L’oenotourisme : vous le préférez bling bling, durable ou culturel ?

Bordeaux est à la manœuvre en ce début d’été 2022, après deux années d’abstinence oenotouristique qui ont fait du bien à la nature et du mal aux portefeuilles.

La remise des Trophées de l’Œnotourisme 2022  s’est déroulée avec faste à la Cité du Vin de Bordeaux. Le jury très bordelais a récompensé  18 lauréats, dont le tiers vient du vignoble bordelais. La relance enfin ! titre Terre de Vins. Qu’importe la déontologie, l’importance, la priorité, l’urgence est que la place de Bordeaux retrouve sa primauté.

On parle d’un million de visiteurs supplémentaires cet été sur les routes encombrées du Médoc.

Très mauvais pour le bilan carbone, pas bon pour la transition écologique.

UN GUIDE DE PLUS

La sortie de Bordeaux Route 1855 (Flammarion, 256 pages) un ouvrage luxueux qui recense les activités oenotouristiques des Grands Crus Classés a fait tourner les têtes. Ce guide promotionnel publié par le Conseil des Grands Crus Classés en 1855 croule sous une avalanche de superlatifs et commentaires dithyrambiques. Stéphane Bern, recruté pour rédiger la préface s’emballe : « chaque bouteille, chaque étiquette, sont comme autant d’invitations au voyage, à embarquer à destination de Bordeaux. » N’en jetez plus la coupe est pleine !

Ce guide, vendu 26€ vous donne l’impression d’être le pigeon d’une affaire profitable aux VIP qui le recevront gracieusement. Un guide loin d’être complet, il manque quand même 48 châteaux sur un total de 87 propriétés classées en Médoc, Barsac et Sauternes avec l’absence remarquée de Lafite Rothschild et Mouton Rothschild. N’est -il piquant de lire Saskia de Rothschild, dans son récent interview donné à la RVF : Toute personne qui nous écrit peut visiter Lafite et déguster gratuitement nos vins. En ce moment Lafite 2002 est proposé à la dégustation. Chiche ! Alors, à vos plumes, si votre demande est agréée, vous vivrez un moment de rêve jalousé par tous les amoureux du vin de la planète.

ŒNOTOURISME DURABLE OU ECO-RESPONSABLE ?

Tout n’est pas bling-bling dans l’œnotourisme bordelais, loin s’en faut. Alors sortons de la cohorte de vans Mercedes qui soulèvent la poussière dans un océan de vignes assoiffées. Direction Est, dans l’arrière-pays bordelais, là où se construit le renouveau du vignoble dans la fraîcheur de ses paysages boisés et vallonnés, irrigués de petites rivières et parsemés de mille châteaux : l’Entre-deux-Mers.

Recommandé par RuedesVignerons, le château Le grand Verdus, à Sadirac est un bel exemple de cette viticulture bordelaise qui s’adapte, qui lutte pour sa survie, celle des deux AOC malades : Bordeaux et Bordeaux Supérieur. Certains diront que le nom Le Grix de La Salle ouvre des porte, certes. Il n’empêche que les deux frères co-gérants Thomas et Édouard sont obligés d’innover tout azimut pour maintenir à flot ce gros paquebot viticole de 110 ha, secoué par les crises économiques et climatiques.

La gentilhommière fortifiée du XVIème siècle, classée aux MH a résisté à pire.

Expliquer comment on passe en agriculture biologique sans trop dégrader le bilan carbone, vanter le renouveau du sémillon Girondin, humer un vin orange expérimental, déboucher une bière fraîche de la Brasserie Verdus ou ce Pet Nat improbable « blanc de noir », Il y a tant de récits à raconter ici. Guinguette les vendredis et samedis, produits locaux, pyrotechnie, musiques, le château est un pôle d’animation du pays rural de Créon. Les frères, adeptes d’un slow tourisme, prennent le temps du partage avec leurs invités. Nos amis du coin sont là et les touristes sont les bienvenus s’ils la ramènent pas trop avec leurs grosses caisses ! murmure-t-on par ici.

L’œnotourisme est éco-responsable au Grand Verdus. N’oubliez pas en partant d’enfourner quelques cartons dans le coffre, c’est bon, c’est bien fait et vous prolongerez le souvenir d’une belle rencontre.

L’ŒNOTOURISME, UNE ROUE DE SECOURS

L’œnotourisme, c’est un peu la potion magique, voyez-vous. Il apporte des revenus supplémentaires aux vignerons quand le vin se vend mal, me dit-on en off. C’est ça où l’arrachage. Les exemples sont nombreux en Loire et dans le Sud-Ouest notamment où les domaines ont pu se maintenir à flot grâce aux chambres d’hôtes et aux activités réceptives.

De là à vouloir transformer le vigneron en animateur de tourisme rural, un pas que les politiques et les institutions seraient prêts à leur faire franchir.

Pour beaucoup de vignerons l’exigence du métier avec l’amoncellement des contraintes, les certifications agro-environnementales ne sont tout simplement pas compatibles avec les normes toujours plus complexes, toujours plus nombreuses du tourisme rural. Faut-il amener le vigneron à faire un choix schizophrénique entre la qualité du vin où le qualité de l’accueil ?

LES RENCONTRES AUTHENTIQUES

Un vignoble n’est pas un bateau de croisière avec ses loisirs tarifés. Non, un vignoble c’est une communauté d’hommes et de femmes qui travaillent incroyablement dur pour élaborer une boisson- plus qu’une boisson – un bien culturel à forte valeur symbolique. Le sang de la terre est issu d’un terroir, de traditions ancestrales, de savoir-faire et de technicité que le vigneron est fier de partager.

Voilà peut-être un tableau idéalisé, mais il faut garder en tête que le vigneron que vous avez envie de connaître, celui dont votre caviste – caviste du coin ou caviste en ligne- dit tant de bien, celui-là est un courant d’air qu’on ne peut retenir. Passent dans ma tête tellement d’images de rencontres abrégées : Désolé, je n’ai pas le temps, voyez avec Céline… Ah ! Vous connaissez Mickaël aux Bouteilles Nantes), tu le salues de ma part, désolé il faut que j’y aille !  Le meilleur cadeau qu’il puisse vous faire, c’est de produire un vin qui goûte bien, un vin sain, loyal et marchand. Il aura sué sang et eau, surmonté les mille et une difficultés du moment (gel, grêle, sécheresse, confinement, manque de main d’œuvre, trésorerie en berne, etc) pour voir votre visage s’éclairer de satisfaction. Sa récompense ? Votre confiance au moment de la commande.

LES PHILOSOPHES EN RENFORT

Notre profession de foi pour un œnotourisme responsable, respectueux du vigneron est nourrie par nos centaines de rencontres en France et à l’international. Elle se trouve renforcée par les mots mobilisateurs de l’académicien Érik Orsenna, tenus lors de la Paulée de l’Anjou 2022.

Il s’adressait aux 91 domaines présents, représentant le Grand Anjou réconcilié : Vous viticulteurs, vous êtes à l’avant-garde de la modernité, à l’avant-garde des transitions nécessaires pour l’agriculture de demain. Mon apport est simple : c’est la nécessité de raconter une histoire. Il y a ici une histoire et une géographie, c’est sur ce tissage que chacun doit travailler.

Et l’académicien de s’étonner que l’enfant du pays récemment décédé Jacques Puisais, œnologue réputé ne soit pas célébré partout ici en Val de Loire. Le philosophe créateur de l’Institut du Goût est reconnu dans le monde entier et notamment au Japon où il était adulé et considéré comme un « trésor vivant ». L’œnotourisme culturel a quelque chose d’entrainant qui redonne le goût de la découverte.

Clap de fin pour les Bacchus

Tout avait pourtant bien commencé lors des Assises inter-régionales de l’Œnotourisme de Tours, à l’automne 2018, lorsque le président Hervé Novelli incitait les professionnels rassemblés «à faire des gros efforts pour que la France rattrape son retard » et pourquoi pas doubler le nombre de visiteurs dans les vignobles. Saint Bernard exhortant les puissants à partir en croisade ?

Le Val de Loire (InterLoire et Destination Angers) répond présent et lance un concours visant à récompenser les « acteurs locaux de l’œnotourisme » pour leurs initiatives originales. Ils baptisent ce concours Les Bacchus. Génération Vignerons s’en est fait fidèlement l’écho mais n’a pas pu s’empêcher de trouver grotesque ce patronyme : le royaume de Bacchus flotte sur le Tibre et pas sur la Loire. Ici, le roi s’appelle Rabelais ! comme nous l’avait soufflé l’auteur-journaliste Jean-Claude Bonnaud.

Les Bacchus avaient aussi pour mission d’organiser la sélection du Val de Loire pour Les Trophées de l’Œnotourisme organisés par le magazine Terre de Vins et Atout France. La belle mécanique s’est malheureusement enrayée avec le confinement. Les Trophées ont ré-ouvert à Bordeaux en mai 2022, mais sans les Bacchus. Il était difficile de remettre en mouvement l’organisation d’autant que le salon des Vins de Loire d’Angers, auquel était couplée la remise des trophées n’a pas pu se dérouler en 2022, nous dit Christian Vital, chargé de mission oenotourisme à InterLoire, et d’ajouter : un problème existe autour de l’offre récompensable. Il n’y a pas des dizaines de nouveaux domaines ou nouvelles initiatives chaque année dans le vignoble.

Bref, on sort les Bacchus, on quitte probablement les Trophées de l’Œnotourisme trop influencés par Bordeaux et on repart d’une feuille blanche. Le moment est d’autant plus favorable qu’en quelques années le modèle quantitatif de l’œnotourisme- toujours plus de visiteurs - est remis en question. L’approche qualitative s’impose, le Val de Loire n’est-il pas inscrit au Patrimoine mondial de l'Unesco ?

Cette reconnaissance internationale consacre un paysage culturel exceptionnel, mais elle oblige à une éthique, à des exigences. Comment magnifier aujourd’hui ce trésor entremêlé de nature et de culture ? Voilà l’un des défis auquel nos têtes pensantes sont confrontés pour inventer un «œnotourisme saison 2».      

Jean Philippe

Photo à la Une : Domaine le Grand Verdus, Thomas Le Grix de la Salle

Ecrit par Jean-Philippe RAFFARD
--------------------------------------------------------------- Toujours volontaire pour une virée dans le vignoble du bout de la Loire, du bout de la France, du bout de l’Europe ou du bout du monde, là où il y a des vignerons, là où il y a du bon vin. Jean Philippe n’oublie pas sa vie antérieure en marketing-communication pour lever le voile sur le commerce du vin et l’ingéniosité des marchands.

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