vigneron coopérateur : l’autre option

La moitié des « déclarants de récoltes » sont des vignerons coopérateurs, qui l’eut cru ? Ils seraient près de 45 000 en France (sources Wikipédia) le plus souvent propriétaires de petits vignobles (6-7ha). Viticulteurs récoltants, vignerons associés ou coopérateurs, on a vite fait de s’emmêler les pédales tant les nuances et les traditions entre les métiers sont nombreuses. Normalement le viticulteur est celui qui produit le raisin, le vinificateur celui qui fait le vin, le négociant celui qui le vend. Il y a ceux qui « font la totale », c’est-à-dire le métier de A à Z, au sens du mouvement des Vignerons Indépendants  (7000 en France) : cultiver, vinifier, commercialiser.

DEUX FAMILLES

Les viticulteurs se divisent en deux familles : Il y a ceux qui vendent leurs raisins ou leurs moûts au négoce, aux embouteilleurs, aux maisons de vins. Le groupe Castel (1 milliard de CA) par exemple. Qui ne connaît pas la marque Baron de Lestac vendue en grande distribution ? Et ses cavistes Nicolas et le Savour Club. Le groupe fait travailler des milliers de viticulteurs qui n’ont pas vraiment leur mot à dire sur les prix et les conditions d’achat.

Et il y a l’autre famille, celle des coopérateurs. Ceux-là sont associés à la cave qui vinifie leurs raisins et commercialise leur vin. Ils élisent leurs administrateurs selon le principe : une voix, un vote et prennent davantage leur destin en main. Pourquoi s’intéresser aux vignerons coopérateurs ? Cette communauté professionnelle aussi nombreuse que discrète revient aujourd’hui sur le devant de la scène.

LUTTE SYNDICALE

La coopération est un puissant mouvement social et économique né à la fin du 19ème siècle. Il est très présent dans le domaine agricole et viticole, là où la solidarité est une nécessité, selon l’adage : ensemble on est plus fort. Seul, on n’arrive pas à se faire respecter, aussi le mouvement s’est fondé sur les luttes sociales et les réponses syndicales.

Puis il s’est installé dans le paysage viticole français, surtout dans le Sud, autour des caves coopératives, ces gros champignons de béton, que l’on vit fleurir dans les communes vigneronnes.

Tout cela ronronnait tranquillement sur fond de rivalités entre notables. On faisait des volumes et on laissait les vins de qualité aux domaines privés. Allez, il faut bien le dire, l’accueil du visiteur laissait souvent à désirer : C’est pour quoi, monsieur ? Alors qu’au domaine à côté, votre voisin se voyait gratifier d’un Salut Jeannot, ton Bib est prêt.

LE COLLECTIF REPREND DES COULEURS

Le modèle individuel du vigneron indépendant, magnifié par mille récits et portraits iconiques peine sous le poids des contraintes et des risques : sanitaires, climatiques, environnementaux, financiers, commerciaux et j’en passe. Le mouvement coopératif, plus sûr reprend tout bonnement « du poil de la bête ». L’article de Karine Valentin publié l’an passé dans la RVF nous parle du dynamisme de la coopération «aux avant-postes de la viticulture française », elle est surtout bluffée par la qualité globale de ces 70 meilleurs vins des caves coopératives.

Ce réveil apporte un vent d’innovations, le renouvellement des associés et des dirigeants, toujours plus d’investissements, bref la modernisation qui touche d’abord les coopératives en pointe : Plaimont, Tain, la Chablisienne, Tutiac, Robert & Marcel, les Vignerons de Buzet, Wolfberger, la Champagne, Nicolas Feuillatte. Pour les gros bataillons, soit les 580 caves recensées, le mouvement est en marche même si on traîne les pieds.

La cave du Saumurois Edith et Marcel- oh excusez-moi !- Robert et Marcel, est probablement l’illustration de ce « printemps de la coopération ». Cette cave située à Saint-Cyr-en-Bourg est une fierté régionale avec 2100 ha de vignes, ses 160 associés actifs, ses 120 cuvées personnalisées, son engagement environnemental.

Gros employeur local, la cave pèse lourd en Val de Loire (45 M€ avec Alliance Loire).

Cerise sur le gâteau, les visiteurs se pressent pour explorer ses galeries troglodytes, comme l’indique Tripadvisor dans sa rubrique « Quoi faire dans le coin ?» En voici un aperçu sympa :

Savoir s’adapter

Nicolas Emereau, son directeur général casse tous mes a priori sur la coopération, je résume.

Est-on coopérateur à vie ? On a ouvert nos statuts, aujourd’hui c’est 8 ans pour une première adhésion et 5 ans pour un renouvellement.

Est-on obligé de livrer tous ses raisins à la coopérative ? Là aussi il y a du changement, l’engagement porte sur 50% de votre vendange. On vous permet d’être vigneron-vinificateur pour le reste.  C’est-à-dire vous pouvez être en même temps adhérent et sortir des bouteilles à votre nom. Vous savez, nous avons chez nous des coopérateurs renommés et fidèles à leurs origines comme Romain Guiberteau ou Arnaud Lambert.

Le directeur apporte une nuance quand même : L’esprit qui domaine, c’est le collectif. Cela fait partie de l’ADN de nos adhérents.

QUELLE PLACE POUR LES NÉO-VIGNERONS ?

Évidemment, il ne doit pas être facile de pénétrer dans cet espace sécurisé, protégé des vents mauvais. Quel en est le mode de transmission ? Les associés qui prennent leur retraite, une quinzaine par an, sont immédiatement remplacés par des jeunes entrants, majoritairement des fils ou filles d’adhérents, mais pas que. Le directeur me cite des exemples de jeunes, issus ou non des milieux agricoles qui sont rentrés dans l’organisation. C’est rassurant pour un jeune vigneron qui n’a pas forcément une appétence de vinification ou de commercialisation de commencer chez nous.

Signe des temps, la demande croissante d’investisseurs qui cherchent des vignes à reprendre. 

Ce retour en grâce est le résultat d’un travail de fond dans la qualité que Nicolas Emereau me détaille abondamment. Pêle-mêle : la certification HVE généralisée, les liens forts avec l’Institut Technique de la Vigne et du Vin, le focus client, la collaboration avec le sommelier Philippe Faure-Brac, les vieux millésimes revisités, les cuvées du fameux Clos Cristal des Hospices de Saumur. De quoi faire rêver un jeune coopérateur !

Et surtout le gros investissement en RSE- 7,5M€ sur 5 ans- pour attirer des talents, salariés et adhérents avec un niveau d’exigence centré sur la dimension sociale.  Aller au-delà de la vente de vin pour créer de la valeur et de l’emploi en Val de Loire.

Quelle belle marque ! À quand les bars à vins Robert & Marcel dans les métropoles ?

Jean-Philippe

Photo à la Une : Par Claude ROMA — Travail personnel, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=2113980

Ecrit par Jean-Philippe RAFFARD
--------------------------------------------------------------- Toujours volontaire pour une virée dans le vignoble du bout de la Loire, du bout de la France, du bout de l’Europe ou du bout du monde, là où il y a des vignerons, là où il y a du bon vin. Jean Philippe n’oublie pas sa vie antérieure en marketing-communication pour lever le voile sur le commerce du vin et l’ingéniosité des marchands.

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