Anosmie, ça n’arrive pas qu’aux autres

Petit rappel : selon Wikipedia, « L’anosmie est un trouble de l’odorat qui se traduit par une perte totale des performances olfacives, temporaires ou permanentes, de l’une ou, plus souvent, des deux narines.

Ce trouble pourrait toucher environ 5 % de la population, mais reste difficile à évaluer. Son diagnostic peut se faire notamment à l’aide de kits de test de l’odorat. Sa cause peut être d’origine congénitale, traumatique ou infectieuse, et avoir différentes sources : défaut de perméabilité des fosses nasales, altération ou destruction des organes sensoriels ou du nerf olfactif. « 

Notre ami épicurien Eryck Ponseel, grand amateur de vin, de spiritueux et de cigares, fidèle lecteur de Génération Vignerons est frappé d’anosmie depuis quelques mois.

Ses sensations sont perturbées et sa vie a changé, pas forcément en bien.

Il nous explique comment.

Eryck, peux-tu nous dire ce qui s’est passé ?

J’ai perdu l’odorat. En mars de cette année, j’ai fait une première crise d’épilepsie, je suis tombé et me suis réveillé quatre jours après à l’hôpital après un traumatisme crânien.

Comment me suis-je aperçu que j’avais perdu l’odorat ? La première fois c’est quelques jours après en promenant mon chien, c’était le printemps, les aubépines étaient en fleurs, je me suis approché pour les humer et là rien. Pas cette subtile et à la fois puissante odeur d’amande amère. La deuxième fois c’est en ramassant le soutien-gorge d’une femme qui m’avait dit qu’elle avait mis du Chanel n°5 pour moi, je ne l’avais pas senti dans son cou ni sur sa peau, et là rien sur son délicat sous-vêtement. Comment vivre sans cela ? L’odeur du vin, de la peau, du corps, du parfum.

À quoi associes-tu l’odorat ?

Certainement à la volupté, la volupté d’un vin qui peut m’emmener très loin dans les sensations comme l’odeur de la peau de la femme aimée. Est-ce qu’il peut y avoir de la volupté sans l’odeur ? A la vue ? Au toucher ? A l’oreille ? Au goût n’en parlons pas. Est-ce que regarder un verre de vin peut vous amener à la volupté ?

J’ai pensé à ce beau roman de Patrick Süskind, le Parfum. Je crois que si je devais le relire ce serait douloureux. J’ai ressorti mon coffret Le Nez du Vin (Éditions Jean Lenoir). J’ai reniflé les 54 flacons. Rien. Aucune odeur. Pas de citron, de pamplemousse, d’orange, etc.

As-tu abandonné les dégustations ?

Peu avant l’accident, je m’étais engagé à présenter la séance de notre club de dégustation Vertivin dédiée aux graves blanc. Heureusement Jocelyn Gombault a pris le relai pour l’animation, je n’ai fait qu’y assister en essayant de découvrir ce qui se passait en dégustant des vins sans avoir de nez.

J’avais beau sentir, narine gauche, droite, rien. Le goût, oui, et  peut-être un peu de rétro-olfaction. Vous imaginez mon désarroi, moi qui ai toujours privilégié le nez dans la dégustation. D’ailleurs je n’ai jamais été très bon pour identifier un vin, un cépage, une origine grâce à la sensation sur la langue, l’acide, le salé, le sucré, l’amer, l’astringent, l’umami et sur les parois de la bouche. J’avais toujours eu des difficultés à savoir si les tanins étaient lisses, rugueux, râpeux.

Imaginez une personne qui a perdu la vue, il lui reste les souvenirs des choses vues, et il paraît que les autres sens seraient décuplés. Si je perdais la vue, que ferais-je de ma collection de vieux Playboy ? Est-ce que cela va développer mon goût, mon toucher, mon ouïe ? Pour l’instant ce n’est pas probant, j’attends.

Il existe certainement des traitements, en as-tu suivi ?

Après mon hospitalisation et les différents examens passés, j’ai posé la question sur ma perte d’odorat aux médecins et professeurs, cela n’avait pas trop d’importance pour eux, leurs réponses étaient évasives : oui cela peut revenir, pas de traitement, vous pouvez vous exercer. Cela peut ne pas revenir, soyons positif. C’était secondaire pour eux.

Lors du salon organisé par le domaine de l’Ecu fin juin, le Temps des Copains, j’ai échangé avec Marjorie Gallet du domaine le Roc des Anges dont j’aime beaucoup les vins. Elle a perdu l’odorat et le goût au début des vendanges 2021, probablement cause de la Covid. Vous imaginez son stress. Sans attendre elle a consulté son acupuncteur. Vingt minutes après la séance alors qu’elle était en voiture, elle a senti que son odorat revenait puis un peu après le goût.

Elle a rapidement retrouvé la totalité de ses moyens avec la prise de conscience de l’importance de ces deux sens dans la vie de tous les jours. Pour être vigneronne, l’élaboration des vins, pour l’odeur des gens, pour la détection des dangers, le feu, le gaz par exemple.

Comment être vigneronne quand vous avez perdu l’odorat ? Vous imaginez la difficulté. Pour moi qui ne suis qu’un amateur, un amoureux du vin, c’est moins problématique mais c’est la perte d’une immense source de plaisir, comme celui perdu avec la femme que j’aime.

Comment peut-on se rééduquer ?

Je continue à assister aux séances de mon club de dégustation. Sans odorat, je me concentre sur la sensation en bouche, j’essaie de progresser sur l’analyse des vins à partir du goût, j’arrive à reconnaître si un vin est complexe, à préférer plutôt tel vin que tel autre. Il y beaucoup moins de vins qui franchissent le seuil de mon plaisir, beaucoup de vins se réduisent à de l’acidité, de l’amertume, voire de l’âcreté. Les vins nature, autre nom de ce qui s’appelait avant la com, du picrate, et qui ont généralement un nez évoquant la serpillère mal rincée, ne me dérangent plus en dehors de leur prix.

Dans le monde du vin de bons amis m’ont ouvert les yeux et fait découvrir que la dégustation classique était devenue ringarde. Il y a beaucoup mieux, la dégustation géo-sensorielle, la dégustation des gourmets, pas celle des ploucs. « Allez venez goûter mon jus de pierre !”.

C’est cela la dégustation géo-sensorielle, je goûte des jus de pierre, après le vin nature au nez de serpillère, le jus de pierre. Seigneur vous m’avez envoyé une épreuve. Il faudrait d’ailleurs arrêter de parler de la rétro-olfaction, “cachez cette olfaction que je ne saurais voir !”, cela décrédibilise le côté géo-sensorielle de cette nouvelle dégustation.

Et puis voilà qu’arrive la dégustation en plein conscience qui va faire passer au rayon des vieilleries la géo-sensorielle.

Et maintenant, ça donne quoi ?

J’ai diminué mes achats de vins, je bois ceux que j’ai en cave, de vieilles bouteilles qui sont autant de souvenirs, et je les bois avec plaisir et avec des proches car dans le vin il y a le partage. Récemment j’ai bu avec des amis sur une épaule de chevreuil que j’avais préparée rôtie aux poires et accompagnée d’une purée de céleri, un santenay 2011 de chez Bouchard Aîné et Fils, et une côte-rôtie 2007, la brune et blonde de chez Guigal. Les amis, le vin, le plaisir. Je bois un peu plus de vins pétillants, champagnes, crémants, et des alcools à cause de la sensation d’alcool en bouche.

Remarquez, il n’y a pas que des inconvénients à la perte de l’odorat. J’y vois même deux avantages : le premier, c’est ce travail sur la sensation en bouche du vin, et le deuxième qui relève de l’intimité, c’est que dans certaines situations ou positions, je ne sens rien.

Serais-je un jour le Omar Khayyâm de la dégustation ?

« Au printemps, je vais quelques fois m’asseoir à la lisière d’un champ fleuri.

Lorsqu’une belle jeune fille m’apporte une coupe de vin, je ne pense guère à mon salut.

Si j’avais cette préoccupation, je vaudrais moins qu’un chien. »

Propos recueillis par Jean-Philippe

Image à la Une : Manu5 http://www.scientificanimations.com/wiki-images/

Photo sous-vêtement parfum©BL

Ecrit par Eryck Ponseel et Jean-Philippe Raffard
Catégories : le métier

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