Musique et vin partagent un même vocabulaire : on parle de notes, d’accords, d’associations, de légèreté, de complexité, on dit d’un thème qu’il peut être floral, d’une verticale qu’elle est crescendo…Il était donc naturel que, depuis plusieurs années déjà, des musiciens ou des vignerons -bref des artisans, des artistes- s’intéressent à associer leur discipline. Une alchimie en quelque sorte pour stimuler les émotions. Car c’est bien de ça qu’il s’agit. Entre musique et vin, la palette des sensations est d’une variété infinie.
Les expériences sont nombreuses mais la barre est placée plus ou moins haut.
vin et festivals : le premier degré
En cette période festivalière, on pourrait commencer par aborder les accords musique et vin sous l’angle du développement économique. Disons le tout de suite, ce n’est pas vraiment notre propos aujourd’hui.
le business du vin dans les festivals
C'est une opportunité commerciale et promotionnelle, les vignerons savent en profiter et c’est tant mieux : il y a peu ou pas beaucoup de festivals de musique qui n’ont pas une appellation ou un domaine parmi leurs partenaires. D'ailleurs et ce n'est pas un scoop : ce sont souvent les vignerons eux-mêmes qui sont à l'origine des festivals ! Mais il n’y a pas plus de sens à cet accord entre la musique et le vin que la seule proximité des vignes.
En off du festival Un Violon dans le sable, Les Hauts de Talmont proposent chaque année un récital Du piano dans les vignes : Khatia Buniatishvili en était la guest star en 2019. Les Chorégies d’Orange sont soutenues par la maison Ogier à Châteauneuf du Pape, le champagne Ayala est partenaire des Francofolies à La Rochelle, les Cotes du Rhône supportent Jazz à Vienne...
Au Prieuré la Chaume en Vendée, Christian Chabirand est fan d’art lyrique et considère le vin comme une discipline culturelle et artistique à part entière. Ses vins révèlent sa passion. Ils portent le nom de Bel Canto, Rigoletto, Prima Donna... Il héberge sur son domaine le Festival Les Arts par Nature.
Ce festival d’été ambitionne de présenter chaque année une programmation culturelle et artistique, entre nature et culture, dédiée au patrimoine naturel et culturel du Sud Vendée – Marais Poitevin.
Le Figaro du 11-12 juin 2022 consacre une page pleine à ce sujet : "vin et musique, le bon accord.", en s’appuyant sur l’expérience des caves de Plaimont à l’origine de la création du Festival Jazz in Marciac dans le Gers, il y a 40 ans (et non pas “le festival de Marcillac dans l’Aveyron” comme l'écrit Béatrice Delamotte. Curieux qu’un journal aussi respectable que le Figaro ne maîtrise pas la géographie hexagonale !).
Le résultat de ce partenariat est impressionnant : “Plaimont a l’exclusivité des vins, de quoi transformer les festivaliers en ambassadeurs de marque, sachant que la cave vend des dizaines de milliers de bouteilles dans les différents points de restauration et au caveau.”Je confirme, impossible de consommer autre chose à Marciac -ah si, de la bière- lors de ce festival que je fréquente assidument, c’est d’ailleurs lassant.
Bienvenue en Enfer ! "Ce sont 18000 litres de muscadet qui s’écoulent en un week-end à Clisson en Loire-Atlantique" lors du Hellfest, révèle le Figaro. Une aubaine pour les vignerons associés à ce festival de musique metal, avec une cuvée spéciale et de nombreuses autres cuvées bien sûr toutes en appellation Muscadet Clisson.
On n’est jamais aussi bien servi que par soi-même : Jazz à l’Hospitalet est le festival de musique créé par Gérard Bertrand himself il y a déjà vingt ans. L’affiche 2022 est prometteuse avec Gilberto Gil, Melody Gardot, Simple Minds. Une entrée comprend un diner, un concert en plein air et un after à la cave. L'hôtel, le restaurant, la cave : la machine Bertrand tourne à plein régime !
Le Festival Musique et Vin au Clos Vougeot, profite d'une direction artistique de choix : Gautier Capuçon et Jean-Yves Thibaudet. Cette manifestation a un statut à part puisqu’au delà d’une dégustation de grands Bourgognes avant chaque concert, les organisateurs se veulent aussi mécènes de jeunes talents. Ils mettent aux enchères un grand cru qui permettra de doter un musicien d’un instrument exceptionnel : accord musique et vin sous une forme plutôt originale !
Considérons que c’est le premier degré des accords musique et vin. Il n’a d’autre objectif que le développement d’une image, d’une marque, une certaine promotion à l’international – le fameux art de vivre à la française- et aussi bien souvent la vente forcenée. C’est déjà pas mal me direz-vous !
Alors on est partis à la recherche de ces dégustations musicales qui offrent plus de sens.
les bulles et les Poissons d’Or
Confronter des Champagnes à la French Touch du début du XXème siècle, c’est l’objectif que s’était fixé en mai dernier Antoine Dubois fondateur de la société Adlibitum avec la participation de la RVF : aller chercher dans l’envol des bulles du Blanc des M Charles Heidsieck à travers le monde des années 20 des passerelles avec le courant musical animé à cette époque par Debussy, Ravel, Fauré, Satie. Au piano : Bruno Fontaine, carrément ! Toute une aventure et un résultat enthousiasmant, mais n’était-ce pas dû au pouvoir euphorisant du Blanc des Millénaires ? et au charme désuet de l’Atelier Lardeur ?
Un regret tout de même, c’est le séquençage des dégustations entre les sets musicaux. Un sentiment de juxtaposition musique et vin sans réelle interaction. « Comment me dit Antoine Dubois, Vous n’avez pas senti la montée des bulles dans les poissons d’or de Debussy ? »
rajouter de la chair de poule
Antoine Dubois défend une approche plus culturelle que sensorielle qu’il trouve trop réductrice : « les associations musique et vin peuvent tout aussi bien être historiques que géographiques. C’est une remise en contexte. Je prépare une thématique Tango argentin associée au malbec…La musique ouvre les chakras ! Moi qui pensais que c’était le vin !
Adlibitum : l'hédonisme comme objectif
C'est en sortant d'une dégustation qu'Antoine Dubois, passionné de musique, a reçu une révélation : musiciens et vignerons partagent le même esprit de sacerdoce et la même quête d'absolu...pour le plus grand bonheur de leur public !
L'idée d'une activité était lancée et la promesse d'Adlibitum toute trouvée : Et si on pouvait déguster la musique comme on déguste le bon vin ? Avec comme unique objectif de vous émouvoir !
Pour ce faire, Antoine rassemble une brochette de talents, musiciens, oenologues, intervenants, avec pour mission "de vous délivrer son savoir, ses expériences, sa vie, en soupçons ou en rasades, c’est selon.Vous allez apprécierez encore plus la musique, les musiques."
"Il n’y a pas de raison pour que nos oreilles ne fonctionnent pas comme nos papilles !"Antoine Dubois
la dégustation fusionnelle ? oui elle existe !
Il m’aurait paru étonnant qu’à un moment donné, un artiste ne se soit pas penché sur les relations sensorielles qui peuvent exister entre l’interprétation d’un compositeur et celle d’une appellation.
C’est Julien Gernay -musicien et oenologue !- qui m’apporte la réponse : « chaque jour presque, je joue et je déguste musiques et vins. Les deux activités sont indissociables et se confondent. Il arrive qu’elles provoquent une onde de choc inouïe ».
Plus que la musique elle-même c’est le travail sur la matière sonore qu’il met en relation avec le vin : « De quelle manière poser les doigts sur les touches ? De quelle manière jouer avec les arômes de la note, ces harmoniques qui se perdent et sur lesquels, pourtant, il faut prendre appui, une fraction de seconde, pour que le récit ne s’interrompe pas… »
La digitalité : outil de précision
Selon la forme de la main, le son aura un modelé, une forme différente. En allant dans le fond du clavier Julien Gernay trouve une sonorité plus ouatée, plus enveloppée dans laquelle le terroir va se révéler. « la sensation physique en bouche du vin exprime la texture du son : sa matière, sa densité, son côté cristallin, sa lumière, toutes ces choses qu’on peut modeler au clavier, du bout du doigt… »
Derrière cette démarche, l’idée c’est de remettre en cause les codes de la dégustation classique et « casser ces barrières qui sont de l’ordre de l’observation et qui empêchent d’être poreux. »
l'intermezzo de Brahms et la Côte Rotie du domaine Gangloff
L'interprétation de l'intermezzo de Brahms par Julien Gernay est emblématique de son approche : "Par une utilisation singulière du registre grave, l’écriture de Johannes Brahms me permet d’explorer ce jeu de textures.
Les sonorités amples et riches de l’Intermezzo n°2 opus 118 expriment avec profondeur les sensations veloutées du toucher de bouche qu’offre la dégustation d’une Côte Rôtie « la Sereine Noire » du domaine Gangloff. Dévoilant un nez envoûtant, ce vin sublime à la robe sombre paraît s’étirer indéfiniment en bouche autant que les résonances langoureuses de cet Intermezzo."
Julien Gernay se produit dans toutes sortes d’endroits : salles de concert, dans un chai de l’appellation Touraine Mesland, aux Caves Legrand à Paris, dans un studio d’enregistrement…
Car le décor participe du choc émotionnel et crée un climax…
« Gouter le vin par ses sons et écouter la musique par son goût. »
Julien Gernay rassemble dans un album, Vinophony édité chez Klarthe, son expérience sensorielle qui relie les émotions communes d’une dégustation à un parcours musical.
Le son fini se dévoile comme se respire un vin accompli.Julien Gernay
le défi lancé par Krug
Un mot de l'expérience Krug qui a créé avec l’Ircam un espace de dégustation sonore immersif. C'est sans doute l'approche la plus aboutie en matière de recherches scientifiques sur l'influence de l'ouïe dans l'expérience gustative.
La maison Krug a mis les chercheurs de l’Ircam au défi de réussir, grâce aux pouvoirs du son, à faire partager l’expérience de dégustation des vins clairs. Car, c’est la dégustation quotidienne de ces même vins clairs, considérés comme les instruments de travail du Comité de Dégustation Krug, qui guide les décisions d’assemblage et permet in fine la composition des Champagnes de la Maison.
Les équipes de l'Ircam ont proposé à la Maison Krug de relier des propriétés des sons à des propriétés œnologiques afin de créer un environnement sonore capable d’offrir une expérience multi-sensorielle, dans la nouvelle salle de dégustation de la Maison de Famille Krug, à Reims.
Cette approche a permis de cartographier les relations entre les propriétés d’un son et les caractéristiques œnologiques d’un vin.
La création de dix paysages sonores, métaphores de dix parcelles de la Champagne utilisées dans les assemblages Krug, a été confiée au compositeur Roque Rivas.
L'ensemble a été mis en scène dans un salon immersif de dégustation intégrant un mur des 400 vins représentant les 400 vins clairs conservés à la Maison Krug.
Vous pourrez y écouter le paysage sonore des parcelles de pinot noir, de chardonnay ou de pinot meunier.
François
Ecrit par Francois SAIAS
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Scénariste, réalisateur, documentariste pendant de nombreuses années, François a gardé la curiosité de son premier métier et s'est investi depuis dans le monde du vin, ses rouages, son organisation, ses modes de fonctionnement.
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