Il est matin lorsque je sillonne les chemins qui descendent vers la combe. La lumière est grise, d’un gris pâle qui distille des brouillards d’humidité gardés de la nuit.
L’éloge du silence
Les vignes discrètes longent ma route. Nous sommes à l’ouest de Montpellier au Domaine des Hautes Terres de Comberousse.
Une voiture arrivera après que j’ai posé le regard sur les alentours du domaine.
Isolement précieux, les hangars sont posés dans le creux du paysage, au pieds de la petite montagne. Quelques bêlements et clochettes annoncent le décor.
Le vigneron m’accueille. Quelle est sa force ? Paul Reder a su rester un enfant dans l’âme.
Habillé des certitudes des adultes il avance dans son métier de vigneron paysan sur un sillon profond tracé par son père.
Deux wagons blancs pour un voyage immobile
Nous parlons beaucoup. La matinée avance tranquillement sous le crachin, tandis que Paul est concentré dans la narration des histoires et des hommes qui ont façonné le domaine puis son envie de le prolonger.
Nous nous abritons avec le chien près des cuves. S’il est en bio, c’est pour que la vie continue. Raisonnable dans son agriculture, comme dans l’éloge du travail qu’il faut entreprendre avant de produire le moindre millésime.
Il y en a un pour les vinifications et un autre pour stocker les bouteilles, plantés sous le hangar, les deux wagons blancs de la Deutsche Bahn ont retrouvé une utilité et gagné un supplément d’âme.Et puis il faut mentionner les cuves de vinification qui sont là sous nos yeux. Plusieurs grosses bonbonnes de pulpes de fruits venues d’Israël et qui allaient autrefois chez Orangina.
Paul recherche une légère oxydation, un fruité complexe qu’il obtient avec patience et maîtrise. Comme pour préparer un voyage. Il vise la singularité, la persistance dans le temps.
Au royaume des blancs version « nature »
Les vins blancs de Comberousse comportent ROUCAILLAT en AOC Coteaux du Languedoc, sur une parcelle à 170 m d’altitude. Assemblage de grenache blanc, sur substrat dolomitique, rolle (alias vermentino) sur des sols un peu plus épais, de roussanne aux rendements bas de l’ordre de 25 hl/ha.
C’est LA cuvée phare du domaine. 2016 présente un oxydatif élégant, noix fraîche, cacao, menthol et zeste de citron jaune. Equilibre sur l’acide/amer avec une longueur appréciable. Très belle minéralité accompagnée d’arômes fumés.
2015 est plus complexe en nez avec des arômes plus mûrs, de poire, de prunes jaunes et de citron, des notes herbacées, menthol et une bouche très saline enrobée de réglisse, mirabelle, raisin sec.
Un très beau vin de longueur et intensité soutenues, avec de jolis amers promis pour la garde.
Hommage au père, vintage 1996.
Nous goûtons cette bouteille sans étiquette dont le vin aux aromatiques complexes va me rester, presque deux heures plus tard, coincé aimablement sur les papilles. Un vin conçu par Alain le créateur du domaine viticole. Vingt-trois ans de sommeil, de préparations et de patine. Transmission intense des souvenirs de la vendange quatre-vingt-seize. De ses jus, du terroir et de la météo.
Rien n’est perdu, on entend chanter les hommes qui remontent les raisins, le glissement de la presse, le ruissellement dans les cuves. C’est un voyage dans le temps. La robe est ambre clair, limpide et ravissante. Le nez dévoile des arômes de café, dattes séchées.
La bouche est ample et complexe, distille des saveurs de poire et mangue/citron/orange confits, de gingembre et de clou de girofle. C’est un vin de maturité époustouflante qui allie finesse et profondeur. Un vin d’exception.
Le souci de maintenir une tradition, en sauvant l’aramon de l’oubli, ainsi que son travail centré autour des blancs sur un terroir unique, classent Paul Reder comme un vigneron à part, prenant des risques, recherchant des saveurs authentiques et riches. Un vrai vigneron d’exception.
Jean-Luc
Image à la Une : ©Domaine des Hautes Terres de Camberousse