Toscane : les vins oubliés du bord de mer

La Toscane fait partie de ces destinations magiques : il suffit d’en prononcer le nom et vous visualisez aussitôt une route de campagne au soleil couchant, bordée de cyprès, jalonnée de villages perchés sur des coteaux verdoyants qui vous conduit à Florence, Pise, Sienne, San Gimignano. Des sites qui s’imposent à notre imaginaire.

comme à Venise

Mais des clichés dont on revient au contact de ces millions de surtouristes à peine débarqués d’un quelconque Wonder of the Seas au port de Livourne et qui s’abattent sur ces sites historiques comme des nuées de criquets oubliant dans leurs sillages leurs boites à pizza et leurs cornets de glace.

Passé ce mouvement d’humeur qui m’a fait m’interroger l’espace d’un instant : suis-je vraiment en Italie ou à Disneyland ? S’agit-il d’une vraie Piazza del Popolo, d’un vrai Duomo, d’un vrai Ponte Vecchio ou de fidèles reproductions ? Le temps semble s’être arrêté pour ces monuments pétrifiés d’horreur face à leur surfréquentation mais pour le plus grand bonheur des amateurs de selfies et des vendeurs de souvenirs.

Venise et ses 33 millions de visiteurs annuels n’est pas l’exception. La Toscane est aussi une destination qui s’embolise ! Et voila un truisme dur à avaler : la Toscane d’aujourd’hui n’est plus celle de mon enfance, découverte dans les années 60 et revisitée maintes fois à travers les regards d’Ettore Scola, de Luchino Visconti ou des frères Taviani.

Evitons donc à tout jamais ces destinations mainstream, oublions au passage -osons le dire- ces circuits œnotouristiques si bien marketés dans le Chianti Classico avec leurs parkings à autocars et réfugions-nous sur cette riviera connue des seuls Italiens : la Côte des Étrusques. Une région côtière qui doit son nom à la présence de la civilisation étrusque au début du 9ème siècle av. J.-C. (bien avant les Romains).

une côte (encore) préservée

Je situe : nous sommes sur la côte méditerranéenne de l’Italie, au nord-est de la Corse. La Côte des Étrusques s’étend sur un long littoral étroit de Livourne à Piombino.

Pour s’y rendre, mieux vaut quitter la route nationale SS1 et emprunter la Via Aurelia (SP39) qui reliait jadis Rome à l’Hispanie, l’une des plus anciennes voies romaines.

Attenzione ! Ce n’est pas une région désertique, loin s’en faut. Les Italiens qui la fréquentent ont le verbe haut, la portière qui claque et les chiens qui aboient car à défaut de faire des enfants, les Italiens préfèrent avoir des chiens : 6,5 chiens pour 10 habitants

Ecco a voi Voilà, c’est parti : vous êtes au coeur de l’Italie dans une Toscane que vous n’imaginiez pas !

Un jardin d’Éden

Une mosaïque de paysages, collines, plateaux rocheux, crêtes volcaniques, étendues marécageuses, des sols en graviers rouges, des terroirs de calcaire, d’argile et de graves sableuses.

Et là s’épanouissent des oliveraies, des forêts de châtaigniers ainsi qu’un maquis méditerranéen que seules arrêtent des plages de sable fin pas toujours accessibles. Et bien sûr, des vignes !

Et pas n’importe lesquelles : les vignes des Super Toscans qui ont su incarner un certain renouveau viticole italien.

Super Toscans : les rebelles

Pour comprendre ce qui a pu conduire quelques vignerons dans les années 70 à sortir du cadre rigide des appellations d’origine italiennes – la DOP, il faut rappeler le contexte : en Toscane le cahier des charges imposait l’utilisation majoritaire du cépage autochtone sangiovese défendue notamment par les domaines de Chianti.

Rappelons qu’à cette époque le mot Chianti se résumait à une fiasque entourée de paille remplie d’un vin jeune, perlant, acide, présent sur toutes les tables des pizzerias du monde. Et aucune bonne surprise à en attendre !

Ces jeunes vignerons préfèrent s’affranchir des règles de la DOP, planter sur ce terroir toscan des cépages internationaux venus de France comme  le cabernet sauvignon, le merlot, la syrah ou le cabernet franc. Quitte à les assembler avec du sangiovese et vendre leur production en catégorie Vino da Tavola (l’équivalent de notre Vin de France).

ouvrir la route

En cela ils suivent l’exemple de Mario Incisa della Rocchetta, aristocrate et éleveur de chevaux et surtout grand amateur de vins français qui, dans les années 40, avait importé des plants de cabernet sauvignon et de cabernet franc provenant du vignoble de Château Lafite. Il les avait alors utilisés dans sa propriété de San Guido, sur la commune de Castagneto Carducci. Deux ans plus tard, il vinifiait son premier Sassicaia. Un vin d’abord produit pour un usage familial. Qui ne sera commercialisé qu’à partir de 1971.

Une audace qui finit par attirer la curiosité des jeunes vignerons voisins. Malheureusement leurs vins atypiques ne rencontrent pas leur public sur le marché italien. Ils décident alors de lancer leur production sur le marché international, où là elle rencontre un franc succès.

Car ces vins, par leurs assemblages et leur élevage en barriques de chêne français, finalement assez proches des grands Bordeaux, ne manquent pas d’attirer l’attention de Robert Parker qui leur apportera la mise en lumière qu’ils méritaient !

de la dégustation à la spéculation

Depuis de nouvelles appellations se sont créées pour accueillir ces vignerons et leur savoir-faire en assemblage si particulier : Montescudaio en 1977, Val di Cornia en 1989, Bolgheri en 1994, Terratico di Bibbona en 2006, Suvereto en 2011, Bolgheri Sassicaia en 2013…

Alors où trouver ces domaines des Super Toscans sur la Côte des Étrusques ? Pas facile de les repérer autrement que par leur prix car la mention « Super Toscan » ne figure pas dessus.

Sur la route de Campiglia Marittima, voici  Tua Rita et son pur merlot Redigaffi  qui doit son nom à un petit ruisseau qui coule à proximité de la propriété. C’est le premier vin italien à obtenir le 100/100 de Robert Parker. Comptez 232 € pour le millésime 2020.

En direction de Sienne , à Castelnuovo Berardenga,le resort San Felice appartient maintenant au Groupe Allianz. Outre la production de vin et d’huile d’olive, il abrite un hôtel qui fait partie de la chaîne Relais & Châteaux. Sur les 179 ha de vignes du domaine, 6ha sont en appellation Bolgheri. Vigorello est un assemblage de merlot, cabernet sauvignon, petit verdot, pugnitello. Prévoir autour de 42€ une bouteille de 2018

En route pour Voltera,  à Riparbella -un petit village médiéval qui se dresse sur une colline de la côte toscane. Voici Caiarossa, 16 ha en biodynamie depuis 2003. Le domaine appartient à  la famille batave Albada Jelgersma, propriétaire aussi du Grand Cru Classé Château Giscours.  Le vin éponyme Caiarossa -en catégorie IGT- est un assemblage de merlot, cabernet franc, cabernet sauvignon, syrah, sangiovese, petit verdot et alicante. Autour de 65€ le millésime 2019

A Castagneto Carducci, au cœur de la DOC Bolgheri, Ca’Marcanda, est un domaine viticole de la famille Gaja, une figure emblématique du vignoble italien et des vins piémontais. Les vignes sont implantées sur un sol blanc riche en calcaires, argiles et pierres. . Pour une bouteille de Camarcanda 2007 50% de merlot, de 40% de cabernet sauvignon et de 10% de cabernet franc, comptez 180€ l’unité.

On ne va pas tous les citer mais il faut évoquer aussi Ornellaia e Masseto de la famille Frescobaldi un des plus importants propriétaires de domaines italiens dont le vin Ornellaia (220€ la bouteille de 2020), la famille Antinori (26 générations dans le vin !) qui produit le Tignanello en IGT (160€ le millesime 2020), et bien sûr la Tenuta San Guido dont le Sassicaia (400€ la bouteille de 2020)déjà cité a lancé le mouvement. J’en oublie sûrement d’autres bien moins connus. Je leur présente mes excuses !

La plupart de ces vins sont sortis du champ de la dégustation pour rentrer dans celui de la spéculation : ils font le bonheur des commissaires priseurs !

le vigneron français de Toscane : une déception

Voila qui aurait dû m'alerter : quand on n'a pas de réponse à un mail, on n'insiste pas et et quand un domaine s'appelle Fuori Mondo (littéralement "en dehors du monde") qu'il ne souhaite pas afficher son téléphone,  c'est qu'il veut vraiment être loin de tout. Pourtant, je me lance, attiré par cette phrase du vigneron qui figure sur son très beau site : C’est le choix d’Olivier de vous faire partager le fruit de ses intuitions, ses expériences ou encore ses heureux accidents...

Depuis Campiglia Marittima une demi-heure de route -que dis-je- de pistes ravinées, de sentiers muletiers, d'ornières à 2 à l'heure avec ma berline surbaissée dans les Colline Metallifere du massif des Apennins toscans.

Je croise un éleveur de chevaux pas vraiment engageant. Que vient faire un Français par  ici ? Depuis France Italie-2006, je crois qu'il reste un problème entre nous. Une ambiance à la façon du thriller As Bestas et je me sens dans la peau de Denis Ménochet, la carrure en moins.

Tout ça pour tenter de rencontrer Olivier Paul-Morandini, ancien lobbyiste à Bruxelles, devenu vigneron en biodynamie et dont on m'avait dit le meilleur de son vin le Fuori Marmo.

Le cadre est magique, à couper le souffle pourrait-on lire dans les pages Voyages d'un magazine people. Mais pas de signalétique en chemin, pas d'enseigne à l'entrée du domaine, pas de nom sur la boite à lettres. Waze est pourtant formel : je suis bien arrivé à destination.

Portail grand ouvert sur le domaine, pas de sonnette non plus et pas âme qui vive à l'horizon, j'ose quand même entrer. Il est 16h30. En Italie ce n'est plus l'heure de la sieste. Les chiens sont dans un enclos, parfait. Mais ils n'aboient même pas pour donner l'alerte. J'appelle, je frappe aux portes, je retourne à ma voiture pour klaxonner, pas de réponse.

Je dois m'y résoudre, Fuori Mondo appartient à un autre univers.

Au delà de cette expérience ratée, je fais un constat : il est difficile voire impossible d'approcher simplement un vigneron italien. Ce qu'il est encore possible de faire en France. L'organisation quasi généralisée et souvent très professionnelle des domaines autour de l'agriturismo et les multiples activités comme l'hébergement, la restauration, souvent la polyculture, font de ces exploitations des entreprises familiales dans lesquelles le vigneron n'est qu'un rouage.  

et le terroir dans tout ça ?

Mais pour clore le sujet, l’histoire des Super Toscans questionne : la typicité du terroir local n’en aurait-elle pas pris un coup au passage ? En quoi ces Bordeaux de Toscane élaborés avec des cépages dits internationaux et le concours d’œnologues bordelais peuvent-ils revendiquer un statut régional ?

Alors si vous n’avez pas forcément l’envie ou les moyens de vous offrir une dégustation chez ces Super Toscans et que votre plaisir se révèle dans la simplicité, vous pourrez toujours déguster d’excellents vins de Toscane plus humbles et tout à fait authentiques dans une des nombreuses œnotece qui foisonnent en ville ou, plus pittoresque encore, au marché central de Libourne construit sur le modèle des anciennes Halles parisiennes : la Cantina Frascati ou encore Alle Vetto Vaglie

J’y ai apprécié ce verre de Vernaccia de la Tenuta Le Calcinaie avec une marinade d’anchois et un panino au poulpe ou encore ce Matis de la Cerreta Terme, un vermentino de Toscane en biodynamie accompagné d’un Pecorino de Pienza et d’une cuiller de miel.

Les restaurants locaux sont aussi une autre bonne façon de s’offrir une dégustation de vins locaux connus des professionnels. A noter qu’en dehors des circuits touristiques, les restaurateurs toscans ne pratiquent pas sur le vin le coefficient « x fois 4 » ou « x fois 5 » des établissements français. Les prix des bouteilles restent raisonnables. Un exemple à suivre !

François

Ecrit par Francois SAIAS
--------------------------------------------------------------- Scénariste, réalisateur, documentariste pendant de nombreuses années, François a gardé la curiosité de son premier métier et s'est investi depuis dans le monde du vin, ses rouages, son organisation, ses modes de fonctionnement.
Catégories : Italie , oenotourisme

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