Cette semaine Génération Vignerons accueille Julie Reux, journaliste mi ville mi raisin -telle qu’elle se définit. On aime la fraicheur de son écriture, son style enlevé et ses thématiques développées aussi bien dans la Revue du Vin de France, le Vin Ligérien que sur son propre blog. Aujourd’hui, on vous propose le premier épisode de sa saga : comment devient-on vigneron.ne ? Et comment un.e jeune vigneron.ne fait-il/elle le choix du « naturel », des vignes en bio et de la vinification sans intrant ? Avec quelles implications pour son entreprise, sa vie personnelle, son quotidien ?
C’est un peu tout ça que Julie nous raconte dans cette série d’articles en dix épisodes publiés sur son blog La Plume dans le vignoble et dont voici le premier article. Les suivants sont à lire sur son blog.
DEVENIR VIGNERON.NE : une série pour faire du vin
🍇 Le décor : le vignoble de Loire, et surtout le Muscadet
🛺 Le personnage central : David, 25 ans
🍷 Le projet : Produire du vin (si possible) naturel
Avec :
Du rêve, mais surtout beaucoup de réalité, des grandes victoires, des petits renoncements et de grosses galères, des confidences sur les pires erreurs des anciens débutants, des dragons, des barons de la drogue, des tueuses de vampire, des stilettos (ou pas).
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Episode 1/10
Tu peux tout perdre en une journée et tu vas en chier toute ta vie
Première rencontre avec David, le héros de DEVENIR VIGNERON.NE (un jour)… Un gars du Muscadet, tombé dedans quand il était petit, fils de, frère de, neveu, cousin, bref, avec toute une tribu derrière lui. Mais entre grandir parmi les ceps et devenir vigneron, le chemin est long.
trouver l’inspiration
Pour qui traîne un peu dans le Muscadet, la ressemblance est évidente : même avec une barbe (plutôt hippie que hipster) à la place de la moustache, il y a du Landron dans ce sourire timide et ce regard franc.
Car oui, David est un Landron. Parlons-en maintenant, pour ne plus trop en parler ensuite. Fils de Bernard et Françoise Landron, frère de Benoît, du domaine Landron-Chartier à Ligné, neveu de Jo Landron, de la Haye-Fouassière et cousin de Manu Landron, du domaine Complémen’Terre.
Avec ce « pedigree », pas étonnant qu’il ait un jour eu l’idée de devenir vigneron.
Tout petit, donc, David voulait « travailler la terre ». Il n’est pas très difficile de l’imaginer, petit garçon rêvant de conduire son propre tracteur. Vingt ans et quelques plus tard, le voici qui s’imagine « vigneron naturel ». Entre les deux, il y a eu un long chemin et beaucoup d’observation familiale.
L’amour de la terre
A l’origine de tout, il y a ce truc que les Landron semblent recevoir en héritage : l’amour de la terre. Ca remonte au grand-père, premier vigneron de la famille, ardent défenseur de ce que personne n’appelait encore le terroir du Muscadet.
Cet amour est passé par Jo et Bernard, les frères à moustache. Le premier a pris le père au mot et s’est battu pour la terre en passant en bio, envers et contre tous, y compris au besoin contre le paternel, pas convaincu. « Papy avait connu la charrue, puis le confort du tout chimie, explique David. On peut le comprendre… »
Bernard a quant à lui creusé un autre sillon, recréé un domaine à Ligné. Frisé la catastrophe avant de prendre le virage du bio avec sa femme et son fils Benoît, la trouille au ventre mais avec l’énergie de ceux qui ont tout à gagner. David était « petit », mais il se souvient : « Ils ont hésité longtemps… Puis mon père a dit à Benoît ‘Si on ne le fait pas maintenant, on ne le fera jamais. » Alors ils ont foncé.
Pour David, comme pour les autres Landron, le choix du métier est donc d’abord passé par la terre, et pas n’importe laquelle, celle du Muscadet. Son climat ingrat, son cépage unique au monde et son léger complexe d’infériorité.
Un homme pas très pressé
En grandissant entouré de vignerons, David a aussi eu tout le loisir d’observer toutes les joies et les peines du chef d’entreprise. Embaucher, développer, payer, établir des stratégies, vendre, investir… C’est tout ça, aussi, être vigneron. David a tout appris dans le Muscadet, vignoble en crise structurelle depuis trente ans. Ne lui dites pas que le métier est difficile : il sait.
Mais voilà : « Je veux être le patron », explique-t-il. Pour David, ce statut rime avec «liberté». En gros : surtout ne rendre de compte à personne. Travailler dur et beaucoup ne l’effraie pas. «Tu bosses pendant 15 ans pour rien, expose-t-il. Eventuellement, tu peux mourir très riche, mais quel est l’intérêt ? »
Forcément, avec cette envie d’autonomie, travailler avec son père et son frère, selon la tradition, n’est pas envisageable. « Je comprends très bien ce qu’ils font. Mais moi, je veux faire mon vin. »
Car après la terre, il y eut le vin.
La découverte du vin
L’histoire familiale ne raconte pas à quel âge le petit David a goûté ses premiers fonds de verre. Mais à les entendre, les repas de famille ressemblent assez à ces images d’Epinal de vendanges éternelles : grandes tablées chargées de victuailles, bouteilles que l’on débouche en riant, verbe haut et palais affûtés. « On goûte les vins des autres, aussi », promet David. Et on le croit volontiers. (Mais on pense très fort à tous ceux qui n’auront jamais la chance de vivre un banal repas de famille arrosé de toute la palette des vins Landron).
Le premier « vin naturel » de David, c’était au salon Vinicircus. Pour ceux qui ne connaissent pas, c’est une énorme dinguerie bretonne avec 70 vignerons « nature », des spectacles, un grand dîner, le tout sous un chapiteau de cirque, dans un tout petit village de la campagne rennaise. Bref, David y est allé « poussé par Jo et Manu. Et là, pas de chance, le premier vin que je goûte, c’était vinaigre. » Ça arrive.
L’histoire aurait pu s’arrêter là, c’est ce qui arrive souvent, d’ailleurs. Mais après cette piquante première expérience, David a découvert autre chose… « Un jour, je me suis retrouvé tout seul dans une dégustation, avec une bande d’Alsaciens et de Jurassiens. » Des gaillards comme Christian Binner ou Bruno Schueller, qui l’ont rapidement pris sous leur aile. « Et il y avait aussi un tout petit monsieur. C’était Pierre Overnoy. » Ce jour-là, David a goûté du vin et bu des paroles. « J’ai encore sa bouteille chez moi, dans ma cuisine. » C’est une histoire que j’entends souvent, cette espèce d’appel de la vigne entendu dans un verre de vin, et ce vin-là reste à tout jamais spécial pour le nouveau vigneron. De toute évidence, le rôle de ces « aînés », qui deviennent mentors, sources d’inspirations, guides, maîtres Yoda, est gigantesque. La transmission, sous toutes ses formes, est au cœur de ce métier, et je trouve ça très beau.
Jus de sulfite
Bon, en attendant, David le sait très bien : son lien à la terre est instinctif, mais côté « palais » et dégustation, ses marges d’exploration sont énormes. « Dans ma bande de copains, c’est plutôt bière et Cuisse de la bergère, un jus de sulfite rosé à 12°. C’est imbuvable. Une de mes amies ne buvait que ça, alors je lui ai fait goûter autre chose. Elle m’a dit ‘Je n’ai pas le palais’. Mais d’autres ont suivi… Petit à petit, ils commencent à aller acheter des vins plutôt bio, plutôt du coin. Ils comprennent que ça aussi, ça colle avec notre idée de vivre mieux. » Et ainsi débarque une nouvelle génération de consommateurs.
On en est là. David veut devenir vigneron. Travailler la terre du Muscadet. Etre son propre patron. Produire du vin naturel. Il n’a ni vigne, ni argent, ni expérience. « Quand j’ai dit ça à mon père, il m’a dit ‘OK. Tu sais que tu peux tout perdre en une journée ?’ – Oui. ‘ Et que tu vas en chier toute ta vie ?’ – Oui. ‘ Alors c’est bon, tu peux y aller.’ »
Julie