L’histoire de la levure ressuscitée

Vous connaissez certainement le saccharomyce cerevisiae ?

Cet organisme unicellulaire plus communément appelé levure fermentaire qui va traquer glucose et fructose pour le transformer en alcool ; cela produit une espèce de bacchanale bouillonnante qui échauffe le moût, produit du gaz carbonique et excite encore plus les levures gloutonnes…

Depuis Pasteur, la fermentation n’a plus de secrets pour nous.

On sait que, faute de sucre à transformer les levures meurent et tapissent le fond de cuve de lies plus ou moins fines. Allons un peu plus loin en distinguant les levures indigènes – celles qu’on trouve sur la pruine du grain, dans la cave ou sur les outils- des levures exogènes qu’on achète chez le marchand – 250 variétés- qui nous apportent parfois des petits goûts coquins : banane, bonbons anglais ou fraise Tagaga.

Chez nous, la fermentation se fait uniquement sur levure indigène, tel est le mantra des vignerons bio-nature, toujours attentifs à réduire les intrants. L’Institut Français de la Vigne et du Vin est plus nuancé : la fermentation spontanée démarre trop spontanément et les fins de fermentation alcoolique sont souvent difficiles et languissantes.

Evidemment les flores indigènes, non domestiquées, sont difficilement contrôlables et exigent du vigneron un niveau d’hygiène proche du plateau de chirurgie.

 

Pas de quoi fouetter un chat, me direz-vous.

Sauf qu’un petit miracle s’est récemment produit dans le monde plutôt routinier de la levure, comme le rapporte le magazine suisse Terre&Nature : Herman Schwarzenbach un vigneron suisse de la 4ème génération exploitant le domaine Reblaube au-dessus du lac de Zurich, fait déguster à son ami Jürg Gafner, microbiologiste à la Haute École du Vin de Changins une bouteille de räuschling datant de 1895. D’abord ils se régalent puis Jürg, peut-être un peu grisé, se demande si l’on pouvait faire quelque chose avec les restes de levures présents dans le dépôt de la bouteille. Le lendemain il se met au travail et parvient à isoler quelques cellules. Les levures de 1895 étaient intactes, raconte le scientifique, mais en état de dormance, car elles n’avaient plus de quoi se nourrir depuis bien longtemps. Jürg Gafner s’empresse alors de leur donner des éléments nutritifs et leur métabolisme reprend aussitôt.

Après de multiples essais concluants…

le vigneron zurichois envoie ses levures à des collègues suisses et allemands ; tous sont unanimes sur leurs qualités – quand on connaît le conservatisme des Suisses alémaniques, ça devait être quelque chose ! Nos deux compères vigneron et microbiologiste se lancent alors dans un petit business autour de la « belle endormie » nommée levure 1895 C ; au vu des circonstances, ils auraient pu l’appeler Lazare. Ils s’associent avec la firme Lallemand, un fabricant de levure international pour la multiplication et le séchage et créent Swiss-­wineyeast, pour la commercialisation.

Iwan Escher et Cécile Thomas suivent de près ces essais.

Lui est suisse d’origine, elle, la winemaker a multiplié les expériences en Bourgogne et en Champagne. Ils décident alors de créer un négoce de vins effervescents : Escher & Thomas, dans la vallée du Cher à Chissay-en-Touraine. Sur ce marché il y a un monopole de quelques souches de levure champenoise qui tendent à unifier les goûts. On avait envie d’autres choses, Iwan a rencontré les Schwarzenbach et puis on s’est lancé en 2014 en utilisant la levure de vinification 1895 C. me précise Cécile Thomas.

Confortés par les qualités exceptionnelles de la levure- belle prise de mousse, plus de complexité et de netteté- ils ont poussé le bouchon plus loin en produisant des effervescents en 100 % mono-cépages du Val de Loire sans aucun assemblage. On souhaite exprimer pour chaque cépage son caractère original amplifié par l’effervescence. La gamme compacte au graphisme épuré décline en Extra-Brut : Attitude B (melon pays nantais) Attitude S (sauvignon) et Attitude C comme chenin, aux quelles s’ajoutent un AOC Vouvray Brut et un Gamay-pineau d’Aunis Extra-Dry.

 

Tout cela me semble fort ambitieux pour une maison, somme toute, très jeune aussi je pose la question de la taille des installations. Ah, mais non, nous pressons sur place ; la vinification pour le melon B et le sauvignon se fait chez le vigneron où je dispose d’un espace dédié. Pour le chenin, nous vinifions chez nous le vin de base dans des foudres de chêne du tonnelier autrichien Stockinger. Belle référence !

La détermination d’Iwan et Cécile est totale, les difficultés sont surmontées une à une comme celle des appellations d’origine protégée. Nos Extra-Brut en melon et sauvignon sont commercialisés en Vins de France car les cahiers de charges des AOP effervescents n’autorisent pas les 100% mono-cépages.

Cela n’empêche pas la reconnaissance des amateurs éclairés et des dégustateurs comme en attestent les médailles Or et Argent obtenues aux derniers Concours des Feminalises.

Pour répondre à la demande, la production monte en volume- près de 20 000 bouteilles- vendues à des prix très doux (8 à 12€).

Et si la levure pré-phylloxérique 1895C, la ressuscitée, portait bonheur ?

Jean Philippe

 

Photo à la Une : ©wikipedia

Ecrit par Jean-Philippe RAFFARD
--------------------------------------------------------------- Toujours volontaire pour une virée dans le vignoble du bout de la Loire, du bout de la France, du bout de l’Europe ou du bout du monde, là où il y a des vignerons, là où il y a du bon vin. Jean Philippe n’oublie pas sa vie antérieure en marketing-communication pour lever le voile sur le commerce du vin et l’ingéniosité des marchands.

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