Terrebrune sur l’AOP Bandol et nous découvrons quelques-unes des raisons de son succès.

La magie des marnes argilo calcaires du Trias

En 1968, le mas n’avait ni eau courante ni électricité comme souvent dans les mas de la région. On y passait du temps sans penser à y vivre. On y fit apparaître un domaine viticole. Malgré des oliviers en friche, des vignes à l’abandon. Si Georges a acheté, il devait bien avoir l’intuition profonde que, même à l’extrémité sud-est de l’appellation, il pourrait y produire des vins forcément différents, mais également attachants.

Lorsqu’on prend le prisme du prix des vignes on comprend que M. Delille a pu être un alchimiste doublé d’un investisseur visionnaire et avisé.

Car cinquante ans plus tard, la safer lui a donné raison et pour un pactole 1 000 000 (Un million) d’euros on ne pouvait plus l’échanger que contre 8,33 hectares d’AOC Bandol. (Ou d’ailleurs pour la même somme 2,22 hectares d’AOC Cornas, ou enfin 180 m2 d’AOC Bourgogne Grand Cru…)

La transmission d‘une philosophie 

Qui parle de lâcher prise et se retirer 52 ans plus tard ? L’enchantement est toujours là chez George. Cette énergie qui le pousse, en compagnie de sa femme, à arpenter les routes de Bretagne pour faire la tournée des clients et distributeurs alors qu’ils cumulent plus de 182 années à eux deux ! Car depuis de nombreuses années, la clientèle des Guides Michelin se délecte inlassablement de ses vins dans beaucoup de grands restaurants.

Il faut dire que l’engouement est dû à de bonnes raisons. Les rouges excellent. Et les rares blancs appellent l’intérêt croissant du consommateur. On leur reconnait un palais plus fin que beaucoup des vins de Provence. Long, frais et élancé. Ils ont donc un succès fulgurant qui malheureusement provoque leur pénurie rapide.

Ce petit supplément de fraicheur vient d’un atout énorme du domaine, c’est d’avoir su transformer les 27 hectares en bio certifié dès 2008 et d’adopter en supplément les basiques de la biodynamie.

Le Domaine en résumé et en chiffres
  • 30 hectares dont 2 en repos. Rendement de 38hl / hectare.
  • 10 années d’attente avant de sortir un 1er millésime.
  • En surface se trouve un sol de cailloutis calcaire pris dans une argile brune appelé Trias
  • Une production oscille autour de 120 000 bouteilles sur les 3 couleurs.
  • Cépages sudiste mourvèdre, grenache noir et cinsault pour les vins rouges.
  • Cépages du rosé comme sur le rouge : on retrouve mourvèdre, grenache noir et cinsault.
  • Cépages clairette, ugni blanc, bourboulenc, rolle et marsanne dans les blancs.
  • Les vignes des blancs sont souvent exposées au Nord pour les protéger des chaleurs excessives.
  • Une bouteille requiert 5 à 6 grappes par pied, soit « un pied de vigne = une bouteille ».
  • Elevage 18 mois en foudre* de plusieurs vins, recherche de douceur et suavité des tannins.
  • Des cuvées à des prix oscillants entre : 10€50 les jeunes vignes en rouge (Cuvée Terre d’Ombre IGP), 17€50 le rosé de garde, 19€50 pour le blanc, 28€ le rouge Domaine, et plus sur des vieux millésimes en vente au domaine.

*foudre : fût de chêne à grande capacité avec une contenance de plusieurs barriques de 225 litre à 228 litres, foudre qui contient donc beaucoup plus de 1 000 litres apportant une oxydation lente du vin et des arômes de bois assouplis, adoucis.

Une Histoire d’AOP plus que prospère

L’origine de l’appellation Bandol est d’apparence métonymique. Elle englobe aujourd’hui port et vignes. Mais elle vient d’abord uniquement du nom du port de commerce qui voyait arriver les vins des communes varoises de Bandol, Le Beausset, Le Castellet, La Cadière d’Azur, Saint Cyr-sur-mer, Sainte-Anne d’Evenos, Sanary-sur-Mer et Ollioules.

 

Au VIème siècle, les Phocéens (des Grecs de la mer Egée) apportent, avec eux et leurs amphores, la civilisation de la vigne et du vin. Or le vin et la viticulture ont été de véritables piliers dans l’économie antique.

Et ce qui fit le succès des vins, ce sont à la fois le développement du commerce maritime en même temps que l’habileté des viticulteurs à tirer parti du site.

D’abord la Géologie idéale

Le vignoble de Bandol couvre environ 1 600 hectares, représente un tout petit 0,30 % du vignoble français.

Mais l’Appellation d’Origine Contrôlée a été obtenue très tôt, dès 1941 inscrivant son patrimoine durablement dans les mentalités des amateurs de vins.

A quoi ressemble les vignes de Bandol ? Simplement à un amphithéâtre naturel, le vignoble s’étage en restanques (terrasses) et descend vers la mer tandis que Sainte Baume au Nord culmine à 1147 m.

On visualise ces coteaux en pente douce où la vigne se développe sur des sols pauvres, comme pour les meilleurs grands Crus. Des sols aux rendements limités permettent une belle concentration des arômes, donnant ce caractère fougueux ou puissant au mourvèdre.

Puis l’effet climatique trèèèèèèèèèès favorable !

Le soleil brille près de 3000 heures chaque année sur ces terres de la Côte d’Azur. Le Mistral y joue un rôle bénéfique. Car ce vent permet de maintenir, même après de fortes précipitations, un climat parfaitement sain en asséchant les raisins.

De plus la mer n’est qu’à trois petits kilomètres et apporte sa fraîcheur nocturne dans la tourmente des étés provençaux.

Un homme heureux

A la tête du domaine après avoir géré le travail des vignes durant une vingtaine d’année, Reynald Delille a enfin conquis les rênes et fini par imposer sa marque. J’ai dû prendre l’entreprise, il ne m’a rien donné, dit-il en parlant de son père. Son bonheur est d’avoir su conquérir puis d’insuffler un courant. Car on ressent immédiatement qu’une unité est enfin bien présente sur le domaine.

Professeur d’aïkido, collectionneur d’art et passionné par l’architecture, les multiples cordes à son arc ne l’empêchent pas de rester la tête sur les épaules. Pour mieux viser les sommets ?

Avoir reçu cette 3ème étoile n’a pas changé notre vie. Mais… c’est une reconnaissance. J’ai désormais la chance de rencontrer, parmi les vignerons, des gens de grand savoir. Des hommes et des femmes qui ont eu un parcours riche. Des vignerons au sommet du monde viticole.

Patientia vincit omniaLa patience vient à bout de tout- telle la devise latine qui semble honorer la philosophie de Reynald Delille, car il aura fallu du temps pour que le domaine passe d’étoile montante à sa place méritée dans les rangs des plus grands.

C’est justement ce que la nature lui dicte Le mourvèdre c’est le cépage du paradoxe, il prend son temps pour mûrir. C’est un raisin à la maturité tardive, difficile et exigeant. Mais tellement expressif et aromatique dans son apogée.

Mourvèdre, les raisins de la gloire

Petit historique. En 2017 une seule récompense venait éclairer la production du domaine dans le guide vert de la RVF après quand même 5 années de référencement. Un simple oubli ? Tandis que dès les années 2000 les autres guides (Hachette ou Bettane et Desseauve) avaient déclaré leur amour, mais uniquement sur les vins rosés.  Par effet de mode diront certains.

C’est en filigrane que Patrick Aparicio a tenu son rôle : avec discrétion et efficacité dans les vignes du domaine. Biodynamiste éclairé, il en applique certains principes sans en faire l’étalage, avec respect pour la plante, la nature et les différentes lunes. Mais tel un vrai jardinier en prenant soin de ne pas tomber dans l’obscurantisme. Les vignes témoignent de son attachement envers la plante.  Et comme pour les cépages tardifs, il lui fallait faire preuve de grande patience pour s’anoblir.

Une AOP Bandol monochrome ?

Était-ce par manque de compréhension des journalistes pour des vins sur trois couleurs encore trop différents, moins opulents que ses congénères de l’AOC, que les rouges et blanc du domaine ont été longtemps éludés ?

A moins que ce ne soit par besoin naturel de résister aux effets du temps.

Quoiqu’il en soit, le bonheur a fini par s’exprimer.

Et l’art de la constance a donné au vigneron maintes occasions d’affiner encore et encore les aromatiques de ses vins, les rendant de plus en plus abordables.

Ces arômes enchanteurs des vins de Terrebrune

Jeune rouge : réglisse, fruits noirs, violette, notes empyreumatiques, musc…

Après 10 ans : fruits rouges, confiture, griotte, épices, sous-bois, cuir, truffe, réglisse, cannelle, musc et une grande minéralité.

Bandol Blanc s’exprime sur une entrée de bouche franche suivie par une aromatique complexe centrée sur l’élégance (fleurs comme le tilleul ou le genêt, agrumes, fruits du verger ou exotiques, …)

Les rosés sont des vrais vins de garde !  De caractère ample, vineux et structurés ils n’ont pas peur d’attendre 20 ans. Au profil tendu, Ils offrent des arômes d’agrumes épicés et de badiane.

Une étoile est née en version Bandol

Aujourd’hui, alors que la biodynamie et les vins non conventionnels passent très nettement sur le devant de la scène, le domaine vient d’atteindre le firmament des élus avec ses prestigieuses 3 étoiles RVF dans le guide 2020.  Sérénité, longévité et régularité ont finalement eu raison des réticences nébuleuses du passé.

Terrebrune fait désormais partie des stars, de ceux dont les bouteilles deviennent objet de convoitises. Cependant Reynald Delille garde la tête froide : Les prix ne bougeront pas. Les volumes de production non plus.

Le discours des amoureux du Bandol

Dans le dernier Guide Vert on annonce enfin l’étendue des qualités de Terrebrune :

Compter une dizaine d’années pour un plein épanouissement pour les blancs et les rosés. Avec un blanc avec des nuances d’anis de fenouil, de thé vert. Un rosé sur des saveurs d’épices d’orient de marmelade d’orange et de garrigue. Un rouge au parfum floral et une finale minérale, saline.  Et cette finale subtile et ciselée selon Alexis Goujard.

Mais finalement honorons la meilleure des éloges sur les vins de Bandol, puisque c’est Jim Harrison, étoile de la littérature américaine, l’auteur boulimique de Légende d’Automne, qui la donne dans son ouvrage « A Really Big Lunch »

Whenever life begins to crush me, I know I can rely on Bandol, garlic, and Mozart. »

« Dès que la vie fait mine de m’écraser, je sais que je peux faire confiance au Bandol, à l’ail et à Mozart »

 

Jean-Luc

Sources photos :  Grove Press UK JL Bertinin Domaine de Terrebrune, www.vinsdebandol.com

Ecrit par Jean-Luc POIGNARD
------------------------------------------------------------------- Prenez un descendant de vigneron en AOC Orléans, arrosez d’un bon zeste de passion œnophile, un fond de langue et littérature anglaise, ajoutez un WSET 3 et de nombreuses visites chez les vignerons. Mixez l’ensemble. Laissez reposer, lisez et dégustez un verre à la main.

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