Il n’y a pas si longtemps Génération Vignerons évoquait les nombreuses embuches auxquelles étaient exposés les vignerons. Qui peuvent se conclure par une issue favorable comme, nous l’avons rapporté il y a une quinzaine, ce fut le cas du domaine Arica sur l’Ile de Ré. Mais pas toujours…
bordelais et conviviaux
On les avait croisés pendant des années sur les salons des Vignerons Indépendants à Paris, Reims, Lille : Céline et Alain Vidal du Château Dubraud en Appellation Blaye. Une gamme de 11 vins, des blancs, des rouges et des clairets, des vins fins, subtils élégants bien à l’image de ce couple souriant et chaleureux.
On se bousculait pour goûter leur nouveau Château Dubraud sans sulfite ou leur Clairet, ce vin typiquement bordelais, aux arômes de fruits rouges croquants et que peu de domaines proposent aujourd’hui.
Un avenir tout tracé
Arrivés sur le domaine en 1998 alors que Céline avait fait sienne la commercialisation de la gamme allant -en période de Covid- jusqu’à livrer chacun de ses clients aux manettes de sa Renault Zoé, Alain, lui n’avait de cesse de développer la qualité de ses vins d’année en année.
A telle enseigne qu’en 2016 il n’avait pas hésité à organiser une verticale de son Grand vin sous l’égide de Philippe Faure-Brac dans les caves du Bistrot du Sommelier à Paris. Un intense moment de découverte qui restera gravé dans ma mémoire ainsi que celle des amis qui m’avaient accompagnés.
L’avenir paraissait tout tracé pour ce domaine engagé très tôt dans la transition écologique : Alain soignait ses vignes dans le respect de l’environnement : couverts végétaux, engrais verts, arrêt des labours…A Saint Christoly de Blaye en plein Bordelais, l’agroforesterie y avait trouvé sa place bien avant l’heure ! Et Génération Vignerons y était allé voir de plus près.
Bien sûr les Vidal nous avaient fait part de leurs difficultés, climatiques essentiellement. Mais à chaque fois ils arrivaient à trouver des solutions comme pallier le manque de raisin lors des pertes de production. Le crowdfounding leur permettant aussi d’engager un projet de plantations de 1000 arbres au milieu des vignes, faisant ainsi du Château Dubraud une sorte de laboratoire pour les autres vignerons de l’appellation.
retournement de situation
Pourtant, il aura suffi de seulement quatre années de gel et de grêle pour venir à bout de la confiance de leurs investisseurs. Alain Vidal : en 2022 les actionnaires ont décidé d’arrêter l’activité du groupe au prétexte qu’il y avait eu quatre incidents climatiques majeurs… L’année précisément où le domaine s’ouvrait à l’export vers la Chine et le Japon…
Les difficultés n’étaient pas nouvelles et une augmentation de capital avait même été votée l’année précédente, mais non suivie d’effet. Devant les tergiversations des 48 actionnaires, l’administrateur s’est mis en tête de liquider…On a eu le temps de vendanger les blancs mais la liquidation est intervenue avant la vendange des rouges…
Aujourd’hui les vignes du Château Dubraud ont rejoint les milliers d’hectares de vignes en friche dans le Bordelais.
Un gros malentendu
Quelle leçon en tirer ? J’ai péché sur la maîtrise du capital reconnait Alain Vidal. Il pointe une incompréhension autour de la notion de temps long qu’il appelle, lui, un placement en fond de portefeuille. Cette notion est très délicate, elle est variable d’une activité à l’autre. Pour mes actionnaires, c’était 10, 15 ans. Or en viticulture ce qui est difficile c’est le premier siècle ! Le deuxième va mieux : regardez dans le Bordelais, les domaines qui marchent…
Alain Vidal reconnait aussi qu’il n’avait pas réussi à fédérer tous ses actionnaires autour de son projet d’agroécologie qu’il s’est senti bien seul à porter. Pour eux c’était sans doute une perte de surface exploitable, de temps et d’argent…
Rebondir…
Mais les Vidal ne sont pas du genre à baisser les bras. Céline, qui avait eu l’intuition depuis plusieurs mois qu’un point de non-retour allait être franchi, s’était préparée à retourner à son ancien métier. Elle a ouvert un cabinet de psychogénéalogie. Quant à Alain, fort de sa formation d’ingénieur agronome, d’œnologue et de son expérience d’agroécologie dans le vignoble, il vient de créer Apex Evolution, un cabinet de conseil en permaculture et agroécologie avec lequel il est très présent sur Linkedin. Mais je continue de me former avec l’association la Belle Vigne sur le thème Arbres et Civilisation.
Et puis il y a cette rencontre avec Alain Malard, qualifié par Terre de Vins comme l’un des plus grands spécialistes de l’agroécologie dans le secteur viticole, auteur d’un ouvrage de référence Vignes, vins et permaculture (éditions France Agricole).
Alain Vidal est visiblement sous le charme car il partage les idées du spécialiste et trouve l’écho aux pratiques qu’il avait mises en place sur son domaine : L’agroécologie demande de la réflexion, ce n’est pas simple, mais le paradoxe c’est qu’à la fin, les solutions qui sont mises en places sont très simples, à la portée de tout le monde !
Alors Alain Vidal, donnez nous un exemple !
L’eau précieuse
Prenons l’hydrologie régénérative : le principe c’est d’essayer de conserver 80% de l’eau qui tombe sur une parcelle, la conserver DANS la parcelle. C’est aussi simple que ça !
Alors comment fait-on ? Comme les anciens, si c’est trop pentu on fait des terrasses et ensuite des noues, c’est à dire des fossés ouverts selon les courbes de niveaux de manière à ce qu’avec une très légère pente, l’eau puisse rester le plus longtemps possible et qu’elle s’infiltre lentement dans la terre. Et Alain de citer le domaine viticole des Quarres à Rablay sur Layon organisé sur ces principes et exploité en permaculture avec 28 restanques et 3 noues pour mieux gérer l’eau.
Concrètement ? Avec Alain Malard on travaille ensemble sur un projet d’ampleur dont 50 hectares de noyers : on a tracé avec Alain les keylines, les noues selon les courbes de niveau…Le dessin est très important, il concrétise une proposition d’aménagement. Après on va suivre les plantations, la culture…
En agroécologie il faut produire le minimum d’efforts pour obtenir le maximum de résultats ! C’est l’échelle de Yeomans !
Bien sûr, l’objectif d’Alain c’est de développer son activité auprès des domaines viticoles, car pour lui les pratiques vertueuses valorisent la qualité des vins : Dans des sols en agroécologie on est à 5% de matière organique alors que dans un sol conventionnel on n’est qu’à 0,5%. On n’y fait pas le même vin !
Avec quelles conséquences ? Avec la hausse des températures, le sucre monte, les vins sont trop alcoolisés, manquent de fraicheur, ça vient du manque d’acide…Or les vignes en agroécologie donnent des vins plus acides : l’acidité c’est le facteur de conservation du vin…
On l’aura compris, le bel enthousiasme d’Alain Vidal n’est pas entamé dès lors qu’il s’agit de mettre en pratique les grands principes de l’agroécologie. Et redevenir un jour vigneron ? Ah si on me donne un petit hectare pourquoi pas…
François