Certains disent que le muscadet est une région viticole d’avenir.
Alors, expédition à Gorges, un très joli terroir, chez Damien Rineau, exploitant de la Tour Gallus depuis 9 générations.
Notre mission : lui poser quelques questions et déguster sa production pour la validation d’un module de cours. « Nous », c’est un groupe d’étudiants du Master du Muscadet dont nous reparlerons bientôt.
AOC Muscadet VS Réchauffement délétère
Peu de mots au premier contact, Damien revient des vignes en tenue de travail.
Nous lui volons du temps, ce qui est précieux pour un homme aussi attaché à son terroir. Il nous mène directement aux chais puis, pipette à la main, extirpe un peu de liquide qui finit dans nos verres.
Inutile d’expliquer longtemps, le vin à la robe intense parle de lui-même. C’est un muscadet ample, promis à une belle vie, aux arômes qui évolueront agréablement. C’est un vin dont on ne se lasse pas, tout est dans la fraîcheur.
Est-il salivant ? Oui, il n’y a pas de lourdeur. Le climat semble avoir façonné un vin plus riche qu’avant ? En Muscadet ça ne nous gêne pas d’avoir de beaux raisins, la maturité est certes différente. Mais n’oublions pas qu’on chaptalisait autrefois.
évolution ou révolution ?
L’évolution serait une révolution qui n’en a pas l’air. Ainsi, pour Damien, son label Terra Vitis est un engagement profond qui modifie son appréhension des vignes et du monde.
Garder 2/3 des surfaces enherbées demande des efforts supplémentaires, un nouvel employé, un investissement en matériel (nouveau tracteur, plusieurs tondeuses), une profonde remise en question. C’est ce qui est demandé à l’exportation ? Moins de produits de traitement, exit les produits azotés, pas d’excès de souffre. La SAQ au Québec refuse de prendre de nouveaux vignerons non bio !
Un vigneron ça suit une voie. Or, les études menées dans les années 80 ne prenaient pas en compte ces averses incessantes de normes, occultaient les dangers du productivisme, ne donnaient pas de fléchages sur le business changeant du vin. On ne nous a jamais appris à commercialiser nos vins à l’école. On apprenait juste à être vigneron. Comment se positionner sur les prix ? On est bien des incapables !
Coup de blues dans les vignes
L’arbre généalogique se présente sur notre droite, l’énorme cep de vigne est porteur des ancêtres qui ont marqué l’histoire de la Tour Gallus depuis 1680. On a tout subi, les guerres vendéennes ont détruit le vignoble, en 14/18 la plupart des vignerons ne sont pas revenus… et on a résisté. Mais ce qui arrive est brutal.
D’où vient cette anxiété ? On cherche à aller trop fort et trop vite. Ce que je ressens c’est qu’on vit une véritable crise sociétale. Il y a une montée générale de l’intolérance.
Les débats qui flagellent les alcooliers redoublent de fréquences sur les ondes et dans les journaux. Pour éviter la mort qui nous semble pourtant inéluctable, tout est devenu dangereux. Mais les antidépresseurs ça ne dérange personne ! Alors aller jusqu’à attaquer le vin… On risque de perdre un savoir vivre marié à une culture. Et puis, heureusement qu’il y a encore des vignes, cela façonne un paysage.
Le millésime 96 nous frappe par sa robe resplendissante, le nez et la bouche sont dans un équilibre parfait. Long au palais. Vin évolué mais pas fatigué, qui persiste et affiche un côté noisette. Là c’est ce que je recherche, une belle intensité colorante. Le vin sur le fruit c’est bon mais tout le monde peut le faire, c’est facile.
Voulons-nous le mirage des « coquelicots » ?
Damien ne s’économise pas dans les rangs de vignes ni aux chais. Alors nous comprenons qu’au bout de 36 ans de labeur difficile, de pertes de vendange, de restrictions incessantes, l’homme aient envie de dire son vague à l’âme. Moi je ne prends jamais l’avion, c’est une question de cohérence, je fais l’effort. Mais quel coup de massue ! Ils viennent parfois ici avec un 4X4 et regardent mes bidons en faisant la moue, l’air dégoûté…
Les produits phytosanitaires que ses collègues vignerons aspergent dans leurs rangs de vignes ?
Ma démarche est globale, je n’aime pas que les critiques soient sur un point précis. Je crois qu’il n’y a pas de solution miracle.
Avec Terra Vitis on avance sur le cuivre. Cette démarche de progrès ne peut pas se faire du jour au lendemain.
Quel avenir pour le soldat muscadet ?
La politique globale du vignoble a été un désastre en termes de positionnement sur les marchés avec une armée de vins gros volumes pour le négoce ou la GMS. Pour la Tour Gallus les choses se sont faites naturellement, grâce à la qualité des vins. Sa valeur s’est déployée chez les restaurants étoilés, auprès des importateurs américains comprenant la valeur des crus communaux. (qui au passage se sont frotté les mains avec les marges qu’offrent ces bouteilles parfois bradées à des tarifs proches de 10 euros).
Qui pourrait passer à côté d’un vin bio, aromatique, frais et agréable en bouche à ce prix ?
Notre volonté c’est d’avoir des vins abordables. Mais aussi paré pour une table gastronomique. Antoine Petrus Meilleur Sommelier de France officiant aujourd’hui au Clarence ne s’y trompe d’ailleurs pas lorsqu’on lui demande quel vin il présenterait en premier à un réveillon : C’est incontournable, Un MUSCADET évidemment ! Et avec lui on ne tire sur personne !
Jean-Luc