Coup d’œil en balayage à la Maison de la Presse de la gare de Nantes. Que vois-je ? Un petit canard affublé d’un noeud papillon rouge qui pointe son bec. Je reconnais la mascotte de l’hebdomadaire satirique tellement craint pour ses enquêtes sulfureuses et son humour vachard vis à vis des puissants et de la bêtise humaine.
100 HISTOIRES DE VIN, le dossier du Canard enchaîné est lui en format magazine, plus facile à manipuler. Ai-je le droit de feuilleter ? L’insistance de l’employé en uniforme à ranger les magazines en vrac juste à côté signifie clairement : ce n’est pas un salon de lecture ici.
Six euros pour une lecture jouissive, informative, surprenante, dérangeante, avec ses petits loupés et ses traits de génie.
LIBÉRÉ DU CARCAN PUBLICITAIRE
Imaginez que vous ayez marché longtemps avec des chaînes aux pieds et tout à coup, on vous les enlève. Quel soulagement ! Cette sensation de liberté retrouvée est celle que vous ressentez à la lecture du dossier. Les mots ont retrouvé du sens : pas de publi-rédactionnel, pas de pubs cachés, pas d’influenceurs à l’œuvre, pas de placement de bouteille, pas de wine name dropping.
Bizarrement les belles pubs me manquent comme celle de Minuty, et le Canard de préciser : « le prestigieux Domaine de Minuty a été racheté par LVMH entre 350 et 450 millions d’euros ».
Dans le Dossier on parle du vin, des vignes, des propriétaires, des marchés, des arnaques, des bisbilles, des tripatouillages, comme on sait faire au Canard.
Évidemment tout le monde n’aime pas, n’est-ce pas Vitisphère ?
UNE COLLECTIF DE DESSINATEURS
Les articles sont mordants mais les mots ne blessent pas, n’injurient pas ; visiblement ils restent sous le radar des poursuites en diffamation.
En revanche les dessinateurs de presse, eux, se lâchent !
La fine fleur de la corporation est au rendez-vous : Adelina, Diego Aranega, Aurel qui publie une jolie micro-BD, Bouzard, Delambre, R. Dutreix, Kerc’h, Kerleroux, Kiro, Lara, Lefèvre, Lefred-Thouron, Lindingre, Mougey, Pancho, Potus, Soph ‘, Urbs, Wozniak…
Ils nous régalent par l’humour cinglant de leurs dessins si expressifs.
FLORILÈGE DE TROUVAILLES
Par quoi commencer ? Le sommaire de ces « 100 histoires de vin », avec ses titres accrocheurs ressemble à la carte d’un restaurant étoilé, on a envie de tout embrasser.
Pitchons les sujets brûlants. Titre : Instagram d’alcool. Juste pour nous prouver qu’il est temps de réglementer l’activité d’influenceurs avec quelques exemples bien sentis: @bastosvithlove (1,1 million d’abonnés) avait fait de la pub pour la marque de vin Gris Blanc en s’affichant avec une bouteille au niveau de … ses bijoux de famille. Avec ce commentaire de légende : la taille compte-elle vraiment ? @grisblancwine, bilan 73 745 likes. Depuis 2021 l’association Addictions France recense 5000 publications d’influenceurs promouvant le vin et l’alcool. Pas étonnant que l’État a fait passer vite fait bien fait au printemps dernier sa loi contre « les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux ». Une loi qui se contente de faire les gros yeux aux influenceurs en les obligeant à se déclarer, comme on peut le lire dans notre spoiler ci-dessus.
Vous imaginez bien que les bagarres entre le lobby du vin et celui des hygiéniste fait les délices du Canard. Titre : le serment du picrate. La conclusion de l’article affiche les orientations de l’éditeur : Boire un ou deux verres de vin par jour après 40 ans pourrait diminuer les risques de maladies cardio-vasculaires, d’AVC et de diabète….
TOUT POUR CASSER LE MORAL
Évidemment Le Canard ne parle pas des trains qui arrivent à l’heure. Ils vont chercher là où ça gratte, comme dans ce papier. Titre : un p’tit verre de château-remblais ? L’histoire se passe entre Toulon, le Castellet et l’AOC Côtes-de-Provence. Conclusion un rien fataliste : Depuis l’affaire est enlisée dans le béton….L’enfouissement de déchets sous les vignes n’a pas cessé.
LE VIN, CE FILON !
A lire le Canard, il y a encore moyen de se faire du blé dans le vin. Surtout quand on s’appelle Pinault-Arnault. La famille Bouygues n’est pas très loin quand on évoque le Clos Rougeard, une AOP très BTP. Il est regrettable que ce vin, qui parlait à beaucoup d’amoureux, sente maintenant le fric, lâche un connaisseur qui ne mâche pas ses mots ». (technique rédactionnelle qui consiste à faire parler un personnage imaginaire, NDLR).
Un autre titre évocateur : Nouveaux débouchés de bouteilles. Avec une escroquerie très maline: A Lagos, Nigéria, le champ’ coule à flot dans les hôtels internationaux, les boîtes de nuit et les bars. Baptêmes, anniversaires et même enterrements sont l’occasion de fêtes très arrosées…Au passage les escrocs de la contrefaçon profitent de ce nouveau business. Il n’est pas rare qu’on serve du faux champagne aux clients. Pas à la première coupe, mais quand ils commencent à être un peu éméchés. La bouteille et l’étiquette sont d’origine, mais le breuvage est remplacé par du vin pétillant !
BORDEAUX ÉPINGLÉ
On compte une demi- douzaine d’articles dézinguant Bordeaux et ses mauvaises pratiques, mais notre engagement à ne pas alimenter le Bordeaux bashing nous oblige à ne pas les citer.
DES VINS PAS TOUJOURS CLAIRS
On a parlé d’un loupé, c’est peut-être un peu excessif, mais visiblement le rédacteur n’était pas à l’aise avec : les vins nature. Il convoque les aficionados comme le caviste Damien Allain : Aujourd’hui tout le monde veut goûter ces vins, tout le monde veut en produire. On rééquilibre avec la critique Alice Feiring qui les appelle « les vins nus ». On se prend les pieds avec la répression des fraudes qui interdit « plus ou moins » la mention nature sur l’étiquette, tout en donnant la parole à Jacques Carroget et son micro syndicat « Vin Méthode Nature » contesté par Pierre Guigui, l’auteur du Savoir Boire, et cofondateur de l’Association pour la reconnaissance des vins bretons (sic) ! La chute heureusement met tout le monde d’accord : Tout repose sur la sacro-sainte parole du vigneron.
COLLECTOR
Erik Emptaz, le rédacteur en chef nous donne un conseil : servi frais, ce numéro est à lire sans modération, à l’ombre d’un parasol comme sous les tonnelles. Et Génération Vignerons de rajouter : après lecture, ne pas jeter dans la poubelle bleue. Conserver au sec une bonne quinzaine d’années puis mettre en vente sur Ebay. Les dossiers du Canard partent très bien.
Jean-Philippe