champagne, capital d’Epernay

Une promesse de fête en pays champenois, comment y résister ?

Tous les ans, à la mi-décembre, Épernay s’habille de mille lumières, la ville offrant aux sparnaciens et aux visiteurs trois jours d’ Habits de Lumière, le bien nommé événement maxi-festif choisi à l’origine pour le passage du millénaire. Vingt et ans plus tard, le rendez-vous est solidement installé dans le cœur d’un public toujours plus nombreux- plus de 40 000 visiteurs – assoiffés de retrouvailles festives élégamment arrosées.

L’AMBITION SOCIALE

Sur place, vous ne pouvez pas rater la fameuse avenue de Champagne, là où tout se passe. Cette avenue est à la fois le symbole de la réussite d’une industrie, d’une région et d’une époque, le 19ème siècle. Elle est bordée de riches demeures, de sièges sociaux et de bâtiments de production admirablement rénovés qui rivalisent de magnificence en « attestant de l’ambition sociale des grands négociants. »

Moët & Chandon, l’imperator, Perrier-Jouët, l’Art nouveau, Eugène Mercier et son foudre géant, la tour Castellane, Pol Roger, Boizel, Michel Gonet et tant d’autres. Dans la journée tout ça paraît un peu figé et vous êtes bien loin d’imaginer qu’à la tombée de la nuit des torrents de décibels et de lumières stroboscopiques vont enflammer les lieux.

LE CŒUR BAT PLUS FORT

En arpentant l’avenue mythique d’un petit kilomètre de long, votre cœur bat plus fort car vous prenez conscience de mettre vos pas dans un lieu tout sauf banal. Un lieu consacré qui forme l’ensemble «Coteaux, Maisons et Caves de Champagne » inscrit par l’UNESCO le 4 juillet 2015 sur la liste du patrimoine mondial. Avec un joli compliment au passage : « l’image symbolique unique au monde du champagne en tant que symbole de l’art de vivre à la Française. »

L’exigence culturelle étant particulièrement élevée, il va falloir s’accrocher. Ça tombe bien, je suis en face du château Perrier transformé en musée du vin de Champagne et de l’archéologie régionale, ouvert depuis l’été.

Faire le plein de connaissances

Les architectes ont réussi la prouesse de transformer une grosse bâtisse bourgeoise tarabiscotée en un joli « parcours muséal » labyrinthique.

On démarre par les temps les plus reculés au 2ème étage, puis on descend pour remonter le temps.

Toujours utile de se remettre en mémoire que la Champagne fut un jour recouverte par une mer tropicale peuplée d’huitres, de reptiles et autres mollusques.

Tout cela a sédimenté au cours des différentes ères géologiques pour donner naissance à ces sous-sols crayeux ou calcaires, si propices au creusement d’incroyables réseaux de galeries comme les 100 kilomètres déployés sous Épernay.

On s’émerveille de voir les villages en maquette de la période gallo-romaine là où les paysans prospéraient sur ces terres fertiles, entre deux invasions meurtrières. On apprend qu’il y a eu une Champagne avant le champagne.

QUI A CASSÉ LE VASE DE SOISSONS ?

Il n’est pas inutile de rappeler, même si c’est «hors les murs » le baptême de Clovis, roi des Francs et de ses 3000 guerriers, des mains de Rémi, l’évêque de Reims, enracinant à tout jamais la chrétienté dans le monde occidental. Cela se serait passé le 25 décembre 498, de l’autre côté de la Montagne de Reims, devenue aujourd’hui le Parc naturel régional.

Le Moyen Âge voit la vigne se développer comme toujours autour des abbayes et notamment celle d’Hautvillers où les pèlerins affluaient en masse pour toucher le reliquaire de sainte Hélène. Tout cela périclitait lorsqu’est arrivé au 17ème siècle le sauveur du vignoble, Pierre Pérignon, comme on le verra plus loin.

DEJA LES RUSSES…

Passons sur la venue de l’empereur Napoléon 1er à Épernay en 1814, il revenait de la désastreuse campagne de Russie avec les coalisés à ses trousses. On connaît la suite, les têtes couronnées ont occupé Paris et découvert le vin de Champagne au point de ne plus pouvoir s’en passer.

Le début d’une incroyable aventure industrielle.

Les innombrables photos, dessins, maquettes, objets anciens, vidéos interactives vous transportent dans ce monde de luxe, de dureté et de labeur.

Saviez-vous que les ouvriers de cave devaient porter un masque de fer pour se protéger de l’explosion des bouteilles ?

Les images Belle Époque de Pierre Bonnard, Alfons Mucha, Eugène Simas ou Raymond Savignac, offrent des visions très modernes (pour l’époque) le plus souvent incarnées par une présence féminine et sensuelle.

Oh là là, à protéger d’urgence du courroux des féministes radicales !

LES TRÉSORS ENDORMIS

La visite de cave est un passage obligé à Épernay. Mon choix s’est porté sur le Champagne Boizel. «Depuis 1834 six générations de la famille Boizel se sont succédées à la tête de la Maison.» Au moins ici le CAC 40 ne fait pas la loi.  Je peux vous proposer une visite à 11h30, mais ça sera en anglais.

La prestation d’œnotourisme est parfaitement rodée, Angela, notre guide multilingue biélorusse nous fait découvrir une cuverie-tonnellerie étincelante de propreté. Elle explique la transition écologique en cours et la certification HVE des parcelles grand cru d’Oger, propriété de la Maison.

La descente en cave est spectaculaire, comptez l’équivalent de 5-6 étages.

Les trésors des Champagnes Boizel dorment là, à l’abri de toutes variations de température. Des caves qui pendant les deux guerres ont accueilli des réfugiés et servaient d’abri durant les bombardements. Il commençait à faire soif alors le petit groupe s’est précipité à l’Atelier 1834 pour une dégustation bien méritée.

LE STYLE D’UNE GRANDE MAISON

Deux flûtes m’attendent à ma place réservée. Angela fait le service du vin avec style . Blanc de blancs, blanc de noirs, ma voisine hollandaise est toute heureuse d’avoir perçu la différence gustative. 66 minutes chrono, 26€ la visite-dégustation, 20 000 visiteurs annuels qui associeront dorénavant des émotions et un souvenir inoubliable aux saveurs des bulles. Formons des vœux pour que ce «tourisme de dégustation » maintienne ce niveau de qualité, j’ai vu trop de régions viticoles dégradées par l’industrie oenotouristique.

L’envie de grand air par cette journée froide et ensoleillée me saisit. « Coteaux, Maisons et Caves de Champagne » sont inscrits au patrimoine mondial. Jusqu’ici deux cases furent cochées, il me restait à découvrir les coteaux.

Une rencontre vigneronne sur les coteaux

Les coteaux de la vallée de la Marne couvrent les villages de Cumières, Hautvillers, Aÿ et Mareuil sur Aÿ ; des grands crus et premiers crus très favorables aux cépages pinot noir et pinot meunier.

On est ici dans le berceau de la légende qui vaut bien pèlerinage en empruntant la route du vignoble à flanc de coteaux, parsemée de loges et de vendangeoirs. Dans l’église abbatiale d’Hautvillers on s’inclinera sur les dalles funéraires de Dom Pérignon et son copain-successeur Dom Ruinart.

Le premier surtout, fameux cellérier de l’abbaye au 17ème siècle, doit sa postérité à ses immenses mérites, certes, mais aussi à la cuve mythique de la maison Moët&Chandon qui perpétue sa mémoire. Tordons le bras à la légende, il ne fut pas l’inventeur de l’effervescence.

A Aÿ, porté par la magie des lieux, j’ai pris un chemin tout juste carrossable qui s’enfonçait au cœur des vignes. Il y avait là des camionnettes et des vignerons au travail.

Quel plaisir d’échanger avec Robert qui faisait brûler ses sarments dans un brasero à brouette. "Voyez, d’ici au petit ravin, c’est chez moi, 42 ares. De la vieille vigne de pinot noir et de meunier, on faisait pas trop la différence à l’époque. Remarquez, elles ont plutôt bien donné avec l’été pourri qu’on a eu. » Robert, la soixante sportive est l’homme le plus heureux du monde dans sa vigne. Il taille au sécateur manuel «pour garder du muscle» et vend son raisin à la Maison Bollinger, très exigeante sur la qualité. "Dans ma parcelle, je n’ai pas touché à la chimie, alors je peux vendre un peu plus cher. Les autres ? Ils font ce qu’ils veulent, mais c’est pas sûr qu’ils vendent à Bollinger. » Il produit probablement autour de 5 tonnes de raisin qu’il vend à 8€ le kilo.

"Oui, on a hérité du côté de mère et je m’occupe encore des vignes de ma tante comme tâcheron. Voyez-vous, j’ai été longtemps prothésiste dentaire, alors la précision, ça me connaît ! "Je sens un peu de déception quand il me parle du métier de son fils, cordiste. "La vigne, c’est pas son truc, pour l’instant". Évidemment Rodolphe sait que l’hectare de vigne à Aÿ vaut pas loin de deux millions d’euros. S’il arrête d’exploiter sa vigne en la confiant à un fermier, ça risque d’être très lourd au niveau de l’IFI. Lui, une grande fortune ?

UN ACCORD D’EXCEPTION

Le jour baissait et j’avais hâte de retrouver mon ami Denis Garret, maître-sommelier, avec qui j’ai partagé tant de moments exceptionnels en Géorgie et en Afrique du Sud. Denis est maintenant ambassadeur champagne de la Maison Pierre Mignon, connue pour ses Champagnes d’exception.

Son Grand Vintage Rosé 2010, «racé et distingué, laisse un souvenir empreint d’émotions » surtout quand il est servi avec des fines tranches de jambon ibérique Pata Negra spécialement sélectionné par le chef Igor Corral.

La nuit est tombée sur l’avenue de Champagne maintenant bouclée. Les queux se forment aux contrôles d’accès pour la présentation du pass sanitaire. Tiens, j’apprends que les visiteurs sont tracés – géolocalisés- via leur smartphone. Une expérimentation réalisée par Orange et l’Agence de développement touristique de la Marne pour savoir d’où viennent les visiteurs. On aurait pu me demander mon avis, même s’ils nous assurent que les données sont « anonymisées. »

L’ESPRIT GUINGUETTE

Vous déambulez sur l’avenue au milieu d’une foule bigarrée grossissante. Ça parle anglais, à gauche, ça parle belge à droite. Des quadras stylés, des jeunes parents, des étudiantes, des séniors alertes. Moët&Chandon reçoit, là c’est Esterlin, plus loin c’est Pol Roger, Boizel.  Les bars à Champagne sont improvisés dans les cours pavées, avec un petit orchestre sous chapiteau. On rentre, on prend un verre, une bouteille, on cause, on se lâche, on rit, eh tiens! si on allait danser ?

N’allez pas croire que la fête est open bar, non ; les Maisons vous allègent de 8€ pour une coupe -souvent en plastique jetable, hélas- 30 à 40€ pour la bouteille.

Ce qui me fascine, c’est l’adhésion des milléniaux, ordinairement buveurs de bière.

On voit qu’ils ont plaisir à s’inscrire dans la tradition avec ses codes et ses rituels ; souvent à l’initiative des filles d’ailleurs.

A minuit, les services de sécurité vous demanderont de quitter les lieux, ça se fait naturellement, gentiment, sans heurts, bien loin du binge drinking et autres désastres consécutifs à la consommation effrénée d’alcool.

 

TOUCHÉ PAR LA GRÂCE

Mes pensées fumeuses se rebellent contre ces hygiénistes bien-pensants qui nous menacent des pires cancers de l’enfer. Ne voient-ils pas qu’une consommation culturelle, ritualisée s’inscrivant dans une tradition multiséculaire construit le meilleur des liens sociaux ? Épernay, la Champagne nous en font une éclatante démonstration.

Cette impression de légèreté et d’allégresse, malgré les inquiétudes sanitaires, se retrouvent dans le titre du Monde Des Vins du même week-end : Champagne, l’année prodigieuse. Que de superlatifs !  Les ventes ont rebondi de 40% par rapport à 2020 – l’année de l’angoisse sanitaire- pour atteindre un sommet de 320 millions de bouteilles expédiées- 40% en France, 60% à l’export. Risque de pénurie ? On avance que le stock représenterait un milliard et demi de bouteilles alors que tout manque : étiquettes, bouteilles, muselets, cartons, camions, containers…. C’est de bonne guerre, les marchands agitent toujours le chiffon de la pénurie pour augmenter leur prix.

FIER D’ÊTRE CHAMPENOIS

Je crois avoir fait une découverte dans ce pays de Champagne : la fierté de travailler dans le champagne. De l’humble vigneron -ils sont 16000- au stagiaire des expéditions, en passant par l’hôtesse d’accueil, le maître de cave ou l’équipe dirigeante d’une grande Maison, ils ont conscience de perpétuer quelque chose qui touche au génie français :

 

De ce vin frais l’écume pétillante

De nos Français est l’image brillante

Voltaire, le Mondain 1736

Jean-Philippe

Ecrit par Jean-Philippe RAFFARD
--------------------------------------------------------------- Toujours volontaire pour une virée dans le vignoble du bout de la Loire, du bout de la France, du bout de l’Europe ou du bout du monde, là où il y a des vignerons, là où il y a du bon vin. Jean Philippe n’oublie pas sa vie antérieure en marketing-communication pour lever le voile sur le commerce du vin et l’ingéniosité des marchands.

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