Pour amateurs éclairés

Aucune mention de Savennières (Maine&Loire) dans les annales de l’émission « Le village préféré des Français » à croire que Stéphane Bern ne serait jamais passé dans le coin. Faut-il y voir la preuve manifeste de l’adage « vivons heureux vivons cachés »? Clairement les édiles angevins ne se décarcassent pas pour faire venir massivement les touristes.

D’abord la configuration géographique de cette « petite cité de caractère » de 1500 habitants, aux rues étroites et anguleuses ne s’y prête guère, et puis la quête de la beauté relève d’une démarche personnelle et non d’une injonction marketing. C’est à chacun d’être touché ou non par le charme qui se cache dans les coins et recoins du village. Mais si vous posez la question à des amateurs de vin vous verrez combien est grande la renommée de Savennières, l’AOP.

ON REÇOIT LA BOURGOGNE

Ce début d’été, le petit monde viticole de Savennières recevait la Bourgogne, oui, celle du classement des Climats au Patrimoine mondial de l’Unesco voilà maintenant 10 ans.

Évidemment la commune avait mobilisé ses bénévoles et ses modestes moyens pour réserver le meilleur accueil à la délégation prestigieuse, placée sous le patronage de la Chaire UNESCO, l’Université Bourgogne Europe et l’OIV, Organisation internationale de la Vigne et du Vin. Même la pluie, si attendue par la vigne assoiffée était au rendez-vous.

Dans les propos de Cyrille Tota, le grand ordonnateur du CICO- on va y venir- il ressort que Savennières serait le cru de Loire le plus « bourguignon ». Ne dit-on pas que « le vin d’ici laisse le terroir et le vigneron s’exprimer ».

La comparaison va plus loin : les racines cisterciennes millénaires, les besoins pour le culte et les aristocrates, les « climats » appelés ici « coulées » font la singularité de ce lieu niché en Val de Loire lui-même inscrit au Patrimoine mondial.

UN TRÉSOR DE L’ANJOU VITICOLE

Avec des petits plus : comme le fleuve royal qui coule à ses pieds, ses schistes métamorphiques  et ce cépage – le chenin – multiforme, polyvalent et si populaire qu’on le porte ici à la boutonnière. Ce chenin unanimement acclamé qui bénéficie maintenant d’un Observatoire mondial.

Il ne manquait que la figure emblématique du lieu : Evelyne de Pontbriand, qui hélas nous a quittés il y a quelques mois. Nous étions dévastés, on a failli tout annuler, précise Cyrille Tota, qui a dédié cette 6ème édition du CICO à la grande Dame de Savennières. En réponse à son compliment, Joël Mahé, président de l’AOC et Virginie Joly, la fille de Nicolas, pionnier de la biodynamie nous documentent brièvement sur l’appellation ou plutôt ses trois AOP : Savennières, Coulée de Serrant et Roche aux Moines : 150 hectares de vigne en production, 100% chenin, 40 vignerons, dont les trois quarts en bio. Des vins de garde et de gastronomie et aussi des crus prestigieux encore sous-évalués comme ce Clos du Papillon que se partagent le domaine des Baumard et le domaine des Closel. Enfin ce joli mot de conclusion qui revient à Virginie : Le chenin a besoin d’être canalisé, comme l’enfant turbulent de la classe.

VOUS AVEZ DIT CICO ?

On y vient. L’association VITAE– Vins de Terroirs et Amateurs Éclairés- organisait les 6ème Journées Internationales des Amateurs Éclairés de Vin sur 2 jours. La deuxième journée était consacrée au Challenge International des Clubs Oenophiles (CICO)- là où nous sommes- auquel s’est raccrochée l’Étoffe des Terroirs, une association qui promeut un nouveau type de dégustation autour du « Toucher du Vin ». Quand on peut faire simple, pourquoi faire compliqué ?

C’est peut-être dans le caractère bourguignon… Enfin, saluons au passage les efforts déployés par les organisateurs, les ambassadeurs, les bénévoles, les vignerons de Savennières et l’équipe municipale. Tout fut nickel, de l’exposé des règles du jeu jusqu’à la remise des prix très généreux  en passant par le contrôle chronométré des épreuves. Plus encore, c’est la bienveillance et la convivialité, les deux mamelles du « vivre ensemble » qui fut la marque de cette journée inoubliable.

DE SOLIDES COMPÉTITEURS

Un challenge, un concours n’a de valeur que par la qualité de ses participants. Carton plein pour les sept brillantes équipes sélectionnées, composées chacune d’une petite dizaine de participants avec une touche internationale italo-espagnole. Je ne saurais trop remercier Jean-Rémi, Philippe, Marc et leurs collègues du club d’œnologie VIgnyfica pour m’avoir accueilli. La fine équipe des Yvelines est une habituée des concours de dégustation. J’ai cru comprendre qu’on retrouve régulièrement certains de ses membres sur les podiums des championnats de France RVF de dégustation à l’aveugle.

UN CHALLENGE PAS COMME LES AUTRES

On ne reviendra pas sur les règles du concours expliquées par Philippe de Cantenac, l’organisateur des Championnats du Monde de dégustation à l’aveugle lors de l’édition 2023 au château Sainte Roseline en Provence.

D’autant que le challenge CICO n’a qu’un lointain rapport avec les règles officielles, là réside son originalité. Le CICO fait travailler « la tête, la bouche et les jambes ».

Une centaine de questions autour de la viticulture, l’œnologie, l’histoire et la civilisation de la vigne et du vin furent soumises à la sagacité des équipes. Tu sais ou tu sais pas, surtout ne pas perdre de temps car le chronomètre tourne. Bien entendu, les portables étaient interdits même pour les photos.

Nous avons dégusté deux blancs servis simultanément, puis deux rouges pareillement. Il fallait retrouver la région, le ou les cépages, l’appellation, le millésime, le domaine, la cuvée.

Œil, nez, bouche, on crache et on recommence. Un mot parfois deux, prononcé à voix basse : fraîcheur, acidité, fruits blancs, larmes, agrumes, sucrosité… On se risque à citer une région, une AOC, ou plutôt on évacue des territoires : non, ce n’est pas le Sud. Et on tâtonne en ouvrant des pistes qu’on referme aussitôt. Plus que 30 secondes, les mots courent sur la fiche technique : vous avez cité quel domaine déjà ? Plus le temps, les copies sont relevées.

J’ai retenu une leçon de mon maître du jour Jean-Rémi Le Bouteiller : ne jamais spéculer sur les intentions (ou les stratégies) des organisateurs de concours. Bien sûr, c’est tentant et rassurant de se dire : ils vont bien nous coller un chenin, mais probablement pas un Savennières. A ce petit jeu, on est toujours perdant.

Ah ! qu’il fait bon parcourir sous la pluie les vignes de Savennières qui lèchent « à la bourguignonne » les dernières habitations du bourg. Les pentes schisteuses sont plutôt abruptes et glissantes mais il en fallait plus pour décourager la fine équipe Vignyfica à la recherche des indices gagnants d’un « jeu de piste » façon madeleine de Proust de notre enfance.

LES SENSATIONS TACTILES

Une dernière dégustation très spéciale nous fut proposée hors compétition. Il s’agissait d’une sorte d’initiation à la dégustation géo-sensorielle. Là, Génération Vignerons est en territoire connu avec notre collègue Audrey Delbarre responsable du DU Déguster les vins de terroir à l’Université de Strasbourg.

Habituellement on vous colle un masque et on vous fait siroter du jus de caillou, mais pas là. Vous avez en main huit petits morceaux d’étoffe de texture différente- soyeux, laineux, taffetas, rugueux, etc. Et vous dégustez tout en caressant les morceaux d’étoffe jusqu’à ce que vous établissiez un rapprochement, une concordance entre le toucher du vin en bouche et le toucher de l’étoffe.

Un peu rugueux ? Bien sûr c’est la marque des tanins ! Le kit textile Tastovino fabriqué en Bourgogne promet de belles soirées de dégustation entre amis, un peu comme Le Nez du Vin de Jean Lenoir, ou plutôt tout à l’opposé car le Nez du Vin apprend à reconnaître les arômes, alors que la géo-sensorielle bannit l’odorat.

QUI L’EMPORTE ?

Le suspense était évidemment à son comble lors de l’énoncé des résultats. Allons tout de suite à l’essentiel, c’est l’équipe les Bourguignols Club de Bourgogne qui l’emporta. Des habitués des podiums, ceux-là, déjà vainqueurs à Aÿ en Champagne lors des 5ème Journées du Challenge International des Clubs Oenophiles.

Bravo à Mathieu, Chloé, Vincent, Victor, Amicie, Florian, Alexandre et Edward, une bande de trentenaires passionnés, enthousiastes qui incarnent magnifiquement le savoir, la culture de la vigne et du vin, œuvre universelle de civilisation. Et pour reprendre les mots d’Aubert de Villaine : celle des vignerons, héritiers du passé, mais surtout bâtisseurs de l’avenir.

Jean Philippe

Image à la Une : crédit enpaysdeloire.com

Ecrit par Jean-Philippe RAFFARD
--------------------------------------------------------------- Toujours volontaire pour une virée dans le vignoble du bout de la Loire, du bout de la France, du bout de l’Europe ou du bout du monde, là où il y a des vignerons, là où il y a du bon vin. Jean Philippe n’oublie pas sa vie antérieure en marketing-communication pour lever le voile sur le commerce du vin et l’ingéniosité des marchands.
Catégories : événements et salons , France

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