Saviez-vous qu’avec un peu de pratique, on peut cerner la personnalité d’un vigneron à travers ses vins ? percer ses secrets les plus intimes ? Ca s’appelle la vino-psychologie (wine-psychology si vous préférez). In vino veritas en quelque sorte. C’est une nouvelle discipline. Je viens de l’inventer. Et je vais tenter de la mettre tout de suite en pratique avec Olivier Cazenave, un vigneron bordelais vraiment pas comme les autres dont la gamme des vins nous livre les différents traits du personnage. On y va ?
Rendez-vous à Arveyres tout près de Libourne au Château de Bel . L’endroit en plein été doit être très sympa avec ce belvédère de dégustation qui surplombe la Dordogne. On peut même parait-il y voir certains jours de mascaret, des surfeurs remonter la rivière.
Les vignes sont plantées tout autour dans des palus faits d’alluvions, de sable et d’argile. En 1830, il y en avait déjà.
L’accueil chaleureux du proprio (un léger accent du Sud-Ouest, ça vous met tout de suite à l’aise) nous fait vite oublier le vent d’hiver et la pluie glaçante qui balaye les vignes. Juste de quoi se rappeler qu’ici -comme dans l’ensemble du vignoble bordelais- les conditions climatiques ne sont pas forcément clémentes.
terrien mais cosmique
On est quel jour ? mardi 12 ? Yessss ! c’est jour fruit, c’est le meilleur jour pour la dégustation. Olivier Cazenave referme son app » Lune et Jardin » bien utile pour la culture en biodynamie. Déguster c’est aussi possible lors de l’apogée lunaire. Ou lors de la périgée.
Lorsque la lune s’interpose entre une planète et la terre. C’est indégustable. Un jour j’ai fait une dégust. sur 30 vins et curieusement aucun vin ne sortait. Je ne comprenais pas pourquoi. L’après-midi j’en avais une autre chez un caviste et sur la route j’ai vérifié mon calendrier : je me suis aperçu qu’on était un jour de noeud lunaire. On a reporté au lendemain. Depuis ce caviste m’appelle le noeud lunaire !
patient mais déterminé
Olivier est avec ses vins comme il est avec les gens : à l’écoute. Prenez Echappée Bel blanc, son entrée de gamme, 80% muscadelle, 20% sauvignon en AOC Bordeaux. Il lui laisse le temps de s’exprimer : les 2 premières années, elle est fermée, plastiquée, résineuse un peu, vraiment pas intéressante et elle s’épanouit avec le temps. C’est un cépage que j’adore mais qui a un défaut : c’est son manque de nervosité, justement je mets un peu de sauvignon traçant pour la rééquilibrer.
La muscadelle n’est pas intéressante chaque année mais quand elle l’est, c’est top ! Cette année c’était une cata, on verra bien l’année prochaine. Ici, à Château de Bel, pas de stress inutile.
Et que pense-t-il des autres Bordeaux blancs ? Oui, ils sont à dominante sauvignon, c’est sympa ça fait des vins aromatiques légers, mais moi je n’aime pas trop ces blancs aqueux ; je suis un fan de chenin, de riesling…
Culotté même dans les barriques
Alors on l’aura compris, entre Olivier Cazenave et la muscadelle, il y a une longue histoire qui donnera naissance au Bel en Blanc. Un vin de cépage élevé trente mois en barriques de 500 litres comme un vin de millesime d’une belle appellation.
L’idée c’était de construire le vin avec des barriques en chauffe blanche. Elles ont juste été cintrées. Je voulais apporter le côté sèveux du bois qu’on ne veut pas sur les rouges. Et bien moi je le voulais sur Bel en Blanc pour lui redonner un peu d’équilibre, de tension en bouche. C’est un vin qui cartonne en gastronomie !
Pas de fausse modestie non plus : Bel en Blanc est à la carte de l’Arpège, de Taillevent, de Ducasse, du Plaza Athénée et bientôt de la Tour d’Argent. Les sommeliers savent que ce vin va résoudre pleins de problèmes d’accords qu’ils rencontrent avec leur chef quand ils créent des choses un peu « fusion » notamment avec des citronnelles, gingembre et autres…C’est très compliqué à marier et là Bel en Blanc va bien.
Et Olivier qui n’est pas avare d’anecdotes d’ajouter : Gérard Margeon le chef sommelier du groupe Ducasse est fan de ce vin. Un jour je lui demande de me trouver un accord. Il me répond : côte de boeuf persillée !!! J’ai essayé et ça collait : tout se joue sur le persillé parce que, dans la côte de boeuf, le gras caramélise un peu et l’accord est là.
Avec un certain goût pour la provoc.
Avec Echappée Bel rouge, Olivier Xazenave s’est lancé un autre défi : faire un merlot pas cher et bio en plus, entre 7€ et 9€ en magasin !
Alors il achète le raisin à des copains et il produit un assemblage le plus gourmand possible en appellation Bordeaux. Du merlot facile sans prétention de garde ! Le résultat est étonnant : c’est croquant, c’est légèrement épicé, c’est rond et c’est frais.
Il y a 2/3 de 2019 et un tiers de 2016. Pourquoi pas uniquement du 2019 ? il y aurait eu un peu trop de jeunesse, je voulais de l’équilibre, de la rondeur, du facile à boire.
C’est d’ailleurs ce vin qu’Antoine Petrus, chef sommelier de Taillevent dans un récent coup de gueule publié par Terre de Vins, prend comme exemple pour dénoncer le Bordeaux bashing…
file droit mais en bougeant les lignes
Allez on monte en gamme avec Château de Bel en appellation Bordeaux Supérieur : un merlot 100% issu des parcelles du domaine. 70% du vin est élevé en cuve béton et 30% – les presses- est élevé en barriques de 500 litres. Là je veux rester Bordeaux et rentrer dans la typicité en apportant de la fraicheur, du fruit et de la garde. Un vin plus construit.
Même démarche pour la Capitane, Bordeaux Supérieur là aussi. Olivier : ce sont mes meilleures parcelles de l’année. Et que j’élève en 100% bois : moitié en foudre de 20hl et moitié en barrique de 500l pendant 12 à 24 mois, selon les années et parfois pas du tout. Il n’y a pas de recette ! Il y a plus d’onctuosité, un jus pas forcément concentré, mais plus racé,
Pour son Saint Emilion Grand Cru Aux Plantes, Olivier Cazenave adopte la même réserve : J’aime le St Emilion pour son élégance. Un peu comme une belle femme, très élégante mais assez discrète, pas trop bling bling, pas trop ostensible, En fait c’est ça mon image du Saint Emilion. Et avec cette cuvée, c’est ce que j’essaye de faire…il y a pas mal de longueur en bouche, ce n’est pas un vin exubérant, c’est un vin très tracé, très droit.
mauvais garçon
Notre vigneron déborde à nouveau du sillage bordelais. Le voila qui reprend sa liberté avec son Franc de Bel un pur cabernet franc –j’aime ce cépage qui pète dans tous les sens– qu’il élabore en système solera. Evidemment avec une telle méthode, on redescend en catégorie Vin de France…
C’est fin, c’est floral, toasté, fumé, grillé même. Avec une bouche plutôt généreuse.
respectueux des traditions
Allez pour la fin on se garde la Veille des Landes, un vin en appellation Montagne Saint Emilion, 100% merlot à nouveau mais élaboré en macération carbonique. une semaine avant les vendanges j’ai récolté des raisins plutôt murs, des grappes foulées au pied, j’ai fait un petit levain et le jour des vendanges principales, je mets mon levain en bas de la cuve pour générer une activité fermentaire et surtout générer du gaz carbonique car après je ferme la cuve, comme une cocotte minute et c’est parti !
Ca peut durer 2 à 3 semaines comme ça peut durer un mois. C’est au feeling. A trop laisser on gagne en qualité mais on crée du volatil. Il y a un jus d’écrasement qui n’est pas le plus intéressant car il a macéré dans les rafles, il est bien tannique bien nerveux, en revanche, le jus de presse est sublime. Moi je les assemble car je veux rester « Bordeaux ».
Il y a des notes mentholées en attaque, un peu sauvages, un peu nouvelles…
une énergie naturelle
Ah et puis non on ne vas pas arrêter la dégustation sans parler du Pomerol d’Olivier Cazenave, le Clos du Canton des Ormeaux : mon vin sans électricité ! très artisanal ! tu sens le potentiel, Pomerol c’est magique, un truc à part, je n’ai pas vinifié tous les terroirs du monde, mais j’en ai vinifié pas mal à Bordeaux, aromatiquement, tanniquement c’est magique, c’est très riche en tanins, des tanins très fins, sublimes, c’est très long en bouche, des vagues mentholées, des petits fruits rouges…
mais aussi businessman
Car si Olivier aime faire son vin, il aime encore plus le partager et le vendre. Son voisin l’appelle le commercial ! Alors oublions le rêveur, l’artiste ou l’artisan voyons aussi l’entrepreneur : Château de Bel est distribué en France, au domaine chez les cavistes et en CHR, mais aussi à l’export, principalement au Japon, mais aussi au Canada au Québec et en Ontario, au Royaume-Uni et aussi en Belgique.
Et si l’avenir de Bordeaux s’écrivait avec des Olivier Cazenave ?
François
Photo à la Une : ©Laurent Moulager Hipstoresk.com