La fabrique des vins bio-nature

Je ne vais pas te raconter l’histoire des 9Caves, tu trouveras tout sur Internet. C’est dit de façon abrupte, bien dans le caractère du vigneron Bruno Duchêne, l’initiateur du projet, un homme tout en muscle jusqu’au sourire. C’est l’attrait pour la Catalogne qui l’a poussé à quitter le Loir et Cher en 2002 et à travailler à la pioche- même le cheval ne passe pas- quelques hectares de vieilles vignes sur les pentes vertigineuses de la montagne des Albères. J’avais déjà 17 vendanges au compteur quand je suis arrivé ici.

La greffe a prise, les racines ont pénétré le schiste en profondeur. Le domaine Bruno Duchêne est aujourd’hui reconnu pour la qualité de ses vins bio nature « frais, gourmands et racés » souvent vinifiés en amphore; son Banyuls de Môman, sa Pascole et sa Luna rosé, joliment calligraphiés : soleil, mer, montagne ont de nombreux adeptes.

20 000 bouteilles/an en AOC Collioure, AOC Banyuls -et aussi en Vins de France pour ses assemblages créatifs- trouvent preneurs aux quatre coins de la planète. Mais Bruno l’entrepreneur est aussi à l’origine d’un projet immobilier vigneron qui n’a rien à voir avec une coopérative viticole pourtant ancrée dans les habitudes d’ici.

J’en résume sommairement l’historique…

…encore une fois, tous les détails sont sur internet ! En 2012, le caveau de l’Abbé Rous à Banyuls sur mer était vacant – Ah ! il faudrait raconter l’histoire de cet abbé qui créa un négoce de vins à la fin du 19ème siècle, sous le nom évocateur de « l’œuvre du vin de messe » pour financer l’agrandissement de l’église paroissiale.

Lorsque nous avons appris que la coopérative de l’Abbé Rous déménageait, nous avons fait un rapide tour de table avec des copains. Des vignerons, mais aussi des gens qui voulaient faire bouger la ville et l’appellation. En deux mois le projet était bouclé. Treize associés, parmi lesquels Valérie Reig, du domaine de la Casa Blanca, trouvent les 2 millions d’euros nécessaires pour restructurer un bâtiment lourdingue au cœur de la petite ville balnéaire, vigneronne et un poil endormie dans un esprit start-up.

Avec ses 1500 m², sa boutique, ses trois gîtes écolo en bois, métal et béton ciré logés sur le toit, ses caves de vinification, son patio, ses salles de réunion, les 9caves s’affichent à la fois en lieu de travail, boutique et espace convivial pour accueillir des expos, des concerts et des événements autour du vin. Cave et restaurant sont exploités aujourd’hui par un couple venu d’Amsterdam, Jan Paul et Natasha, parfait dans leur style bourgeois bohème et cuisine de pointe.

mon portfolio

NDLR : Vous vous étonnez de découvrir un reportage en noir et blanc ? A vrai dire, à la rédaction,  on ne sait pas exactement quelle mouche a piqué Jean-Philippe lorsqu’il a décidé d’acquérir en brocante un vieux boitier Nikon F et des rouleaux N&B d’Ilford 400…Tel Tintin reporter, le voici crapahutant dans les vieilles vignes de grenache surplombant la Méditerranée, arpentant les caves de la côte Vermeille…Bon c’est vrai le résultat est là mais il était temps qu’il rentre au frais à Nantes…

 

J’ai passé quinze jours dans l’un de ces gîtes écolo, le Collioure,

et l’ai quitté la larme à l’œil. Les 9caves ont tout d’une ruche vibrionnante au mois de septembre, l’ambiance m’a fait penser au film Résistance naturelle de Jonathan Nossiter. Déchargement des raisins cueillis au petit matin, transfert pour macération, foulage aux pieds, nettoyage-empilage des cagettes plastiques, pressoir horizontal Bucher Vaslin pour les blancs, Karchers omniprésents, va-et-vient permanents des vignerons qui occupent chacun un espace-caveau de travail donnant sur l’allée centrale.

Dis-moi Bruno, je peux t’emprunter ton chariot élévateur ? Pour éviter les pompages, les vignerons usent du chariot-élévateur pour hisser, transférer, soutirer les petites cuvaisons inox vers les barriques par gravitation. Aux 9Caves Il n’y a pas d’équipement mutualisé, chaque vigneron est indépendant, travaille ses vignes en bio, le plus souvent des vieilles vignes plantées sur des terroirs exceptionnels. Il fait son propre vin plutôt nature et possède ses propres outils mais on a le droit de s’entraider.

Et puis Bruno est un peu le grand frère…

celui qui a la plus grande cave, la plus grosse production. La débrouille, certes, mais dans les règles de l’art et de l’efficacité. Je les croisais plusieurs fois par jour, moi le gars du pays nantais ; ils connaissent le salon des vins naturels du Grenier Saint Jean à Angers et la Levée de la Loire à Saumur, alors on peut parler. Un petit bonjour, salut, ciao, que tal, olà, como va, aux Joachim, Loïc, Fabien, José, Manuel, toujours à l’œuvre, riant ou se fâchant, faisant des blagues, souvent entourés de stagiaires fascinés sur fond musical pop-rock.

Ambiance tournage cinéma, on y fume beaucoup, est-ce vraiment compatible avec les vins bio-nature ? Des liens se nouent avec Thierry Diaz en particulier qui me fait découvrir son Machu Picchu, si frais et gouleyant.

Et puis, il y a cette porte le plus souvent fermée ; tiens, elle est ouverte aujourd’hui, nous sommes au domaine Pedres Blanques. Je demande l’autorisation de prendre une photo, Rié et Hirofumi Sohji acquiescent avec un sourire crispé- il est malséant de dire non dans la culture japonaise. Ils ont défrayé la chronique au printemps dernier car la préfecture voulait les expulser faute de ressources suffisantes. Des gens passionnés à l’éthique très élevée qui produisent un vin extraordinaire dit-on d’eux. L’affaire est arrangée, des personnes s’étant portées caution.

Mais comment vivent-ils ?

Ces vignerons artistes qui produisent souvent moins de 5 000 bouteilles par an ? Ce n’est pas gagné pour tout le monde, certains ont dû renoncer comme l’artiste dessinateur Xavier Bismuth. Globalement ils sont portés par la qualité de leurs vins et l’efficacité des réseaux de distribution du bio-nature et de la biodynamie. Tant que les bars à vins branchés de Tokyo, New-York, Londres, Paris ou Copenhague attireront une clientèle urbaine éprise de naturel et de vins français la magie opèrera et les vignerons artistes prospèreront.

Jean-Philippe

Vignerons des 9caves

Cave Bruno Duchêne

Cave Manuel Di Vecchi, Vinyer de la Ruca

Cave Thierry Diaz, domaine La Martine

Cave Joachim Roque, domaine Carterole

Cave Jose Carvalho Moreira, la cave des nomades

Cave Rié et Hijofumi Shoji, domaine Pedres Blanques

Cave Fabien Blacher, domaine le Nautile + Torsten Umlauf, domaine la Rivière

Vinaigrerie La Guinelle, Philippe Bornard

Ecrit par Jean-Philippe RAFFARD
--------------------------------------------------------------- Toujours volontaire pour une virée dans le vignoble du bout de la Loire, du bout de la France, du bout de l’Europe ou du bout du monde, là où il y a des vignerons, là où il y a du bon vin. Jean Philippe n’oublie pas sa vie antérieure en marketing-communication pour lever le voile sur le commerce du vin et l’ingéniosité des marchands.

2 commentaires

  1. Melchior dit :

    Article top !
    Il ne manque plus que de citer le Pape de la Biodynamie à Banyuls, certifié Demeter, pour être complet.
    Jean-François Deu / Domaine du Traginer

    On est tout bon !

  2. Jean-Philippe RAFFARD dit :

    Merci Jean François, nous avons eu l’occasion de déguster un rancio sec du domaine Traginer lors de Vi Ranci; ce fut un merveilleux souvenir !

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