Prosecco quel culot !

Cet article a été publié une première fois le 18 novembre 2022.

Le prosecco a été longtemps un cépage, présent en Vénétie et dans le Frioul sous différents noms. Pour la faire courte, le cépage prosecco ne pouvait être protégé en tant qu’appellation puisqu’un cépage peut être présent un peu n’importe où. C’est la nature qui décide ! On produit du prosecco jusqu’au Brésil et en Australie !

un tour de bonneteau ?

Changement de régime en 2009, le cépage prosecco prend le nom de glera. Ce qui permet alors au gouvernement italien de protéger le prosecco non plus en temps que cépage mais en temps qu’appellation, une DOC en Italie.

Et pour répondre à une demande de plus en plus croissante, la zone de production est étendue aux deux régions Vénétie et Frioul-Vénétie Julienne.

Elle est aujourd’hui protégée par deux appellations : Prosecco Doc et Prosecco Superiore Docg sur les collines de Conegliano, Valdobbiadene et Asolo.

Protection effective en Europe mais toute relative dans le reste du monde car elle est considérée comme contraire aux accords de l’OMC. Les producteurs australiens peuvent tranquillement continuer à produire et à vendre du prosecco en dehors du marché européen.

Bref, la demande explose : on passe de 100 millions de bouteilles en 2008 à plus de 700 millions en 2021 !

La légende du prosecco

Elle remonterait au 2e siècle avant J-C. Les romains produisent le pucino, un vin issu du cépage gléra dans la région de Trieste au Nord-Est de l’Italie. Un vin tranquille.

Le nom du prosecco serait arrivé bien plus tard lorsqu’au 16e siècle on a cherché à différencier le vin local de Trieste des vins voisins. Le prosecco tiendrait son nom du château de Moncolano devenu Torre di Prosecco à Trieste ( dans le Frioul et donc pas en Vénétie) au pied duquel poussaient des vignes de glera.

Puis c’est au 19e siècle qu’apparaissent les bulles grâce à la méthode Charmat (deuxième fermentation en cuve et non en bouteille comme les crémants et le champagne). Depuis ce vin n’a plus changé de nom.

Ce cépage prolixe qui pousse sur des pentes fertiles – et fertilisées – peut facilement produire 5 kg de raisin par pied vs 2 kg maxi en Champagne.

Les Vénitiens sont les premiers à dénoncer cette production aux racines soit disant locales :  le journaliste vénète Davide Maria de Luca dans le quotidien Domani relayé par Courrier International s’insurge contre ce néomythe de la gastronomie transalpine. Il affirme que ce vin pétillant ne fait pas partie de la tradition locale, que c’est un produit industriel qui ne mérite pas sa renommée : En réalité il est grand temps de tordre le cou au lien fallacieux établi entre un vin en grande partie industriel et médiocre et une supposée mythique « tradition » de la Vénétie. La « tradition » du prosecco est plutôt un cas d’école de « l’invention d’une tradition »…

Mais enraciner le prosecco sur les hauteurs de Venise n’est-ce pas plus glamour que les rives du port de Trieste ?

une industrie à ciel ouvert ?

Un autre journaliste,Giuseppe Pietrobelli, écrivait dans GéoLe prosecco est accusé d’avoir bouleversé le territoire, défiguré les collines, détruit les prairies et les arbustes… » Cela faisait tout juste une semaine que lesdites collines de Conegliano et Valdobbiadene étaient classées au patrimoine mondial de l’Unesco, autre coup de génie de l’appellation.

Et Davide Maria de Luca de renchérir : « les collines vertes de Valdobbiadene ne sont [pas] un paradis de vignobles onduleux et de villages pittoresques. C’est un paysage de monoculture industrielle où chaque lopin de terre est couvert à perte de vue de rangs de vignes parfaitement identiques…

Pour l’avocate Alessandra Cadalt qui représente les associations de défense de l’environnement et citée dans Courrier International“La province de Trévise [en Vénétie] consomme en moyenne 12 kilos de pesticides par hectare, contre une moyenne nationale de 5 kilos, écrit l’avocate. Dans toutes les zones de viticulture, entre le mois d’avril et les mois d’août-septembre, la population est prise en otage : elle doit rester séquestrée chez elle. Les gens ne peuvent pas utiliser leur jardin, étendre leur linge dehors, prendre le soleil…” 

 

Prosecco smile

La polémique ne se limite pas aux effets sur l’environnement, elle porte aussi sur des problèmes de santé publique révélés chez les plus gros consommateurs de prosecco (un tiers de la production mondiale) : les Britanniques. L’affaire est dénoncée par le Daily Mail et le Guardian.

C’est l’acidité du prosecco qui est pointée par les experts et qui attaquerait les dents. Le CO2 des bulles n’arrange rien. Contrairement au champagne, le prosecco est très sucré : près d’une cuillère à soupe de sucre par flûte ! Sans parler de l’alcool. « Une triple malédiction », estime le Professeur Damien Walmsley, conseiller scientifique de l’Association de dentisterie britannique. Les Britanniques lui ont donné un nom : le prosecco smile

En plein Brexit le prosecco devient une affaire d’état et les relations se tendent entre Britanniques et Italiens. Qui en contrepartie de maintien du prosecco sur le marché britannique pourraient offrir à la Grande-Bretagne un accès privilégié au marché européen…

touche pas à mon prosecco

Les Anglais ne sont pas les seuls à entamer un bras de fer avec la Botte : parlons aussi du mauvais traitement qu’elle inflige à son petit voisin la Croatie. Il s’agit de l’affaire du proseck, du nom d’un vin doux croate de longue tradition que le pays souhaite voir bénéficier d’une AOP en Brač Dalmatie. La Commission européenne, l’autorité habilitée à délivrer les appellations d’origine viticoles est bien embarrassée car les Italiens font un forcing d’enfer pour l’interdire. C’est devenu un combat européen : prosecco italien versus proseck croate.

Précisons que ces vins sont complétement différents : le proseck est un vin liquoreux existant en blanc et en rouge, produit à partir de raisins passerillés (cépages plavac mali et posip) selon une tradition qui remonte à l’Empereur romain Dioclétien. Un vin de dessert très prisé des connaisseurs, rare (30 000 demi-bouteilles par an), cher (40 à 50 euros le flacon) et quasiment introuvable en France. Vous y voyez une quelconque ressemblance avec le prosecco ?

L’argumentation du ministre de l’agriculture italien est confondante de mauvaise foi : L’objectif de notre initiative est de protéger le consommateur. Lorsque le consommateur se trouve devant le prosecco et le prošek, il peut être un peu perdu… et il y a beaucoup d’Italiens qui croient que prošek est la traduction anglaise de prosecco ». MDR !

Australie, Grande Bretagne, Croatie attention ! Toucher au Prosecco est aussi brûlant que s’en prendre à la Squadra Azzura !

François

 

Image à la Une : © Getyourguide.fr

Ecrit par Francois SAIAS
--------------------------------------------------------------- Scénariste, réalisateur, documentariste pendant de nombreuses années, François a gardé la curiosité de son premier métier et s'est investi depuis dans le monde du vin, ses rouages, son organisation, ses modes de fonctionnement.
Catégories : Italie , oenotourisme

2 commentaires

  1. Tagliaferro dit :

    Je bois un Prosecco excellent, il est de San Pietro Di Arbozza sur les hauteurs de Valdobbiadenne
    San pietro di barbozza fait partie des 3 communes ou il se fait les meilleurs Prosecco d’Italie.
    Le producteur, Matteo Varaschin e figli produits une gamme diverses, pour ma part je trouve le Brunoro excellent.

    1. Francois SAIAS dit :

      Merci pour votre commentaire : les proseccos de Valdobbiadenne font partie des meilleurs, vous avez raison de le souligner. D’ailleurs dans notre dernier article
      « cremant, prosecco, champagne : chacun-sa-bulle »nous y faisons référence

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