Quand le vin français met les voiles

Quelques milliers de bouteilles de vin ont été débarquées d’un cargo voilier à New York (Brooklyn Marina) en fin d’année. Pas de contrebande, pas de trafic, non, simplement une énorme innovation dans le transport des marchandises que certains esprits chagrins qualifient d’énorme retour en arrière.

A l’heure où les émissions du fret maritime dépassent le milliard de tonnes de CO2, la navigation à voile retrouve des vertus oubliées et l’intérêt des investisseurs.

C’est l’histoire hors norme, hors format de Grain de Sail, une chocolaterie finistérienne fondée par Jacques et Olivier Barreau, il y a une dizaine d’années.

Jusqu’ici rien de décoiffant sauf que les frères jumeaux aux parcours poussés de managers énergéticiens partagent un même goût pour la mer et une même détestation pour le carbone. Ils ont imaginé le projet fou de « décarboner » le transport maritime.

25 JOURS POUR REJOINDRE MANHATTAN

Pour se faire, rien de mieux que de revenir aux cargos à voile, aussi appeler voiliers-cargos dont le bilan carbone est juste exceptionnel. Chocolaterie, atelier de torréfaction, négoce de vins, New York, tout cela n’est-il pas un peu confus ? Rien ne vaut une vidéo pour apporter un peu de lumière

 

Vous voyez comment l’équipe de Grain de Sail réinvente une sorte de « commerce triangulaire » de sinistre mémoire. Le cargo à voile GDS1, 25m de long, 50 tonnes de charge piloté par trois marins quitte la Bretagne deux fois l’an avec une cargaison de vins. Le bateau arrive à Manhattan 25 jours plus tard et là, on décharge les vins qui méritent bien un petit repos. Puis l’équipage et les amis créent une dégustation festive avec des sommeliers et cavistes français installés là-bas. Merci à Pascaline Lepeltier pour le coup de pouce !

Le voilier-cargo repart pour la République Dominicaine pour un voyage humanitaire chargé de matériel sanitaire ; à qui ce matériel est-il destiné ? L’entreprise n’est pas très bavarde sur cette séquence. Sur place à Saint Domingue on charge les fèves de cacao et le cargo-voilier met le cap sur la Bretagne pour alimenter la chocolaterie de Morlaix. Un cargo à voile ne doit jamais naviguer à vide.

On retrouve là l’ingéniosité du commerce du vin de l’époque, entre les îles des Canaries ou Madère et Southampton décrit par l’historien Hugh Johnson dans « Une histoire mondiale du vin ».

MATT, LE CORSAIRE DU VIN

On vous engage ! dit le boss Olivier Barreau à Matthieu Riou, un jeune finistérien fraîchement diplômé de la Rennes School of Business, doté d’une petite expérience en Wine & Spirit et surtout d’une force de conviction irrésistible.

Vous vous rendez compte, être investi à 25 ans de la mission de vendre des vins français à New York tout en sauvant la planète !

Aujourd’hui Matt, US W&S Director, accompagne des milliers de bouteilles bio à la conquête de la Grosse Pomme, lance des cuvées Grain de Sail Wines, s’occupe des formalités et allume l’ambiance dès que le voilier-cargo pointe son nez à New York. Le premier contrat est tombé un peu tout seul quand les champagnes Heidsieck ont voulu commémorer les 200 ans du père fondateur.

Comme eux (les frères Barreau), Charles-Camille Heidsieck était un entrepreneur et un aventurier qui a réalisé quatre traversées de l’Atlantique entre 1852 et 1862 et, comme eux, nous faisons l’éloge de la lenteur, nos vins vieillissent de 5 à 20 ans dans des crayères millénaires, déclare le patron de la Maison champenoise au Journal du Dimanche.

L’affaire ne présentait pas beaucoup de risque puisque la cargaison de 1 440 bouteilles de la cuvée Charlie était déjà écoulée auprès des cavistes à raison de 600 dollars l’unité.

Une hirondelle ne fait pas le printemps alors Matt a dû s’engager à fond sur les routes des vins, faire la tournée des salons et cogner aux meilleures portes pour convaincre les artisans vignerons en bio, biodynamie ou nature de s’embarquer dans cette folle aventure.

LES VIGNERONS EMBARQUÉS

On y trouve de beaux domaines réputés dans leurs appellations. Isabelle Pangault (Sancerre), Denis Hebinger (Alsace) – connaissez-vous son vin orange Au-dessus des Nuages ? – J-F & Morgane Bistagne, domaine Maravilhas (Rhône), la famille Dietrich (Alsace), C-H Piconnet (Champagne, Côte des Bar) ou encore Antoine Arraou, du château Lafitte- l’autre !- en Jurançon. L’audace est certainement leur valeur vigneronne partagée, mais au-delà, il y a une éthique commune, un engagement fort dans l’agroécologie et la transition énergétique.

On trouve enfin Émeline Bergeron et Jérôme Dumanois, du domaine de la Fessardière en Pays nantais. Matt nous a sélectionné en muscadet ; le courant est très bien passé entre nous, me dit Émeline dont le domaine de 25 ha est certifié en bio. Très sensibilisée à la transition écologique, elle voit cette initiative comme un pas symbolique vers le grand basculement. La vigneronne qui n’oublie pas d’avoir les pieds sur terre, précise : l’entreprise agit comme un négoce à l’export. En 2021 ils nous ont commandé et payé 2 palettes (environ 1350 bouteilles) qui sont parties pour la traversée.

C’est Grain de Sail qui prend le risque de la commercialisation des vins une fois arrivés à New York. Nos deux cuvées bio en melon B l’Air du Temps et l’Air Innocent (2017) commencent à faire le buzz là-bas. Rien de surprenant quand on sait que les New Yorkais adorent les huîtres. Saviez-vous que les autorités ont lancé un programme visant à réintroduire un milliard d’huitres pour assainir les eaux de la baie ?

DES VINS BIEN SECOUÉS

Se pose quand même la question des conditions de transport : 25 jours en mer avec des creux de 2-3 mètres il y a des raisons de s’inquiéter pour la buvabilité des vins, d’autant que l’une des cuvées est vinifiée sans soufre. On avait fait des essais avant en mer du Nord sur un bateau de pêche, le vin s’est très bien comporté, précise Émeline qui se dit prête à repartir pour l’aventure.

Sa prochaine cargaison sera probablement transportée par GDS 2, un magnifique voilier de 52 mètres, avec une capacité fortement augmentée à 350 tonnes et un équipage d’une dizaine de personnes.

Il est en cours de construction aux chantiers Piriou, à Concarneau et devrait prendre la mer avant la fin de l’année 2023. Il resterait des places disponibles pour certaines AOP, mais on a cru comprendre que Matt était très sollicité.

Jean-Philippe

Ecrit par Jean-Philippe RAFFARD
--------------------------------------------------------------- Toujours volontaire pour une virée dans le vignoble du bout de la Loire, du bout de la France, du bout de l’Europe ou du bout du monde, là où il y a des vignerons, là où il y a du bon vin. Jean Philippe n’oublie pas sa vie antérieure en marketing-communication pour lever le voile sur le commerce du vin et l’ingéniosité des marchands.
Catégories : événements et salons

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